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12463 décembre 2008 — Il est difficile de suspecter le Premier ministre démissionnaire israélien Ehud Olmert et le chroniqueur du New York Times Roger Cohen d’anti-sionisme, voire d’antisémitisme, – puisqu’il s’agit des “jugements” favoris à l’encontre de ceux qui émettent quelques doutes sur le bon sens et la raison de la politique israélienne telle qu’elle est suivie, dans sa version maximaliste, depuis quelques années. De plus, ils sont aux premières loges pour cet exercice d’appréciation, notamment Ehud Olmert, actuel PM israélien démissionnaire.
On lira avec le plus grand intérêt deux textes qui viennent d’être publiés, qui sont de ces deux personnalités citées.
• Le premier est une interview d’Ehud Olmert, de fin septembre, au journal Yedith Aronoth, reprise par le New York Review of Books daté du 4 décembre. Le titre de NYRB est, présenté sous la signature de Olmert: «The Time Has Come to Say These Things.»
• L’autre est une chronique de Roger Cohen, dans le New York Times du 1er décembre, sous le titre, adressé à Hillary Clinton: «Try Tough Love, Hillary», – “Essaie l’amour vache, Hillary”; cet “amour” est bien celui que la nouvelle secrétaire d’Etat prétend porter à Israël. Cohen s’appuie essentiellement sur l’interview d’Olmert pour conseiller aux USA d'adopter une politique responsable vis-à-vis d’Israël, autre chose que ce soutien aveugle, inconditionnel, irresponsable, aux tendances israéliennes les plus extrémistes; ce qui s’avère en réalité, à force d’être proclamé et venant d’un allié-tuteur d’une telle puissance, un encouragement impératif, voire une consigne indiscutable à effectivement agir dans le sens le plus extrémiste.
Ainsi s’exprime Roger Cohen, qui n’est certes pas un tendre: «Imagine Ehud Olmert, the outgoing Israeli prime minister, saying this to Barack Obama:
»“The United States has been wrong to write Israel a blank check every year; wrong to turn a blind eye to the settlements in the West Bank; wrong not to be more explicit about the need to divide Jerusalem; wrong to equip us with weaponry so sophisticated we now believe military might is the answer to all our problems; and wrong in not helping us reach out to Syria. Your chosen secretary of state, Hillary Clinton, said during the campaign that ‘the United States stands with Israel, now and forever.’ Well, that’s not good enough. You need to stand against us sometimes so we can avoid the curse of eternal militarism.”
»Perhaps that seems unimaginable. But Olmert has already said something close to this. In a frank September interview with the Israeli daily Yedioth Ahronoth, reprinted this month by The New York Review of Books, the Israeli leader chose to exit with a mea culpa for his country’s policies.
»Those policies have been encouraged by the Bush administration, whose war on terror was embraced by the Israeli government as a means to frame Israel’s confrontation with the Palestinians as part of the same struggle. No matter that Al Qaeda and the Palestinian national movement are distinct. The facile conflation got Bush in lock step with whatever Israel did.
»So, by saying Israel has been wrong, Olmert was also saying the United States has been wrong, even if he never mentioned America.»
L’interview d’Olmert vaut la lecture; par exemple lorsque le PM démissionnaire décrit la vanité de la puissance et de la politique de puissance d’Israël, en expédiant au passage tous ceux qui tremblent en décrivant la faiblesse d’Israël face à ses voisins:
«Were a regional war to break out in the next year or two and were we to enter into a military confrontation with Syria, I have no doubt that we'd defeat them soundly. We are stronger than they. Israel is the strongest country in the Middle East. We could contend with any of our enemies or against all of our enemies combined and win. The question that I ask myself is, what happens when we win? First of all, we'd have to pay a painful price.
»And after we paid the price, what would we say to them? “Let's talk.” And what would the Syrians say to us? “Let's talk about the Golan Heights.” So, I ask: Why enter a war with the Syrians, full of losses and destruction, in order to achieve what might be achieved without paying such a heavy price?»
Les détails de ce que dit Olmert, sur les modalités de telle ou telle chose, sur la façon dont il envisage que la ville de Jérusalem soit laissée aux Palestiniens, sur la paix qui doit être faite avec la Syrie au prix inévitable de la restitution des hauteurs du Golan, etc., ces idées concrètes importent bien moins que l’état d’esprit qu’elles montrent, qu’Olmert nous montre. C’est-à-dire qu’il parle de la paix et de la guerre selon une approche fondamentale qui est la sienne désormais (depuis 2007, précise-t-il, et non pas seulement depuis qu’il est sur le point de quitter la scène politique)…
«...In the absence of peace, the probability of war is always much greater. A prime minister must ask himself where to best direct his efforts. Are his efforts directed toward making peace or are they directed constantly toward making the country stronger and stronger and stronger in order to win a war?
»...What I'm saying here has never been said by a leader of Israel. But the time has come to say these things. The time has come to put them on the table.
»I read the reports of our generals and I say, “how have they not learned a single thing?” Once, a very senior official told me, “They're still living in the War of Independence and the Sinai Campaign.” With them it's all about tanks, about controlling territories or controlled territories, holding this or that hill. But these things are worthless.»
Il y a dans les déclarations d’Olmert un aspect remarquable d’une perception inhabituelle qu'on doit mettre en évidence. La sensation qu’on éprouve est celle d’un homme qui se révolte, ou qui tente de se révolter contre une pesanteur générale qui bride le discours et contraint les actes. Il semble dire que ce qu’il dit, beaucoup de gens le pensent et bien peu osent le dire, même à voix basse. Il y a l’impression d’un système écrasant, qui pousse sans cesse à la surenchère, à la fuite en avant, à l’agressivité et vers les situations de tension, qui impose mécaniquement une politique brutale et sans issue. C’est le système de la montée aux extrêmes, aveugle, avec la brutalité qui marque les relations, y compris entre gens du même “camp”. Il faut lire le récit qu’Olmert fait de Sharon, revenant d’une rencontre avec des parlementaires après qu’il ait décidé, en 2005, un retrait de la bande de Gaza…
«I saw Sharon immediately after he met with the Foreign and Defense staffs. Sharon was paler than I had ever seen him. I asked my friend Dov Weisglass, Sharon's chief of staff, what had happened. He said that Arik had returned from the committee, where Knesset members Uzi Landau and Effi Eitam had said to him, “you're a gangster,” “you're a criminal,” “you're despicable,” “you're a thief.” Sharon is an older man and not in great shape—a number of weeks later he was through—and he was in complete shock.»
On comprend alors combien Israël, qu’on charge souvent de pouvoirs mystérieux, notamment pour en faire une influence comploteuse conduisant d’une main cachée la politique agressive des USA, est en réalité victime du même système qui nous étouffe tous. Plus que jamais, nous voyons Israël, tel que ce pays est encore structuré dans sa direction, comme une entité fortement influencée, sinon contrôlée par le Pentagone, lui-même système aveugle et dévorant s’il en est, – “the House of War” de James Carroll. Il s’agit d’un enchaînement et d’un enchevêtrement de systèmes et de relations contraintes de systèmes. C’est contre cela, essentiellement, qu’Olmert se révolte, – et cela vaut pour ce que cela est, même si Olmert a été complice et prisonnier du système, et sans doute qui l’est encore en partie. Mais tous, plus ou moins, ils en sont là, et même pourrait-on dire que, tous, plus ou moins, nous en sommes là.
Mais il y a aussi l’état d’esprit de la révolte. (On notera bien sûr que nous sommes dans notre domaine favori de la psychologie et de ses effets sur la politique.)
C’est cela, parlons de l’état d’esprit. Depuis quelques semaines, depuis quelques mois, un nouvel état d’esprit apparaît, ou bien faut-il simplement parler d'un état d’esprit évoluant différemment, – ou bien, plus encore, d’un état d’esprit jusqu’alors contraint, dissimulé, tenu à distance, qui commence à se faire entendre. On en voit de plus en plus la trace, au-delà des supputations de manœuvres, d’arrière-pensées et de complots des uns et des autres, et même s’il y a ceci, ceci et cela également. Il est préférable, à ce point et pour tenter de comprendre la situation dans sa globalité et non dans ses spécificités cloisonnées, de cesser de tenter de démontrer quelque chose, une thèse politique ou l’autre, tenter d’avoir raison ou essayer de ne pas avoir tort par rapport à d’autres jugements qu’on fit précédemment.
Il y a un fil rouge qui relie ces déclarations ou ces écrits (Olmert, Cohen); avec l’évolution des Russes à l’occasion de et depuis la crise géorgienne; avec l’évolution d’un Sarkozy se tournant vers les Russes pour tenter de débloquer une situation européenne enlisée dans d’extraordinaires archaïsmes; avec la mise en cause du système général occidental à l’occasion de la crise; avec l’attente autour d’Obama, jusqu’à le forcer à accepter la représentation d’une mission de changement, jusqu’à entendre des échos de l’exigence qu’il devienne un “American Gorbatchev” de milieux (des économistes allemands) qui ne nous ont pas habitués à cette sorte d’audace.
Il y a un épuisement de la psychologie après ces sept années de tension et de description d’un univers absurde, ces affirmations et ces envolées apocalyptiques, cette montée à l’extrême de la caricature nihiliste de la violence, de l’aveuglement idéologique, etc., – tout cela, comme une mécanique, comme une machine tournant folle, comme l’expression d’un système évidemment (car nous décrivons les années Bush comme l’installation au pouvoir de la création ultime du système de l’américanisme). Il y a un épuisement psychologique, comme le terme d’une tension insupportable, moins provoquée par la violence que par l’obligation de sembler croire à la description d’un monde qui n’existe pas.
Pourquoi maintenant? Même l’élection US ne suffit pas comme explication, d’autant que nous avons maintes fois présenté notre interprétation selon laquelle cette élection a été dirigée, rythmée, scandée par la crise, et que son résultat autant que la psychologie qui l’accompagne sont les effets et les enfants de la crise. L’élection ne serait rien sans la crise. C’est effectivement dans cette crise, – peu importe qu’elle soit financière, qu’elle soit ceci, qu’elle soit cela, – qu’il nous faut chercher une hypothétique explication à la mesure du phénomène éventuellement perçu. Nous pensons que la puissance de cette crise, ce qui l’a précédée immédiatement et ce qui l’a accompagnée, ce qui s’est exprimé corolairement par d’autres événements déstabilisants et à partir d'autres détonateurs comme la crise géorgienne, ont déstabilisé l’univers fantoche dans son aboutissement où nous vivons depuis sept ans. Voilà ce que nous jugeons être cette poussée libératrice des esprits qu’il semblerait qu’on puisse commencer à identifier, qui n’est pas pour telle ou telle cause, pour telle ou telle idéologie, tel ou tel parti, mais simplement et puissamment dans le but d'à nouveau considérer et accepter la réalité pour ce qu’elle est, et envisager de s’exprimer à son propos et à haute voix.
On observera que ce n’est certainement pas une exclamation optimiste qu’on doit entendre dans ces lignes. La réalité, aujourd’hui, est affreuse, terrible, eschatologique, celle d’un fin de civilisation, réalité sans aucun doute pire que l’univers à gros traits grotesque que nous décrivent GW Bush et les autres, et que toute la machinerie de communication relaie comme les moutons suivent le système. Mais la réalité, qu’importe laquelle, la réalité est préférable au reste. Dans ses souvenirs, en 1978, Chostakovitch rapportait la joie étrange, extraordinaire, qui s’empara de l’URSS redevenue Russie juste après l’attaque allemande, après que Staline ait lancé son fameux appel à la résistance de juillet 1941 à la nation russe, à l’âme russe («Petits frères, petites sœurs»); Chostakovitch expliquait que cette joie étrange venait du simple fait de retrouver la réalité, fût-elle celle d’une guerre impitoyable dans ses heures les plus sombres, après la contrainte incroyable que l’univers stalinien avait fait peser sur la perception même des gens. Certes, GW n’était pas Staline, mais le système est-il si différent dans son esprit…
Par conséquent, peut-être, effectivement, que “le temps est venu de dire ces choses”.