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13154 novembre 2008 — Jusqu’au bout, l’élection présidentielle US a été à la fois acquise d’avance et pourtant incertaine. L’avance d’Obama semble irrésistible et, pourtant, certains sondages ont semblé montrer une remontée de McCain (la confusion dans les sondages US, particulièrement pour cette élection, fait qu’une tendance aussi forte que l’avance d’Obama, tout en étant affirmée et réaffirmée, apparaît pourtant marquée par une incertitude récurrente). D’autre part, il y a le “facteur Bradley” qui implique la possibilité d’un important décalage entre les intentions de vote et les votes effectifs lorsque le candidat est un Noir.
Cette situation si assurée d’avance est tout de même assez incertaine pour que l’on puisse avancer la possibilité d’au moins trois scénarios. En effet, une seule chose semble à peu près assurée, puisque ne dépendant pas d’incertitudes comme le “facteur Bradley” et se répartissant sur un nombre élevé d’élections: une victoire démocrate dans les élections législatives (renouvellement d'une partie du Congrès) qui accompagnent les présidentielles. Cela devrait renforcer notablement le contrôle du Congrès par les démocrates, jusqu’à la possibilité d'une position de domination totale (les cas extrêmes de victoire démocrate impliquant l’impossibilité pour la minorité républicaine d’employer des techniques de blocage comme celle du filibuster).
Les trois possibilités sont:
• Une large victoire d’Obama et une large victoire démocrate au Congrès;
• Une victoire étriquée d’Obama et une large victoire démocrate au Congrès;
• Une victoire étriquée de McCain et une large victoire démocrate au Congrès.
Evoquons la troisième possibilité, qui reste évidemment une possibilité d’appoint. La victoire de McCain serait une sorte de victoire “contre nature”, tant la pression de la crise nous a habitués à une victoire d’Obama… Car la position favorite incontestée d’Obama n’est pas une création de ce même Obama et des démocrates, quelle que soit leur contribution, mais bien une exigence de la crise. Une victoire de McCain aurait quelque chose d’une imposture, quoi qu’il en soit de l’éventuelle bonne foi du vainqueur, – ainsi en font juger, que nous le voulions ou non, les événements exceptionnels; elle serait un facteur de désordre dont se saisirait le Congrès…
Car c’est bien le Congrès qui, partout, apparaît en position de force, non pas tant pour une orientation politique donnée, mais pour ceci qu’on nomme “a mandate for change”. Un texte de McClatchy News du 31 ocobre nous instruit à ce propos, en se concentrant sur les résultats quantitatifs des candidats, mais essentiellement Obama bien sûr. Nous voyons ainsi défini ce qu’est un “a mandate for change”.
«On Election Day, voter turnout will decide not only whether Barack Obama or John McCain becomes the next president, but also how much of a mandate the winner can claim. If McCain pulls off a come-from-behind victory, polling suggests that it's likely to be a narrow one, so McCain's prospects for claiming a mandate look slim.
»However, a victory for Obama, who leads in national and battleground-state polls, could break any of three ways: small, medium or large. A narrow win could constrain Obama, though perhaps not as much as one would hinder McCain, given the Democrats' expected majorities in both chambers of Congress. A medium Obama victory could stave off the risk of Republicans contesting the election, but still might require him to move cautiously with policy initiatives.
»A landslide, on the other hand, could give Obama the leverage to push ahead with big promised changes, such as withdrawing troops from Iraq and broadly expanding Americans' health care coverage.»
Un “a mandate for change” est donc une notion informelle. Il s’agit c’est certes d’une question quantitative, comme le suggère le texte, mais dépendant d’une perception de cette quantité; d’autres éléments ne comptent pas moins dans cette appréciation, notamment le “climat” général qui règne dans le pays, la demande d’une action immédiate, le sens de l’urgence, etc. L’évidence montre bien que le “mandate for change” n’existe que dans une situation qui nécessite effectivement des changements. C'’est justement le cas aujourd’hui, d’ailleurs comme une référence au slogan plutôt vague mais radical d’Obama pendant sa campagne (“change”, tout simplement).
On pourrait même orienter encore plus l’analyse ci-dessus. Il n’est pas sûr que la plus forte pression pour “a mandate for change” vienne d’abord des élus eux-mêmes. Il y a la possibilité qu’elle vienne de la situation elle-même, de ce qu’on en perçoit déjà, renforcé par ce que pourrait signifier le scrutin en général, hors des résultats partisans. (Une éventuelle forte participation notamment, qui pourrait être annoncée déjà au travers de votes déjà effectués et des inscriptions dans les bureaux de vote; on le voit dans divers Etats, où les inscriptions ont atteint un niveau record qui annoncerait une participation supérieure à tout ce qui a précédé.)
L’intérêt éventuel de la situation, c’est la position de force du Congrès (démocrate) telle qu’elle semble se dessiner. On a déjà observé combien le Congrès, qui devrait se retrouver avec une forte majorité démocrate, se trouve sous l’impulsion d’une poussée réformiste importante.
Le Congrès à venir se trouve dans une perspective intéressante. Il vient de passer huit années d’alignement presque inconditionnel sur les grands axes de la politique extérieure, même durant les deux années de majorité démocrate depuis 2006. Le Congrès est resté aligné sur les consignes du système qui avait trouvé sa poupée magique avec GW Bush, martelant sans fin la nécessité de mener la “grande guerre contre la terreur” (GWOT) comme la première priorité, et manipulant cette nécessité comme une arme forçant à l’alignement. Aujourd’hui, la perspective change parce qu’il est très possible, sinon probable, que la priorité s’oriente très fortement vers la situation intérieure. Cette probabilité existe, notamment et fortement depuis la crise du 15 septembre, depuis que l’opinion publique a basculé dans une situation où elle exerce une très grande pression. N’est-ce pas ce qu’on nomme “a mandate for change”? Si ce “mandate for change” conduit à orienter tout l’effort de Washington vers la situation intérieure, le Congrès se trouve encore plus en position de force.
Le rythme favorise cette situation et il favorise une action immédiate (dès l’élection faite), qui est déjà largement envisagée et préparée, qui serait essentiellement le fait du Congrès qui est en place (déjà avec une majorité démocrate). Les appels à l’action immédiate du Congrès sur la situation intérieure viennent aussi de chroniqueurs, comme cette incitation de Paul Krugman, le 31 octobre:
«…[W]hat the economy needs now is something to take the place of retrenching consumers. That means a major fiscal stimulus. And this time the stimulus should take the form of actual government spending rather than rebate checks that consumers probably wouldn’t spend. Let’s hope, then, that Congress gets to work on a package to rescue the economy as soon as the election is behind us. And let’s also hope that the lame-duck Bush administration doesn’t get in the way.»
D’ores et déjà, l’action du Congrès est perçue effectivement comme la possibilité d’une pression plus radicale sur une éventuelle administration Obama, qui risque de gêner et d’orienter l’action de cette hypothétique administration. C’est une situation inconfortable; l’une des deux priorités d’une telle administration serait effectivement de lancer une nouvelle politique tandis que l’autre serait de manœuvrer pour empêcher que la pression du Congrès conduise à ce que cette politique soit trop “nouvelle”… C’est le sens de cette observation du sénateur démocrate Bob Kerrey: «By my lights, the primary threat to the success of a President Obama will come from some Democrats… emboldened by the size of their congressional majority… Obama will need to communicate the following to Congress, in no uncertain terms: The Democrats have not won a mandate for all their policies. Rather, the American people have resoundingly registered their frustration with a failed status quo, and the next president must chart a new, less partisan course.»
Les résultats du 4 novembre peuvent conduire à une situation paradoxale et inattendue, où le débat serait principalement centré non pas sur l’orientation de l’action mais sur l’intensité de cette action. C’est bien ce qui peut faire une différence; c’est bien le degré d’intensité d’une action qui détermine la naissance d’une dynamique dont les effets peuvent échapper éventuellement au contrôle d’une volonté de garder cette action dans une mesure raisonnable; c’est bien cette perspective qui peut conduire, voire forcer à un débat sur une mise en question de la principale caractéristique de l’époque Bush, qui est la politique extérieure expansionniste et belliciste. Ce ne peut être pour l’instant envisagé que comme une possibilité mais on sait qu’elle est d’ores et déjà explorée par ailleurs et l’on comprend qu’avec cette élection elle n’a jamais été aussi forte depuis le 11 septembre 2001, voire depuis le deuxième mandat Clinton. Quoi qu’il en soit du résultat d’une telle situation où la politique Bush serait mise en cause d’une façon radicale, la perspective n’est nullement celle de l’apaisement et de la reprise de contrôle. Le seul fait de l’intensité de ce débat et de l’intensité des pressions qui le susciteraient introduirait au cœur du système un nouveau facteur d’accroissement de la division et de la déstabilisation.
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