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205011 octobre 2014 – Il est temps d’en venir au concept même, de cette idée qui traîne un peu partout dans les ministères, les chancelleries, les salons et les talk shows. Il s’agit de la “Guerre contre la Terreur”, qui renaît de ses cendres à l’occasion de l’apparition de l’événement-Frankenstein ISIS/EI/Daesh, – mais en prenant son temps, tout de même, puisque l’apparition tonitruante du monstre date de la mi-juin. Quoi qu’il en soit, la chose, – l’alerte générale, la mobilisation, l’appel aux armes, etc., – est désormais déclinée selon toutes ses nombreuses facettes. Le phénomène vaut d’être étudié car il est particulièrement complexe et significatif, et il vaut d’être étudié notamment selon un arrière-plan historique et, au-delà ou plutôt au-dessus, dans le nécessaire contexte métahistorique qui est le sien.
C’est Glenn Greenwald, le 7 octobre 2014 dans The Intercept, qui a donné du phénomène le compte-rendu critique le plus réaliste et en même temps le plus vaste par rapport à ce qu’il juge être les besoins et les intentions de l’establishment washingtonien, c’est-à-dire du Système. Ayant mentionné certains signaux, des confidences, des déclarations de techniciens et d’officiels ces deux dernières années, il en arrive à l’identification et à la description du phénomène qu’il désigne comme “la Guerre sans fin” (Endless War), dont il juge qu’il est désormais la doctrine officielle et la politique étrangère as a whole des États-Unis d’Amérique... Avec cette jolie phrase qui sonne juste : “Au point où nous en sommes, il est inconcevable d’imaginer une Amérique qui ne soit pas en guerre” (ou bien, “...il est impossible de concevoir une Amérique qui ne soit pas en guerre”).
«... All of that received remarkably little attention given its obvious significance. But any doubts about whether Endless War – literally – is official American doctrine should be permanently erased by this week’s comments from two leading Democrats, both former top national security officials in the Obama administration, one of whom is likely to be the next American president.
»Leon Panetta, the long-time Democratic Party operative who served as Obama’s Defense Secretary and CIA Director, said this week of Obama’s new bombing campaign: “I think we’re looking at kind of a 30-year war.” Only in America are new 30-year wars spoken of so casually, the way other countries speak of weather changes. He added that the war “will have to extend beyond Islamic State to include emerging threats in Nigeria, Somalia, Yemen, Libya and elsewhere.” And elsewhere: not just a new decades-long war with no temporal limits, but no geographic ones either. He criticized Obama – who has bombed 7 predominantly Muslim countries plus the Muslim minority in the Phillipines (almost double the number of countries Bush bombed) – for being insufficiently militaristic, despite the fact that Obama officials themselves have already instructed the public to think of The New War “in terms of years.”
»Then we have Hillary Clinton (whom Panetta gushed would make a “great” president). At an event in Ottawa yesterday, she proclaimed that the fight against these “militants” will “be a long-term struggle” that should entail an “information war” as “well as an air war.” The new war, she said, is “essential” and the U.S. shies away from fighting it “at our peril.” Like Panetta (and most establishment Republicans), Clinton made clear in her book that virtually all of her disagreements with Obama’s foreign policy were the by-product of her view of Obama as insufficiently hawkish, militaristic and confrontational.
»At this point, it is literally inconceivable to imagine the U.S. not at war. It would be shocking if that happened in our lifetime. U.S. officials are now all but openly saying this. “Endless War” is not dramatic rhetorical license but a precise description of America’s foreign policy...»
Il est vrai que tout cela fut précédé, ces dernières semaines, de déclarations et de prises de position, autres que celles que cite Greenwald, de personnalités peut-être moins affirmées dans le système de la communication, mais exerçant une influence certaine dans le Système, au niveau des milieux parlementaires et des experts. Nous en citons deux, qui nous paraissent très significatives.
• Le 24 septembre 2014 (dans Breaking Defense), le sénateur démocrate Sam Levin, président de la commission sénatoriale des forces armées... «The allied air strikes against ISIL that brought together the U.S., Saudi Arabia, Bahrain, the UAE and Jordan “are a watershed moment” in the fight to solve terrorism, “the major security issue of our time,” one of the most rational defense lawmakers in Congress [Levin] said today...»
• Harlan K. Ullman, un expert washingtonien que nous citons souvent, notamment pour avoir identifié et défini la “politique de l’idéologie et de l’instinct” (modèle pour nous de la politique-Système), écrit le 1er octobre 2014 : «Make no mistake: in taking the fight to the Islamic State – aka IS, aka the Enemies of Islam – President Barack Obama is at a defining moment for his presidency and probably the future. Perhaps less spectacular than the fall of the Berlin Wall and the implosion of the Soviet Union a quarter of a century ago or September 11th, the decision to catalyze a global fight against Islamic extremism and terrorism could be as far reaching in consequence.»
Nous-mêmes avons déjà dit quelques mots de cette entreprise de “la Guerre contre la Terreur”, telle qu’elle apparaît désormais à l’ordre du jour impératif du bloc BAO. Nous en avons parlé dans notre F&C du 27 septembre 2014 ; d’autre part, dans un Bloc-Notes du 7 octobre 2014, parlant à nouveau, de façon accessoire, de cette “Guerre contre la Terreur”, nous l’identifiions et la classions comme n°3 (3.0, dans le jargon informatique actuel)...
«... On s’arrête ici à sa chronique du 5 octobre 2014, où il [M.K. Bhadrakumar] plaide avec passion pour que l’Inde n’aille pas, surtout pas, s’engager dans cette nième “Guerre contre la Terreur” (contre ISIS/EI/Daesh/etc.). Sur ce point, il n’a pas tort, car cette “Guerre contre la Terreur” qui serait la troisième du nom (selon notre comptabilité absolument subjective) est évidemment la plus absurde de toutes ; cela, suivant la loi selon laquelle cette formule (“Guerre contre la Terreur”) ne recouvrirait rien d’autre que le désordre du monde en augmentation accéléré, et que plus on avancerait dans ses éditions successives plus on plongerait dans un désordre renouvelé et aggravé, et que chaque nouvelle “Guerre contre la Terreur” serait nécessairement plus absurde que les précédentes. Nous en sommes à l’hyper-désordre et Bhadrakumar constate que la “Guerre contre la Terreur”-3.0 est déjà un échec, en ce sens qu’elle approche de l’impasse par rapport à la “stratégie” choisie par le bloc BAO, Obama en tête.»
... “[N]otre comptabilité absolument subjective”, certes, mais à laquelle nous tenons, et que nous expliquons, pour le coup, d’une façon très objective. Le concept de “Guerre contre la Terreur” est très spécifique à une époque, à une politique, à une psychologie, tout cela née par transmutation effectivement psychologique à partir de l’attaque du 11 septembre 2001. (Greenwald propose effectivement cette chronologie. Justin Raimondo, qui fait une analyse à partir de Greenwald, sur Antiwar.com le 10 octobre 2014, propose de faire remonter cette chonologie dite de “la guerre perpétuelle” à partir de 1989 et de la chute du Mur, avec les interventions US qui ont suivi pour les années 1990, – Panama, guerre du Golfe, guerre du Kosovo.)
Nous envisageons ce concept de “Guerre contre la Terreur” (“guerre sans fin” pour Greenwald/Raimondo) à partir de 9/11, surtout parce que l’événement de 9/11 introduit une modification fondamentale dans la psychologie américaniste, dans la perception, dans l’activité qui en résulte ; il permet au Système de s’installer, à visage découvert, au centre de toutes les activités auxquelles il insuffle sa surpuissance, que ce soit aux USA, ou bien aux USA élargis au bloc BAO ; il crée ainsi une problématique absolument inédite, notamment pour la guerre qui prend un tour si particulier, qui devient une structure même de l’activité et du développement du monde postmoderniste... C’est avec ces conceptions à l’esprit que nous identifions les trois “Guerre contre la terreur” successives.
• La “Guerre contre la Terreur” 1.0 est évidente. Elle est déclarée de facto quelques minutes après que les tours du WTC aient été percutées. Le premier à proclamer la chose est le général Haig qui est interviewé par CNN sur l’attaque qui vient d’avoir lieu, et qui déclare “We are at war”. A ce moment, la guerre, qui devient très vite “Guerre contre la Terreur”, présente la particularité d’être centrée sur deux pays (l’Afghanistan et l’Irak), avec quelques autres en réserve (voir les fameuses révélations du général Wesley Clark, le 5 mars 2007). Par contre sur la durée, toutes les fleurs de l’imagination sont permises. D’ores et déjà, on parle d’une nouvelle “Guerre de Cent Ans”, et même (déjà) d’une “guerre sans fin”. (Si l’on trouve une contradiction entre le fait que la contre-attaque de l’Amérique ainsi défiée soit prévue contre des cibles réduites à quelques pays, et le concept de “guerre sans fin”, qu’on ne s’affole pas. La contradiction n’a jamais fait peur à la psychologie américaniste post-9/11, type neocon-allumé...) Enfin, cette première “Guerre contre la Terreur” est déclarée dans sa conception comme une acte absolument unilatéral, par les USA seuls, au point que ces mêmes USA, dès le 13 septembre 2001, répondent à une offre d’aide des Britanniques qu’ils entendent agir seuls ; de même repoussent-ils, le 26 septembre 2001, dans le chef de Wolfowitz venu à l’OTAN, une offre de l’OTAN d’application de l’article 5 impliquant une participation institutionnelle des pays de l’OTAN à la riposte américaniste. Si nécessaire, selon les opportunités et les nécessités, les USA convoqueront une coalition ad hoc (coalition of the willing) qu’ils entendent gérer de bout en bout, et traiter avec le mépris que mérite cette chose puisqu’il s’agit de sous-fifres et de porte-flingue chargés d’instructions temporaires.
• La “Guerre contre la Terreur” 2.0 (voir aussi ce même 11 octobre 2014) est élaborée en 2004-2006 par le Pentagone. (On la nomme aussi GWOT, pour “Great War On the Terror”.) Elle naît d’une réflexion essentiellement faite au Pentagone, figurant dans la grande revue QDR-2006 (Quadriennal Defense Review), quadriannuelle, du même Pentagone. Elle est née du cerveau enfiévré et assez complexe d’un Rumsfeld dans ses dernières années au Pentagone, de la reconnaissance que les expériences afghane et irakienne sont plus que médiocres, qu’elles n’arrêtent en rien la “Terreur” (au contraire, elle l’exacerbe), que la “Terreur” est par définition sans frontières, globale, et que c’est dans ce cadre qu’il faut l’affronter. Comme la bureaucratie du Pentagone ne fait pas dans la poésie ni dans l’imagination exacerbée, les limites sont modestes (!), et la GWOT, officiellement désignée “La Longue Guerre” (“The Long War”) est prévue pour durer jusqu’à un siècle. Les moyens de cette guerre sont toutes les sortes d’intervention spéciales, secrètes, etc., autour des forces spéciales avec l’extension considérable du SOCOM (Special Operations Command), qui prépare déjà le JSOC (Joint Special Operations Command). Très vite, la dimension de l’utilisation massive des drones va s’ajouter aux activités déjà citées, et cet outil général de guerre secrète et illégale sera hérité par l’administration Obama qui en fera ample et cynique usage. Comme dans le cas précédent, et cela bien dans l’esprit de Rumsfeld, cette “Guerre contre la Terreur” 2.0 concerne les USA seuls, avec possibilité là aussi de coalitions ad hoc, selon les besoins, sur convocation des USA.
• Enfin, notre “Guerre contre la Terreur” 3.0. Rien n’est fondamentalement changé par rapport à la 2.0, sur les moyens, les objectifs, la planification, les ambitions, tout cela très bien illustré par la phrase de Greenwald (“Au point où nous en sommes, il est inconcevable d’imaginer un Amérique qui ne soit pas en guerre” [ou bien, “...il est impossible de concevoir une Amérique qui ne soit pas en guerre”]). Hormis cela, tout est très différent. Ce qui est très remarquable dans le séquence ayant mené à la “déclaration de guerre” actuelle, c’est un processus sans rapport avec les deux précédents... Successivement des alarmes soudaines quoiqu’anarchiques devant l’apparition-blitzkrieg d’ISIS (juin 2014), suivies d’une sorte de nonchalance devant les événements, des hésitations, des calculs politiciens (le départ d’Al Maliki), – tout cela entrecoupé de développements hypothétiques sur les positions des uns et des autres (ISIS, fabrication de la CIA, ou bien des “amis” déstabilisateurs, etc.)... Puis, avec les premières frappes en Syrie (alors que des frappes avaient déjà été effectuées en Irak), une sorte d’explosion de communication, pompe du discours et hybris guerrier, devant un nouveau géant amené à bouleverser le monde jusqu’au-delà de l’avenir, – ce géant de l’histoire nouvelle, la “Guerre contre la Terreur” 3.0.
• D’autre part, et également contrairement aux deux précédentes éditions qui impliquaient les USA seuls, cette “Guerre contre la Terreur” entend impliquer dès le départ une coalition la plus large possible, avec des conceptions différentes, des objectifs désordonnés et parfois contradictoires, à l’image de l’hyper-désordre de la situation générale. En effet, se poursuit parallèlement, sur le terrain, le développement vers la complication la plus extrême de forces diverses et aux objectifs différents, avec des retournements comme font des nœuds serrés confrontés entre eux (comme par exemple la position singulière de la Turquie d’Erdogan qui est en train de devenir la bête noire de tous les pays engagés.) Comment caractériser cette séquence, au contraire des deux précédentes, sinon par le mot désordre, et même l’expression forgée pour l’occasion d’“hyper-désordre” ? Cette fois, c’est l’hyper-désordre de la psychologie américaniste, par conséquent du jugement et de l’évaluation qui en procèdent, qui se manifeste en répondant ainsi, ou plutôt en s’y conformant comme si elle en était la prisonnière, à l’hyper-désordre du monde.
• “Guerre contre la Terreur” 3.0 ou “Guerre contre la Terreur” 3.0-moins ? Une autre différence fondamentale avec les deux précédentes éditions, c’est qu’en principe cette “Guerre contre la Terreur”, qui doit embrasser par vocation toutes les situations du monde, laisse nécessairement de côté un énorme pan de la situation crisique du monde, sur l’axe ukrainien, avec les rapports antagonistes avec la Russie, et indirectement avec la Chine, le SCO, les BRICS, etc. Cet axe-là, qui était en sommeil dans les cas précédents, est aujourd’hui en pleine activité et, à notre sens il est bien plus important dans sa “vérité de situation” que l’affaire ISIS/EI/Daesh ... La “Guerre contre la Terreur” 3.0 boîte, ou bien il lui manque une jambe, – enfin, bref, il y a quelque chose qui cloche de ce côté aussi...
Dans le sens où l’on s’attache au seul élément des nécessités inhérentes au seul système de l’américanisme (lobbies des milieux bellicistes, pressions des groupes idéologistes, industrie de l’armement, bureaucratie du Pentagone, etc.), on ne peut que souscrire à l’analyse de Greenwald constatant la nécessité pour les USA d’être en “guerre perpétuelle”. Mais il faut alors l’étendre à une situation des USA remontant à 1989 (comme le fait Raimondo), et non plus la restreindre à la période commençant à 9/11. Il faut même l’étendre bien au-delà dans l’histoire, notamment à la création de l’État de Sécurité Nationale (National Security State, ou NSS) datant de 1947. On se reportera à cet égard à notre texte du 21 février 2011 sur l’évolution du complexe militaro-industriel, avec l’épisode de la publication du rapport apparu en 1967, Report From Iron Mountain, un faux prémonitoire ...
«Le Complexe devient donc système, soit technocratique, soit mystique (égrégore), ou les deux à la fois, et il établit aussitôt son empire. Divers signes nous informent de cette transformation radicale. Le plus étrange et le plus caractéristique est un “livre” présentant un soi-disant rapport officiel rédigé par un rassemblement d’experts, qui est un faux caricatural écrit par les adversaires du Complexe, mais qui rencontre involontairement les ambitions du Complexe. ‘Report From Iron Mountain’, – le bien nommé avec cette référence à une “montagne de fer”, – établit la nécessité d’une “guerre perpétuelle” pour l’accomplissement de la “destinée manifeste” du Complexe. Ce faux rapport résonne étrangement, comme s’il était vrai, à l’heure de la guerre sans fin contre la Terreur...»
Enfin, pour boucler cet aspect de l’interprétation de la “Guerre contre la Terreur” 3.0, on notera que la création du NSS, accompagné du complexe militaro-industriel qui établit alors ses structures définitives, ne fait que reprendre sous une autre forme, plus clairement belliciste et associée à l’activité du système du technologisme, la substance impérialiste fondamentale des USA telle qu’elle s’est développée d’une façon cohérente au moins depuis 1847 et la guerre d’agression contre le Mexique (apparition du concept de Manifest Destiny, fondement opérationnel de l’idée de l’exceptionnalisme américaniste). (Tout cela répond à la référence ici évidente de l'idéal de puissance.)
Mais nous entendons nous attacher à un tout autre point de vue pour considérer cette “Guerre contre la Terreur” 3.0/“guerre sans fin”, et là, effectivement, nous distinguons décisivement la période depuis 9/11 du reste, nous la détachons complètement. C’est accepter le classement de Greenwald, mais pour une toute autre raison, où la psychologie de l’américanisme et l’activisme du Système à la lumière des contraintes métahistoriques jouent un rôle décisif. Ce qui caractérise le comportement US depuis 9/11, ce n’est pas l’affirmation d’une “guerre sans fin” dont on a vu qu’elle est implicite depuis bien plus longtemps dans la substance même de cette puissance exprimée d’une façon structurée depuis la création en 1947 du National Security State. Avec 9/11 et le choc subi (Raimondo le qualifia fort justement dans une de ses chroniques de “trou dans la continuité espace-temps” [voir le 11 octobre 2011]), la psychologie américaniste a été absolument bouleversée et placée dans des conditions d’urgence alimentant aussi bien une intense fatigue qu’une hystérie sans limite. Le mot de GW Bush le 13 septembre 2001 (“Qui n’est pas avec nous est contre nous”) caractérise essentiellement cette psychologie placée dans le contexte non plus de l’histoire mais de la métahistoire : la période ouverte avec 9/11 est celle du “tout ou rien”, celle où l’ambition suprême de l’américanisme est confrontée décisivement à son destin. L’Amérique doit imposer l’américanisme “jusqu’à la Fin des Temps”, c’est-à-dire pour l’éternité, ou bien elle périra. La rhétorique des “Guerres contre la Terreur”, sous-entendu la “guerre sans fin” avec l’implication de l’infini, opérationnalise ce dilemme final. Ce qui compte dans cette conception est bien plus la notion de “sans fin”, qui renvoie à la notion d’infini selon la métaphysique simulacre de 9/11, que la notion de “guerre”.
Dans cette conception, selon ce point de vue, la dégradation manifeste des “Guerres contre la Terreur” entre les éditions 1.0 et 2.0 d'une part, la version 3.0 de l'autre, est absolument fondamentale. Les deux premières éditions étaient proclamées et programmées d’une façon cohérente (bureaucratique dans le second cas) pour effectivement conduire l’entreprise en la contrôlant. (Les USA doivent contrôler tout, y compris leur métaphysique et l’infini qui s’en déduit.) La “Guerre cotre la Terreur” 3.0, c’est tout le contraire. Il y a le réflexe désormais pavlovien de “guerre sans fin”, mais les conditions sont déplorables, déstructurantes et dissolvantes. C’est le désordre devenu hyper-désordre qui décide tout et contrôle tout (y compris et surtout l’hyper-désordre des coups fourrés et montages sans fin des différents centres de force des USA, créant ISIS, manipulant ISIS, étant manipulés par ISIS, ne contrôlant plus ISIS, etc., et le reste à l’avenant). Ainsi, la “Guerre contre la Terreur” 3.0 a été imposée aux USA par l’hyper-désordre dont les USA sont le détonateur après avoir été le producteur de ses composants ; ils ne sont pas prisonniers d’un monstrueux Frankenstein nommé ISIS/EI/Daesh qu’ils ont engendré, ils sont prisonniers de l’hyper-désordre qu’ils ont méthodiquement développé, notamment avec le susdit-Frankenstein. (Nous disons “ils” pour les USA, mais c’est aussi bien le bloc BAO, et le reste bien entendu, – “tout est dans tout et inversement” dans ce cas qui est celui de l’ultime partie qui est ainsi engagée sous l’égide du Système.) La “Guerre contre la Terreur” 3.0 n’a pas institutionnalisé une fois de plus une ambition de “guerre sans fin”, elle est l’institutionnalisation pseudo-rationnelle de l’hyper-désordre ; et alors le concept de “guerre sans fin” devrait plutôt être nommé “guerre perpétuelle”, dans le sens de “guerre à perpétuité” comme l’on parle d’une peine de prison ; et l’on sait que cette idée n’est plus celle de l’infini, mais de la durée imposée au prisonnier qui purge sa peine jusqu’à ce que la mort interrompe la chose.
Pour poursuivre cette analyse, il faut l’élargir, et c’est là qu’entre en jeu notre concept central, celui du Système conçu un peu comme nous le suggérions pour le cas du Pentagone, ou le CMI, qui en sont évidemment des émanations («Le Complexe devient donc système, soit technocratique, soit mystique (égrégore), ou les deux à la fois...»). C’est dire que toutes les péripéties du système de l’américanisme se placent nécessairement, pour nous, dans le cadre du Système, de cette situation métahistorique où le Système a établi son empire essentiellement sur les USA en tant que force du technologisme et de la communication, – tout cela dans la logique des développements historiques nés de l’événement métahistorique du déchaînement de la Matière. Dans ce cas, le déchaînement de la psychologie américaniste à partir de 9/11, et au travers des diverses éditions de la “guerre sans fin”, constitue surtout une réaction des pressions de la nouvelle situation créée par l’installation du Système et de sa dynamique de surpuissance au centre des événements du monde, et comme matrice de ces événements. (On comprend d’autant mieux que la “politique de l’idéologie et de l’instinct” de GW Bush telle qu’identifiée par Ullman n’est rien d’autre qu’une application fidèle de la politique-Système produite par le Système, et caractérisée par une surpuissance produisant déstructuration et dissolution, avec comme but ultime l’entropisation [formule dd&e].)
La description de cette singulière “Guerre contre la Terreur” 3.0 dans les conditions qu’on a signalées est alors d’autant plus significative. S’il s’agit effectivement d’une paradoxale institutionnalisation de l’hyper-désordre créé par les USA (par le Système et sa surpuissance), il s’agit surtout d’une institutionnalisation du processus de surpuissance du Système ayant produit l’hyper-désordre et se transformant en dynamique d’autodestruction... C’est bien cela : comme les USA, qui sont son porteur d’eau et son exécutant, le Système se fait prisonnier du monstre de l’hyper-désordre qu’il a enfanté en institutionnalisant, ou en faisant institutionnaliser par son porteur d’eau, cet hyper-désordre dans la “Guerre contre la Terreur” 3.0.
Le principal effet de la “Guerre contre le désordre” 3.0 va donc être au moins de figer l’hyper-désordre dans son degré actuel de virulence, et même de l’accroître, avec la seule possibilité pour lui (pour l’hyper-désordre) de s’étendre, de se renforcer, de quasiment s’institutionnaliser sous l’action de légitimation-faussaire (tout est faussaire et inverti dans cette époque) de la mystique-“Guerre contre la Terreur”. Cela se matérialisera très vite, – si ce n’est déjà fait avec le cas de la Turquie, – parce que la surpuissance du Système en phase quasi-autodestructrice est à l’œuvre. Cette orientation est d’autant plus probable, sinon quasi-certaine, à cause de l’état d’épuisement et d’hystérie à la fois de la psychologie de la direction américaniste, avec un président qui est le parfait exécutant dans le sens du pire avec sa nonchalance, son hésitation permanente et sa rhétorique belliciste et faussement mystique (l’exceptionnalisme américaniste). Rien que les débats qui vont s’amplifier, se multiplier à Washington, du fameux “boots on the ground ou pas (troupes terrestres engagées ou pas) constitueront un fameux aliment en carburant de très haut octane pour notre fameux hyper-désordre.
On peut encore ajouter un complément opérationnel qui n’est pas rien, qui est même essentiel, qui est de savoir où l’on fixe, dans tout cela, la situation de l’axe crisique fondamental bloc BAO-Ukraine-Russie et tout ce qui va avec. Cet antagonisme entre le bloc BAO et la Russie empêche une association franche de la Russie et des puissances qui lui sont associées à cette “Guerre contre la Terreur”, alors que cette association a toute la logique pour elle. Au contraire, à cause de l’extension naturelle de la “Guerre contre la Terreur” et de l’hystérie des psychologies qu’elle alimente, on peut s’attendre à des interférences antagonistes avec l’axe crisique impliquant la Russie et ses alliés, et là encore, un élément de plus pour l’hyper-désordre ; et l’on sait combien cette axe crisique bloc BAO-Ukraine-Russie concerne une vérité de situation bien plus forte que celle de la “Guerre contre la Terreur”, avec la dangerosité à mesure...
Mais tout cela, certes, reste du domaine de la supputation. Il reste, pour l’essentialité de la chose, que la “Guerre de la Terreur” 3.0 telle que nous l’observons est évidemment le contraire de la stabilité, de la pérennité, le contraire de l’éternité que voudrait impliquer une guerre dont on assure qu’elle est sans fin. Il y a en effet une contradiction fondamentale entre cette prétention à l’infini et l’hyper-désordre qu’entretient et produit son opérationnalisation, et l’on comprend aisément qu’au contraire des croyances prévalant en général cette “Guerre contre la Terreur” 3.0 est la formule idéale de la surpuissance devenue autodestruction du Système. L’histoire récente montre que la situation idéale pour le Système est la stabilité armée et même surarmée, les antagonisme au plus haut niveau gelés en l’état, l’ordre immuable de la confrontation verrouillée, – comme l’a illustré la Guerre froide. Au contraire, la “Guerre contre la Terreur” implique l’instabilité, l’antagonisme insaisissable, le désordre devenu hyper-désordre et institutionnalisé. Pour laisser les choses débouler dans cet étrange apparat, il faut bien que le Système est devenu fou, – et que ce soit sous le coup de l’hybris et/ou de la fatigue hystérique des psychologies de ses exécutants ne change rien à la gravité du constat. Le Système est ainsi prisonnier de la créature de ses exécutants, prisonnier de la “Guerre contre la Terreur” ; il ne peut plus faire qu’attendre l’exécution de la sentence de la métahistoire, – en se débattant furieusement, certes, mais cela ne fait qu’accélérer encore la chose.
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