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142628 juillet 2014 – On sait que, au milieu des agitations souvent considérables qu’a déclenché la crise ukrainienne à Washington, le Pentagone s’est surtout distingué par une discrétion qu’on pouvait croire de bon aloi. Mais voici que des propos du général Dempsey, président du comité des chefs d’état-major, pour une de ses premières interventions publiques (hors des auditions au Congrès) sur la crise ukrainienne, sème le désarroi et l’incertitude et tendent à bouleverer les constats faits jusqu'ici. L’intervention s’est faite à Aspen, dans le Colorado, lieu d’un séminaire annuel, plus ou moins protégé par une certaine confidentialité et rassemblant des représentant de ce qu’on a coutume de nommer le Deep State, sur les questions de sécurité nationale.
Dempsey parlait jeudi dans l’après-midi (vendredi matin pour l’Europe), quelques heures après qu’il eut été annoncé que la Russie avait déclenché un tir d’artillerie en barrage contre des positions de l’armée ukrainienne. La nouvelle était venue du Pentagone, d’abord sans confirmation immédiate de Kiev, qui d’habitude prend le moindre incident, qu’il ait ou non le moindre lien avec les Russes, pour développer de violentes diatribes antirusses et accuser les Russes de tous les maux et d’une responsabilité pleine et entière. Cette fois donc, de façon inhabituelle, le Pentagone fut le premier ; ensuite, Kiev a évidemment rejoint l’accusation venue de Washington, en fidèle suiveur de son “parrain”, – prolongement sans intérêt pour évaluer l’événement, mais prolongement dans un sens inhabituel. Bien entendu et selon son habitude, le département d’État, qui est à Washington le centre de pouvoir producteur et accélérateur de toutes les affirmations bellicistes possibles, a aussitôt pris à son compte la nouvelle et l’a affirmée d’une façon abrupte et irréfutable, et sans aucune nécessité de preuve.
Ce qui est étrange et remarquable, c’est que les déclarations de Dempsey ont elle-même un tour très inhabituel, – encore plus compte tenu de son extrême discrétion ces dernières semaines, – puisqu’elles sont l’occasions de prises de position et d’évaluations importantes, sinon dramatiques en un sens. Le rapport avec la nouvelle des tirs d’artillerie russes est également étrange. Pendant trois jours, l’annonce de ces tirs d’artillerie n’a été suivie d’aucune autre annonce particulière d’activités de cette sorte et est très vite passée au second plan, voire passée à la trappe des constantes annonces d’intervention russes non confirmées, démenties par les Russes, oubliées d’un jour à l’autre, etc. La chose apparaissait alors comme un épisode de plus de la “guerre de communication”, une de ces annonces alarmistes de plus qui sont laissées à elles-mêmes une fois faites, et en plus marquée par des tentatives de “preuve” par action faussaire sur réseaux sociaux (voir l’épisode du tweet du soldat russe Vadim Grogoreev, dénonçant l’utilisation de son compte par un hacker passant un faux message annonçant ces tirs d’artillerie [Novosti, le 25 juillet 2014]).
Bien entendu, le département d’État et Marie Harf avaient, de leur côté, marqué l’événement... Russia Today rapportait, le 25 juillet 2014, un échange de plus entre la porte-parole Marie Harf et son “tourmenteur” principal, le journaliste Matthew Lee, de Associated Press, qui ne manque jamais de mettre en question les affirmations de Harf... «Hours before Dempsey delivered his address at the Aspen Security Forum, US State Department spokesperson Marie Harf said during a scheduled press briefing that new intelligence has surfaced suggesting Russia has been firing artillery at Ukrainian military positions from within its own borders. As RT reported at the time, however, Harf’s remarks were quickly questioned by Associated Press reporter Matthew Lee, who in turn called upon the State Dept. to present any evidence beyond the spokesperson’s otherwise unsubstantiated allegations. “I think that it would be best for all concerned here if when you make an allegation like that you’re able to make it up with something more than just ‘because I said so,’” Lee countered Harf’s claims.»
Puis, brusquement, après ces passes d’armes où aucun document n’était mentionné, des photos “prouvant” les échanges d’artillerie sont apparues, mais d’origine civile relayées par l’ODNI (bureau du Director of National Intelligence), et sur le site de l’ambassadeur US à Kiev (Geoffrey Pyatt, relais préféré de Victoria Nuland pour l’organisation de la subversion en Ukraine). ZeroHedge.com annonçait et présentait la chose le 27 juillet 2014, rappelant l'accointance Nuland-Pyatt, puis avec ce commentaire : «Nonetheless, one does have to wonder: why would the ODNI, which shares intelligence with the NSA, have to resort to private-sector satellite imagery as proof? If there is anyone who has definitive evidence of anything happening in the world at any given moment and as seen from space, it would be the NSA.»
Russia Today, annonçant la nouvelle et présentant les photos le 27 juillet 2014, interrogeait Paul Craig Roberts à ce propos : «“I can state with complete confidence that information this important would not be released in this way,” Roberts said. “If this was released by the State Department which I doubt, it is so unprofessional; it would mean that the State Department is trying to spread propaganda about Russia on social media. Now the way this type of information would be released would be at a press conference with a high level of government officials addressing the bureau chiefs of the major news organizations .” He added that experts would explain the meaning of the photographs and their validity. “The US government has been desperate to produce information to back up its claims. It would not release information in this way,” he said, adding that anyone can spread information on social media.»
Le Pentagone lui-même n’a pas vraiment insisté à propos de ces “tirs d’artillerie” russes en Ukraine, alors qu’il dispose d’une énorme machine de communication pour cette sorte d’occurrence. Les déclarations de Dempsey, elles, doivent être signalées et analysées avec gravité à cause de leur importance, tout en signalant qu’elles n’ont eu qu’un écho très limité dans la presse-Système. On reste donc extrêmement circonspect devant cette intervention de Dempsey, qui concerne comme on va le voir des appréciations et des estimations fondamentales n’ayant guère été rapportées ni commentées dans cette signification fondamentale, qui se sont appuyées sur l’argument opérationnel principal d’un incident dont la validité est l’objet du débat habituel sur la désinformation et la mésinformation, et dont l’importance est extraordinairement inadéquate par rapport au contenu des propos de Dempsey.
Le même texte de Russia Today déjà cité développe les interventions de Dempsey, mais il épouse presque intégralement les informations et éléments diffusés par un texte de Claudette Roulo, pour le circuit Defense Media Activity du département US de la défense (presse officielle du Pentagone), le 25 juillet 2014. On va citer les éléments principaux ainsi mentionnés, à partir du texte officiel du Pentagone.
• D’abord, sur l’affaire elle-même du tir d’artillerie, et les conséquences et enseignements qu’en tire Dempsey... «Russia’s decision to fire artillery from within Russia onto Ukrainian military positions transforms the security environment throughout Eastern Europe, the chairman of the Joint Chiefs of Staff said here yesterday. “You’ve got a Russian government that has made the conscious decision to use its military force inside of another sovereign nation to achieve its objectives – first time, I think, probably, since 1939 or so that that’s been the case,” Army Gen. Martin E. Dempsey said at the Aspen Security Forum. Russian leader Josef Stalin invaded Poland on Sept. 17, 1939, claiming to be protecting ethnic minorities living there.
»The military actions in Ukraine mark a change in the relationship between Europe and Russia, and between the United States and Russia, Dempsey said, though the true meaning of the change isn’t yet defined. Since 2008, the Russian military has increased its capability, its proficiency, and the level of its long-range aviation and air-launch cruise missile testing activities, the chairman said. “They clearly are on a path to assert themselves differently, not just in Eastern Europe, but in Europe in the main and toward the United States,” he said.»
• Sur ce dernier point, sur ces dernières précisions qu’on trouve dans l’intervention de Dempsey, on doit évidemment comprendre l’énormité de l’implication, qui rejoint effectivement les évaluations les plus alarmistes, les plus extrêmes, les plus orientées aussi selon l’interprétation d’une Russie démonisée, devenue une hydre expansionniste développant une agressivité belliciste globale, avec Poutine en dictateur expansionniste dont l’objectif n’est rien moins que le monde dans sa totalité. («They clearly are on a path to assert themselves differently, not just in Eastern Europe, but in Europe in the main and toward the United States»)...
Il s’agit d’un schéma belliciste habituel dans l’interprétation américaniste qui fonctionne selon le système de l’imagerie la plus simpliste et la plus extrémiste possible, où le concept de “diabolisation” est opérationnalisé et historicisé en “hitlérisation” lorsqu’il s’agit d’un dirigeant, Poutine en l’occurrence. C’est ce qu’observe Paul Craig Roberts dans son dernier article du 26 juillet 2014 (27 juillet pour nous), à partir de la déclaration de Dempsey dont il donne ici son interprétation :
«Chairman of the US Joint Chiefs of Staff, General Martin Dempsey, is at work preparing American opinion for the upcoming war. On July 24 Dempsey told the Aspen Security Forum, a high level group where US opinion is formed, that Putin’s aggression in Ukraine is comparable to Stalin’s invasion of Poland in 1939 and that the Russian threat was not limited to Ukraine or Eastern Europe but was global.
»The intellects in the Aspen Forum did not break out laughing when Dempsey told them that Russia’s (alleged but unproven) involvement in Ukraine was the first time since 1939 that a country made a conscious decision to use its military force inside another sovereign nation to achieve its objectives. No one asked Dempsey what Washington has been doing during the last three presidential regimes: Clinton in Serbia, Bush and Obama in Afghanistan, Iraq, Somalia, Pakistan, and Yemen, Obama in Libya and Syria...»
• Sur ce qu’il présente comme une “action offensive” de Poutine, Dempsey donne une évaluation étonnante par rapport à tout ce qui peut être objectivement observé du comportement et de la politique du président russe. Il s’agit de la prise en compte de la plus grossière fabrication du personnage de Poutine par l’action de communication du bloc BAO, y compris son allusion au déchaînement du nationalisme à cause de cette action, – idée qui fait jusqu’à nouvel ordre partie de la panoplie des farces & attrapes développés dans la guerre de communication par la dream team BAO/Kiev & associés. (On ajoutera là-dessus que fixer cette [ré]apparition du nationalisme à cause de cette affaire d’artillerie alors que le gouvernement ukrainien, ou ce qu’il en reste aujourd’hui, est construit sur une très large part sur des groupes ultra-nationalistes, – nazis et fascistes, – qui fournissent de gros contingents de forces contre le Donbass, et que les forces ukrainiennes ont elles-mêmes effectué des tirs d’artillerie en Russie, – tout cela relève également de cette dialectique du type farces & attrapes.)
«“I think this is very clearly Putin, the man himself, with a vision for Europe, as he sees it, to what he considers to be an effort to redress grievances that were burdened upon Russia after the fall of the Soviet Union, and also to appeal to ethnic Russian enclaves across Eastern Europe with … a foreign policy objective, but also a domestic policy objective,” Dempsey said. “And he’s very aggressive about it, and he’s got a playbook that has worked for him now two or three times. And he will continue to [use it].” Russia’s violations of Ukraine’s sovereignty have triggered a rise in nationalism around Europe, the chairman said. “If I have a fear about this,” he added, “it’s that Putin may actually light a fire that he loses control of.”»
• Mais l’élément le plus intéressant, hors de ces affirmations qui détonnent étrangement par rapport aux habituelles interventions de Dempsey, concerne ses relations avec les chefs militaires russes. Certaines affirmations sont surprenantes, comme celles où Dempsey laisse entendre que plusieurs chefs militaires russes sont tellement en désaccord avec la politique supposée ultra-belliciste de Poutine, – et tellement d’accord avec la filière Obama-Dempsey et le glorieux bloc BAO, suppose-t-on, – qu’ils risquent leur liberté si on apprenait les contacts que lui-même, Dempsey, entretient avec eux («...you know, this is risky for me to say this, and 10 of them could end up in a gulag tomorrow» : non pas la prison, certes, ni un quelconque Guantanamo, mais bien le “Goulag” lui-même, ce qui nous convie à imaginer ce qui importe en fait de fonctionnement psychologique primaire, de Staline à l’URSS et aux pires dictatures idéologiques du XXème siècle) :
«Dempsey said he believes in keeping an open line of communication with his Russian counterpart, Army Gen. Valery Gerasimov, the chief of the General Staff. “I think that the Russian military is probably reluctant... – you know, this is risky for me to say this, and 10 of them could end up in a gulag tomorrow – but I think that the Russian military and its leaders that I know are probably somewhat reluctant participants in this form of warfare,” he said. His real concern, the chairman said, is that having this fire in an isolated part of Eastern Europe may not stay in Eastern Europe. “And I think that’s a real risk,” he added. “So I am maintaining an open line of communication with my counterpart, and so far, he’s doing the same with me.”»
• Enfin, cette fois emprunté à Russia Today, qui place ce point en tête de son article, l’affirmation par Dempsey que les USA sont désormais plongés dans une réactivation de leurs plans de guerre de la Guerre froide. Le catalogue est ainsi complet... «The United States military’s top commander said during a security summit this week that the ongoing crisis in eastern Ukraine has prompted the Pentagon to revisit old contingency plans unused since the days of the Cold War. Gen. Martin Dempsey, the chairman of the Joint Chiefs of Staff, said Thursday at the Aspen Security Forum that the US Department of Defense has been “looking inside of our own readiness models to look at things we haven’t had to look at for 20 years.”»
On a, à plusieurs occasions, pu apprécier le bon sens, les analyses équilibrées et le rôle modérateur, dans l’administration Obama et par conséquent la direction-Système, du général Dempsey depuis qu’il est président du comité des chefs d’état-Major des USA (depuis 2011). (Voir le 3 juin 2011, pour la première “sortie” publique de Dempsey en tant que président du JCS ; le 8 mars 2012, pour son attitude extrêmement circonspecte, sinon franchement négative, à propos d’une intervention en Syrie ; le 6 septembre 2012, pour son attitude extrêmement ferme vis-à-vis d’Israël, etc. Le 22 juillet 2014 encore, Ray McGovern, ancien officier de la CIA, rappelait dans ConsortiumNews, le rôle particulièrement bienvenu et décisif qu’avait joué Dempsey dans la décision d’Obama de ne pas attaquer la Syrie, le 31 août 2013 : «Kerry’s performance on Aug. 30 – with all his “we knows” – was a clarion call for attacking Syria and might have prevailed, were it not for the fact that Joint Chiefs of Staff Chairman Martin Dempsey intervened and talked sense to the President. Less than 24 hours after Kerry spoke, Obama surprised virtually everyone in Official Washington by announcing that he had decided not to attack Syria immediately as expected, but rather would go to Congress for authorization.»)
On voit que, dans son temps, Dempsey représente (représentait ?) assez bien, dans la hiérarchie militaire US après l’invasion de l’Irak et la catastrophe qui a immédiatement suivi, une tendance raisonnable, modérée, ne reculant pourtant devant aucune action à la limite de ses prérogatives, pour bloquer les initiatives d’une direction civile bien souvent emportée par la folie-neocon. Ces militaires US ont successivement contré tout effort sérieux de belligérance avec l’Iran, ils ont évité un engagement direct en Libye et contribué pour l’essentiel à éviter une attaque de la Syrie. Jusqu’ici, Dempsey et le Pentagone étaient restés très prudents par rapport à l’activisme ukrainien du département d’Etat et des divers services spéciaux, y compris les services d’action de la CIA, au point où nous nous jugions justifié d’affirmer que le Pentagone poursuivait son rôle paradoxal d’apaisement dans les affaires militaires conflictuelles. (Voir notamment le 5 mai 2014.)
On comprend qu’à la lumière de ces diverses référence, l’intervention de Dempsey qu’on décrit ici constitue une surprise de taille, nécessitant d’une part d’éventuelles confirmations avec une analyse à mesure, impliquant d’autre part si elle est confirmée un basculement très important dans l’équilibre des centres de pouvoir à Washington. Dempsey reprend à son compte toutes les lignes d’affirmations péremptoires, par ailleurs largement reconnues comme extrêmement contestables jusqu’à la caricature du simulacre d’un point de vue factuel, qui caractérisent l’évaluation actuelle des plus extrémistes du système de l’américanisme par rapport à la situation en Ukraine. Il privilégie totalement la thèse de l’agressivité de la politique russe, du caractère agressif sinon paranoïaque d’un Poutine quasiment “hitlérisé”, de la manipulation permanente, belliciste, anti-occidentaliste, de toute la posture russe. C’est impliquer que toute la crise ukrainienne a été machinée, développée, conduite à son point actuel d’affrontement, selon la seule action de la Russie, position maximaliste classique de ces neocons d’habitude si suspects aux yeux des militaires. Le classement d’un acte sans précédent depuis 1939 et l’invasion de la Pologne par Staline pour une canonnade signalée le jour même selon les techniques de communication habituelles et explicitée depuis d’une façon chaotique, l’urgence de la résurrection des conceptions et de la planification du temps de la Guerre froide à cause de cet “événement”, tout cela ressort des considérations et des évaluations les plus exacerbées, type-Nuland, ou type-département d’État c’est selon.
Voilà qui semblerait bien placer brusquement le Pentagone au cœur de la machinerie américaniste du Système dans sa course contre la Russie. Dans ce cadre, l’un des éléments les plus étonnants est le passage où Dempsey parle des militaires russes comme opposés à la politique de Poutine présentée comme archi-belliciste, – alors qu’il serait probablement question d’une situation exactement inverse, du point de vue de ces mêmes militaires proches des milieux nationalistes russes et représentés par un homme tel que Rogozine (vice-Premier et ministre de l’armement), avec un jugement d’une trop grande conciliation dans le chef de la politique de Poutine. Il s’agit d’une étrange implication, qui risque d’avoir des répercussions sur les liens qu’entretiennent normalement les militaires des deux superpuissances, notamment en cas de tension, pour éviter des incompréhensions et des fausses manœuvres pouvant mener à un conflit par erreur. Dans le contexte général, on en est réduit à l’hypothèse où Dempsey participerait à la poussée générale de déstabilisation et de déstructuration de la Russie conduite par le Système et les forces maximalistes de l’américanisme, en tentant d’opposer Poutine (le pouvoir civil) et les militaires, en semant des soupçons sur la loyauté des uns et des autres. Si l’hypothèse est poursuivie, on observera que Dempsey risque surtout de se couper de ses contacts normaux avec les militaires russes, puisqu’il s’agit de ce type de contact selon un accord tacite que chacun reste loyal à son compte, et que les contacts restent secrets.
Poursuivons l’hypothèse à un niveau plus général, en posant la question de savoir pourquoi le Pentagone aurait abandonné sa posture prudente entretenue depuis 2004-2005, selon une profonde méfiance des initiatives civiles et de l’influence des groupes extrémistes type-neocons. La réponse circonstancielle et historique serait celle d’un Dempsey passant de la posture de prudence extrême qui est celle de la hiérarchie militaire depuis 2004-2005 appréhendant la situation mondiale en termes de situation générale et non d’affrontements stratégiques, avec l’analyse d’un monde en état de désordre chaotique, à une posture complètement inverse du type de la bipolarité antagoniste menant nécessairement à l’affrontement, héritée de la Guerre froide et rappelant celle des militaires ultra-bellicistes type-Le May (voir notamment le 15 mai 2001).
La réponse plus générale, disons métahistorique, serait que le Pentagone est à son tour l’ultime victime du courant général qui emporte la direction américaniste, selon une sorte de “néo-virtualisme”, – un “super-virtualisme” en quelque sorte, auquel le chroniqueur songeait dans la Chronique du 19 courant... du 20 juillet 2014 (« “Leur” monde règne, croient-ils, et il crée sa propre “vérité de situation”, jurent-ils en tentant d’annexer les termes qui décrivent le monde. Tout cela, déjà identifié d’une manière plus pompeuse et assurée d’elle-même du temps du virtualisme, in illo tempore... [...] Plus rien ne les conduit que les compulsions et les convulsions de leur pathologie maniaque.») Ainsi serait retrouvé le sentiment qui prédominait, y compris chez les militaires sous le règne du ministre Rumsfeld, lorsque régnait le goupthinking (voir le 30 septembre 2003), – et pourquoi ne pas baptiser cela, plutôt, de l’expression de groupfuckthinking tant la médiocrité de la croyance et la vulgarité du simulacre sont grandes, et aussi bien en hommage à Nuland-Fuck ? Dans ce cadre, débarrassé de ses prudences pour des ennemis qu’il jugeait accessoires, dans une époque qu’il appréciait essentiellement comme celle du désordre global et non plus de celle de l’affrontement bipolaire (type-Guerre froide), le Pentagone estimerait, dans un complet renversement qui prend l’allure d’une inversion propre à l’influence du Système, qu’il se trouve effectivement devant l’ennemi militaire suprême dont l’antagonisme serait une question de vie et de mort, dont l’élimination lui ouvrirait les portes de l’hégémonie militaire absolu ; cela, bien entendu, avec l’aide de la conviction de la “première frappe nucléaire” victorieuse (voir le 9 juin 2014). Il s’agirait d’une extraordinaire inversion de la pensée, dans le sens le plus bas qu’on puisse concevoir.
Il nous reste bien des hésitations à admettre complètement cette hypothèse, tant elle correspond peu à ce que nous croyons de la psychologie d’un Dempsey. L’on attendra, pour en être assuré, des confirmations d’un côté ou de l’autre, sans exclure d’éventuelles surprises à ce propos... D’autre part, il faut rappeler l’extrême rapidité des événements dont on sait qu’ils suivent la dynamique de surpuissance-autodestruction du Système, et ce développement pouvant et même devant avoir une vaste et directe influence sur les psychologies en général, – et, dans ce cas, celle du général Dempsey. Il faut convenir que le phénomène de maniaco-dépression auquel nous nous référons souvent en ce moment ne doit en principe épargner personne parmi les dirigeants-Système ; il s'agirait alors d'un signe de plus que la crise ukrainienne est véritablement la crise ultime que l'on observe depuis cinq mois...
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