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1931Certes, ce n’est pas tous les jours qu’un président de Russie, ex-pion du KGB comme on dit dans les salons de Washington D.C., publie dans le journal de référence des références, le New York Times. Sa “pièce” d’opinion du 11 septembre 2013, en signe de happy birthday, a fait des dégâts. Pourtant ce n’était pas la première fois et certains s’y sont même trompés, citant la “lettre ouverte” du nouveau Premier ministre d’alors Vladimir Poutine, le 14 novembre 1999, expliquant avec une prescience que certains noteront le danger islamiste que lui-même venait d’expérimenter en Tchétchénie. Justin Raimondo, qui est plutôt très satisfait de l’article du 11 septembre 2013, rappelle la chose dans son propre article du 13 septembre 2013 («Putin the Peacemaker») :
«... They point to Putin’s 1999 Times op Ed – yes, this is his second – wherein he purported to explain Russian intervention in Chechnya – what hypocrisy, they cry! Of course, many on Twitter made the mistake of actually linking to this piece, in which Putin presciently speculated that Islamist radicals might one day attack the United States: “I ask you to put aside for a moment the dramatic news reports from the Caucasus and imagine something more placid: ordinary New Yorkers or Washingtonians, asleep in their homes. Then, in a flash, hundreds perish in explosions at the Watergate, or at an apartment complex on Manhattan’s West Side. Thousands are injured, some horribly disfigured. Panic engulfs a neighborhood, then a nation.” A few years later, Americans didn’t have to imagine it, because they experienced it...»
D’une façon générale, sans aucun doute, Poutine a acquis avec sa “pièce” une popularité considérable dans les milieux US d’opposition et de dissidence, surtout à droite, où on l’appréciait certes mais encore avec des réserves. Paul Craig Roberts en fait, le 13 septembre 2013, le nouveau “leader du (nouveau) Monde Libre” :
«Most of Putin’s critics are too intellectually challenged to comprehend that Putin’s brilliant and humane article has left Putin the leader of the free world and defender of the rule of law and exposed obama for what he is–the leader of a rogue, lawless, unaccountable government committed to lies and war crimes.»
Au contraire, du côté de l’establishment, ce fut un véritable déluge d’indignation. Le sénateur démocrate Menendez, président de la bombastique commission des relations extérieures du Sénat, manqua vomir selon son propre aveu ; le sénateur républicain James Inhofe entendit Ronald Reagan qui se retournait dans sa tombe en hurlant “Wake Up, America!” ; le sénateur John McCain jugea que c’était une insulte à son intelligence et annonça qu’il allait désormais collaborer à la Pravda ... Russia Today nous rassemble tout cela dans un article du 14 septembre 2013, et nous nous attardons à la collaboration extérieure de John McCain dont il faudra suivre avec attention le phrasé et le brio, – dès mercredi ou jeudi prochain paraît-il. Un article de McCain dans la Pravda, cela ne se refuse pas.
«... Bob Menendez, decrying Putin’s words as pure emetic. “I almost wanted to vomit,” the Democratic Senator from New Jersey told CNN on Wednesday. “I worry when someone who came up through the KGB tells us what is in our national interests, and what is not. It really raises the question of how serious the Russian proposal is.” Republican Senator James Inhofe from Oklahoma, in a further allusion to the Cold War, said: “I could hear Reagan turning over in his grave.” [...]
»Republican Senator John McCain from Arizona tweeted: “Putin’s NYT op-ed is an insult to the intelligence of every American.” He also said he would love to write a response to Putin and on Friday McCain's spokesman, Brian Rogers, confirmed that he will submit a piece in the Russian newspaper Pravda. “We would be only pleased to publish a story penned by such a prominent politician as John McCain," Dmitry Sudakov, the English editor of Pravda, told Foreign Policy. McCain’s submission in both Russian and English is expected by next Wednesday at the latest...»
Une surprise, – il en faut toujours dans le monde des sapiens et de leurs faiblesses, – vint de la sénatrice Feinstein, bien qu’elle ne fasse pas directement allusion à l’article de Poutine ici (McClatchy, le 11 septembre 2013). La chose est intéressante parce que Feinstein, présidente de la commission du renseignement et fan de la NSA, est une archi-hawk ; mais quoi, sans doute le charme de l’ambassadeur de Russie à Washington D.C. a-t-il quelque chose d’irrésistible.
«Some members of the House of Representatives and Senate wonder whether they can trust Russia and President Vladimir Putin [...] Sen. Dianne Feinstein, chair of the Senate Select Intelligence Committee, isn't one of them. “So the ball is really in Russia's court. Russia is the leader in this,” said Feinstein, D-Calif. “I trust that it is sincere. I trust Russia and the United States will come together and bring the other parties together and that it will be possible for the United Nations to act so the United States won't have to.” »
»As word of Russia's offer reached Capitol Hill Monday, Feinstein was having lunch in the Senate dining room with the ambassador from Russia. “When the ambassador from Russia described Russia's intention to meet on Monday, it was sincere," she said.»
On notera encore diverses informations plus “pratiques”, notamment celle de la nouvelle directrice de la rédaction du NYT, Margaret Sullivan, le 12 septembre 2013, expliquant pourquoi le quotidien avait accepté de publier l’article de Poutine. Un autre domaine est explicité par Business Insider, le 12 septembre 2013, qui s’intéresse à la firme de relations publiques, décrite comme suspecte et représentant les intérêts du gouvernement russe, et qui a effectué les contacts nécessaire pour la publication de l’article.
Le dossier est bouclé par la mise en évidence, par Justin Raimondo dans l’article déjà cité, et à notre sens très justement, du passage précisément qui a soulevé tant de réactions. C’est le passage qui concerne la “nation exceptionnelle”, telle que se définit elle-même l’Amérique, et que Poutine conteste radicalement quoiqu’en des termes mesurés.
«... What really rankles the pundits and assembled “experts” at the Court of King Obama, however, is the final paragraph of Putin’s missive, in which he delivers what could be a fatal blow to their vanity: “My working and personal relationship with President Obama is marked by growing trust. I appreciate this. I carefully studied his address to the nation on Tuesday. And I would rather disagree with a case he made on American exceptionalism, stating that the United States’ policy is ‘what makes America different. It’s what makes us exceptional.’ It is extremely dangerous to encourage people to see themselves as exceptional, whatever the motivation. There are big countries and small countries, rich and poor, those with long democratic traditions and those still finding their way to democracy. Their policies differ, too. We are all different, but when we ask for the Lord’s blessings, we must not forget that God created us equal.”
»The mystic doctrine of “American exceptionalism” has long dominated the foreign policy consensus in Washington. It has both “right” and “left” versions, but in both cases the idea is essentially the same: John F. Kennedy gave voice to it in his 1961 Inaugural Address, when he declared the US must “pay any price, bear any burden” in the international struggle to contain the Communist Menace in Latin America and elsewhere. It was the rhetorical prelude to the Bay of Pigs disaster and our increasing military presence in Vietnam.
»Although Communism was the bogeyman of the moment, the “pay any price bear any burden” mentality survived the cold war: Indeed, the demise of the old Soviet Union emboldened America’s political class to update and upgrade this exceptionalism, which supposedly gives us a divine mandate to police the post-cold war world order in Bosnia, Kosovo, Iraq, Afghanistan – and now Syria. If any other nation arrogated this task to itself, it would be called by its right name: imperialism. Yet that’s what “American exceptionalism” is all about: we’re supposedly the exception to this rule.»
... “Much Ado for Nothing” ? Pas sûr. Certes, à première vue, cette courte polémique ponctuée d’excès de langage et de comportements suscite le sourire plus que le froncement des sourcils. Pourtant, dans le champ de la communication, et là-dedans dans le champ du symbolique, on distingue quelques indications précieuses. Cette levée de bouclier de la part de l’establishment (sauf l’étrange Feinstein, prête à passer à l’Est), ce soutien enthousiaste de la dissidence de droite pourtant marquée dans ses racines lointaines par une tradition de méfiance de la Russie (la Guerre froide, le communisme), tout cela nous fait croire qu’un nerf à vif a été touché. Le déchaînement-Système contre la leçon de modestie de Poutine à propos de “la nation exceptionnelle” complète l’impression. Le mythe de la “nation exceptionnelle”, c’est le cache-sexe, la feuille de vigne et la feuille de route grandiose de l’américanisme pour couvrir toutes ses vilenies et toutes ses fourberies du voile soyeux de la vertu venue de Dieu ; c’est ce qui fait qu’on dort sur ses deux oreilles, entre les drones, la NSA, Guantanamo et Faloujah, pour se réveiller de grand matin et de grand appétit pour croquer un Assad ou l’autre. Et voilà Poutine qui vient contester l’icône incontestable, qui dynamite de l’intérieur même, des pages religieuses du New York Times le symbolisme sacré de l’américanisme ... Il s’agit bien d’une réaction furieuse d’une élite-Système, complétée par la jubilation de son opposition dissidente qui ne cesse de se radicaliser. Poutine est venu, avec ces dernières remarques, hausser le débat sur la débâcle syrienne de BHO, à hauteur de la déroute catastrophique de l’illusion encore balbutiante de l’“empire américaniste”, – enfin, de ses restes, qui s’en trouveront encore plus dispersés et réduits en poussière, – et, par conséquent, “va jouer avec cette poussière“.
Comme pour ponctuer cette triste perspective, les négociations en cours à Genève entre Lavrov et Kerry se poursuivent tambour battant, à l’image de cette scène lors de la conférence de presse clôturant le premier jour des négociations, où Kerry réclamait la répétition de la traduction de la dernière phrase d’une déclaration faite du côté russe, – où Lavrov intervint lestement, en anglais, provoquant des rires internationaux dans la salle : «It’s OK, John, don’t worry...» Lorsqu’on dit “tambour battant”, cela signifie dans un sens où la partie US, et le bloc BAO derrière elle, et le Système enfin, ne parviennent pas à imposer, soit une résolution de l’ONU, soit une rupture, bref quelque circonstance que ce soit dont l’issue pourrait être à nouveau la guerre. Washington et Obama semblent désormais privés de l’énergie qui fait qu’on parvient à mentir avec assez d’aplomb, à monter des narrative assez séduisantes pour qu’on y croit soi-même.
D’où un revers du Système de plus à Genève, avec l’abandon par les USA d’une résolution à l’ONU qui impliquait l’option du recours à la force dans certains cas, autour de la neutralisation du chimique syrien, – résolution concoctée par les Français, bien entendu, dans leur agitation effrénée dans un néant petit-bourgeois qui décourage le commentaire. (Dans Antiwar.com, le 14 septembre 2013.) :
«A French attempt to sneak language authorizing military action into the UN Security Council resolution on Syria’s chemical weapons disarmament, a plan backed by US and British officials, has failed, and the US is resigned to the resolution moving forward without any military option built in. The concession means that the Russian resolution will essentially be the one accepted, and that while still officially claiming the “right” to attack Syria at any time, the Obama Administration is backing off its threats.»
Bien entendu, ils tenteront à nouveau, tant l’issue guerrière reste leur seule façon de figurer, et parce que le Système ne supportera pas longtemps une telle dérobade. Il faut laisser le temps à un Bandar quelconque de monter une nouvelle grande cause humanitaire. Pour l’instant, le bloc BAO est épuisé et flageolant, comme s’il avait vraiment fait la guerre, et le Système gronde de mécontentement.
Mis en ligne le 14 septembre 2013 à 12H03
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