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949Certains des plus vénérables parmi nos lecteurs doivent se souvenir de ce qui symbolisa l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie, le 21 août 1968. Cela est, dans tous les cas, resté dans la mémoire du plus chenu parmi les animateurs de ce site, effectivement comme le symbole de l’invasion : un soldat russe dans un engin blindé, peut-être un char T-62, entouré de Praguois dont certains ont grimpé sur le véhicule, qui l’admonestent, qui l’exhortent, qui lui expliquent longuement ce qu’ils estiment être l’absurdité de la situation et de sa présence à lui, soldat soviétique, dans les rues de Prague ; et le soldat, ahuri, désorienté, qui les écoute, qui tente de répliquer…
Mais, cultivant le sens du suspens, arrêtons là, pour revnir plus loin sur l’épilogue de ce souvenir. A ce point, nous voulons citer Robert Fisk, qui a eu la bonne idée, – une fois n’est pas coutume pour un journaliste occidental, – de se joindre à l’armée syrienne de Assad pour voir la bataille en cours en Syrie de ce côté-là, au lieu de faire comme les autres et d’aller s’informer chez les seuls rebelles. (En effet, même si elle ne mérite pas d’exister sur cette terre, comme son président lui-même, l’armée syrienne existe donc tout de même.) Aujourd’hui, 23 août 2012, dans The Independent, Fisk publie son second texte de reportage auprès de l’armée syrienne en opération… Le texte prend les précautions de langage d’usage, mais nous restitue sans aucun doute une armée syrienne en bon état de marche, avec des soldats qui ont bon moral, des officiers qui n’ont pas peur d’être sur le pont, ou sur le front. Il s’agit des combats engagés autour de et dans la ville d’Alep.
«“You won't believe this,” Major Somar cried in excitement. “One of our prisoners told me: ‘I didn't realise Palestine was as beautiful as this.’ He thought he was in Palestine to fight the Israelis!”
»Do I believe this? Certainly, the fighters who bashed their way into the lovely old streets west of the great citadel were, from all accounts, a ragtag bunch. Their graffiti – “We are the Brigades of 1980”, the year when the first Muslim Brotherhood rising threatened the empire of Syrian President Bashar al-Assad's father, Hafez – was still on the walls of the Syrian-Armenian hotels and silver shops. A 51-year-old general handed me one of the home-made grenades that littered the floor of the Sharaf mosque; a fluffy fuse poking from the top of a lump of shrapnel, coated in white plastic and covered in black adhesive tape… […]
»The Syrian soldiers were elated, but admitted that they shared immense sadness for the history of a city whose very fabric was being torn apart, a world heritage site being smashed by rockets and high-velocity rounds. The officers shook their heads when they led us into the ramparts of the immense citadel. “The terrorists tried to capture it 20 days ago from our soldiers who were defending it,” Major Somar said. “They filled gas cylinders full of explosives – 300 kilos of it – and set them off by the first entrance above the moat.”
»Alas, they did. The huge medieval iron and wooden gate, its ornamented hinges and supports – a defence-work that had stood for 700 years – has been literally torn apart. I clambered over carbonized wood and hunks of stone bearing delicate Koranic inscriptions. Hundreds of bullet holes have pitted the stonework of the inner gate. Below, I found a T-72 tank whose barrel had been grazed by a sniper's bullet which was still lodged in the sheath, its armour broken by a grenade. “I was inside at the time,” its driver said. “Bang! – but my tank still worked!” […]
»Several soldiers believed the rebels were trying to convert the Christians of Aleppo – "a peaceful people", they kept calling them – and there was a popular story doing the rounds yesterday of a Christian storekeeper who was forced to wear Muslim clothing and announce his own conversion in front of a video camera. But in wartime cities, you find talkative soldiers. One of the men who recaptured the entrance to the citadel was Abul Fidar, famous for walking between Aleppo, Palmyra and Damascus over 10 days at the start of the current conflict last year to publicise the need for peace. The president, needless to say, greeted him warmly at his final destination.
»And then there was Sergeant Mahmoud Dawoud from Hama, who had been fighting in Hama itself, Homs, Jebel Zawi and Idlib. “I want to be interviewed by a reporter,” he announced, and of course, he got his way. “We are sad for the civilians of this land,” he said. “They were in peace before. We promise as soldiers that we will make sure a good life returns for them, even if we lose our lives.” He does not mention all those civilians killed by army shellfire or by the ‘shabiha’, or those thousands who have suffered torture in this land. Dawoud has a fiancée called Hannan who is studying French in Latakia, his father is a teacher; he says he wants "to serve his homeland”.
»But the thought cannot escape us that the prime purpose of men like Sergeant Dawoud – and all his fellow soldiers here – was not, surely, to liberate Aleppo but to liberate the occupied Golan…»
…C’est bien entendu le premier paragraphe de la citation qui nous attache : («“You won't believe this,” Major Somar cried in excitement. “One of our prisoners told me: ‘I didn't realise Palestine was as beautiful as this.’ He thought he was in Palestine to fight the Israelis!”») En effet, si l’on en revient à l’image si marquante de l’invasion de la Tchécoslovaquie que nous avons mentionnée ci-dessus, le visage ahuri et plein de désarroi du soldat soviétique répondait à la réaction de la foule tchécoslovaque, furieuse, vindicative, marquée par cette simple exhortation : “Mais que venez-vous donc faire chez nous ? Pourquoi nous envahissez-vous ?” Le soldat, lui, répondait, ou bien il aurait voulu répondre qu’il avait été informé qu’il allait en Tchécoslovaquie pour défendre le peuple tchécoslovaque contre une agression (une invasion en bonne et due forme) des “revanchards ouest-allemands” qui avaient envahi ce pays. C’est en effet ce que la hiérarchie communiste, dans de nombreux cas, avait dit aux soldats pour expliquer l’entrée des forces du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie le 21 août 1968, la raison véritable (écraser la “libéralisation” [Printemps de Prague] en cours dans le pays) pouvant amener des réactions dépressives dans l’état psychologiques des forces engagées, jusqu’à mettre en danger les premières opérations cruciales de l’invasion. (Effectivement, placées devant la réalité de la situation tchécoslovaque, il y eut des problèmes de moral et de cohésion, ainsi que des désertions, dans les forces du Pacte, et nombre d’unités engagées pour l’invasion durent être rapidement retirées et remplacées.)
La question que soulève l’anecdote rapportée par Fisk, selon la véracité de la déclaration du major Soumar qu’il n’y a aucune raison de mettre plus en doute, et beaucoup de raison pour le contraire, que les nombreuses affirmations et évaluations concernant la situation en Syrie depuis des mois, est bien de savoir si certains contingents de rebelles “importés” en Syrie n’ont pas été désinformés sur les conditions, voire le lieu de leur mission dans le sens rapporté ici. Il est difficile de penser, pour le cas du prisonnier cité, qu’il s’agirait d’un cas isolé, pour un rebelle vivant et combattant au milieu d’un groupe spécifique. Il faudrait alors développer l’hypothèse que c’est tout le groupe qui a été engagé selon la fiction qu’il s’agissait d’intervenir aux côtés des Palestiniens contre les Israéliens. Ce cas montrerait, ou plutôt confirmerait tant il y a d’exemples du même acabit, combien les méthodes du bloc BAO dupliquent celles des plus grands ensembles politico-militaires faussaires et déstructurants. (Ce serait même une amélioration, un “progrès” par rapport au cas tchécoslovaque, puisqu’à la narrative sur l’adversaire, on rajoute une narrative sur le lieu.) Évidemment, il n’y aurait vraiment aucune surprise à manifester dans ce cas, mais simplement à constater, si l’anecdote est juste, jusqu’à quel niveau d’exotisme hollywoodien les narrative faussaires conduites selon les règles les plus échevelées du virtualisme du Système nous conduisent.
(…Par contraste, et peut-être contrepoint de la réalité, on notera la dernière remarque de Fisk, qui clôt l’article et reste donc assez énigmatique puisque sans autre explication. [«But the thought cannot escape us that the prime purpose of men like Sergeant Dawoud – and all his fellow soldiers here – was not, surely, to liberate Aleppo but to liberate the occupied Golan…»] Cela signifie-t-il que l’état d’esprit de l’armée syrienne se trouve non seulement dans la bataille contre les rebelles, mais aussi dans un désir de secouer le statu quo supporté depuis 1973-1975 de l’occupation des plateaux du Golan par Israël, un peu comme les Égyptiens sont en train de faire pour le Sinaï dans le cadre du Traité de paix de 1979 dont la contestation rampante se développe ?)
Mis en ligne le 23 août 2012 à 12H25
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