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379417 juillet 2006 — L’article du Dr. Ran HaCohen du 15 juillet, sur Antiwar.com, doit être lu. HaCohen aborde la situation israélienne (attaques contre Hamas et le Hezbollah) du point de vue qui lui importe et où il est devenu maître : le rôle et l’influence de l’armée israélienne dans la conduite du pays. Comme nombre d’autres observateurs, HaCohen met en évidence que l’actuel gouvernement n’a pas de militaires à ses postes principaux, ce qui est une nouveauté par rapport à une tradition bien établie. La situation politique, sa décadence et ses aléas (maladie et départ de Sharon, arrivée improvisée au pouvoir de Olmert dans le cadre d’un nouveau parti, échec de Nétanyahou) sont la cause de cette incontestable nouveauté.
L’armée a donc réagi.
« The Palestinian elections and the victory of Hamas sounded like excellent news for the army, but the Israeli elections were probably too much to take. During the campaign, all political parties pledged to cut Israel's enormous defense budget; and what is worse, in the new government both Prime Minister Olmert and Minister of Defense Peretz are not army veterans, an almost unprecedented state of affairs in the past one-and-a-half decades.
» At last, the humiliated, frustrated military took command. It had been demanding a massive attack on Gaza long before the Israeli soldier was kidnapped. The government seemed somewhat reluctant. But the ground was consistently prepared by a calculated escalation: repeated killing of civilians and children, assassination of a top PA official, even making so-called ''arrests'' in Gaza for the first time since the pullout. Following the kidnap (June 26), the cabinet could not stop the army anymore. The chief of staff revealed the true relations between the army in charge and its obedient cabinet, saying he ''supported'' the cabinet's policy not to ''surrender to blackmail'' and not to negotiate with the soldier's kidnappers; as Akiva Eldar of Ha'aretz (July 4) correctly wondered, what if the cabinet changed its mind? Would Soldier No. 1 announce he does not ''support'' it anymore? Using a similar vocabulary, Amir Oren reported in Ha'aretz (July 3) that ''The Israel Defense Forces said it will not support a deal that would release terrorists…. The army would be willing to release individuals who are being held under the Prevention of Terrorism Ordinance,'' etc. Israel's elected government enjoys a certain amount of freedom, but the army dictates just how much.
» Olmert and Peretz by now probably are convinced that the army is doing just what they always wanted. They also hope that a macho image is just what the Israeli voter wants, especially from politicians who lack military experience – precisely the reasoning behind Shimon Peres' pounding of Lebanon in 1996, leading to his defeat in the general elections soon after.
L’analyse de HaCohen est très pessimiste quant aux performances de l’armée. Il considère que les militaires ont essuyé plusieurs défaites, malgré des moyens considérables, dans leurs différentes interventions contre les Palestiniens. Ils n’ont pas réussi à assurer un retour de la stabilité et la sécurité pour les Israéliens. HaCohen décrit également l’incident de la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah, puis la destruction d’un char Merkava (avec l’anéantissement des quatre membres de son équipage) comme une défaite majeure de Tsahal
D’où la réaction de l’armée avec l’attaque contre le Hezbollah, et des perspectives sans véritable grandeur :
« What is Israel's running wild likely to achieve? Not much. As for the kidnapped soldiers, any action other than negotiations is gambling with their lives, as their families now start to say out louder. As for the missiles shot from Gaza, the military could not stop them when it was sitting inside the Strip – obviously, it cannot stop them by casual incursions and air bombing. As for Lebanon, the disproportional Israeli reaction made Hezbollah fire missiles at the whole of northern Israel, both at communities that had enjoyed relative quiet since 2000 and at places that had never experienced any Lebanese missiles before. The army now turns to Israel's citizens, begging them to show restraint and endurance while they are bombed – as if the citizens are supposed to be there for the army rather than vice versa.
» As often in war time, most citizens do flock together behind the army, no matter how much they suffer. What Israel fails to grasp is that this simple logic applies to the other side as well: devastating Gaza will only increase support for the Palestinian militants, just like Hezbollah being the only power that effectively fights Israel is not likely to strengthen the weak Lebanese government, whose vested interest and legal obligation is indeed to disarm Hezbollah. So in a final analysis, the main achievements of the Israeli brutality will be more and more bloodshed and devastation on both sides, and a lot of entertainment for the bored Israeli military. When they get tired of playing (and/or losing), Israel will negotiate a prisoner swap and return to the status quo ante, in Gaza as well as in Lebanon, till next time. For many families on both sides, this will be too late.
Nous avons déjà signalé l’une ou l’autre intervention de HaCohen. On se reportera notamment à un article du 8 mai 2001, où HaCohen montre comment Israël s’est transformé en un pays sous contrôle d’une sorte de complexe militaro-industriel en réduction (par rapport à l’original). Dans divers autres textes, nous avons évoqué ce problème de la véritable substance du pouvoir en Israël, et la question complémentaire des rapports entre Israël et les USA.
Pour nous, le pouvoir israélien constitue, depuis le milieu des années 1980 et la liquidation du programme d’avion de combat Lavi au profit du F-16, une simple annexe du Pentagone. (Le Lavi constitue la dernière tentative sérieuse d’Israël d’asseoir sa sécurité nationale sur d’autres bases que ses liens avec les USA, et ainsi de renforcer une souveraineté nationale indépendante.) La crise récente avec les USA a montré à la fois la fragilité et la tension de ces liens, et le degré d’asservissement aux USA de la politique israélienne qu’ils supposent pour leur application bien comprise. Les récents événements portent sans aucun doute en bonne partie la marque de ces liens. L’actuelle offensive de l’armée a été décidée plus par la rencontre secrète de Cheney et de Nétanyahou de la mi-juin que par le gouvernement ; dans ce cas, Nétanyahou, président du Likoud, qui était l’homme-lige favori du Pentagone pour les dernières élections, agit comme intermédiaire entre Washington et l’armée israélienne. Avec le soutien de la fraction Cheney-Pentagone, l’armée n’a plus hésité à lancer une offensive majeure, sur un puis deux fronts.
Le problème est que tout cela n’est pas le signe d’une santé resplendissante de la main-mise des militaires sur la direction du pays. Nous avancerions plutôt le contraire, en notant que HaCohen ne se prive pas de mentionner que l’armée va d’échec en échec dans ses interventions dans les zones de “l’extérieur proche” d’Israël. Mais nous y ajoutons la dimension fantasmagorique (virtualiste) des temps présents, que nous évoquons par ailleurs, et qui pourrait pousser Tsahal à croire à sa chance — peut-être jusqu’à Damas, et pourquoi pas Téhéran ? Cette hypothèse vaut surtout parce que nous sommes dans une situation toute différente de 1982 (première invasion du Liban) où l’auto-restriction était de mise ; mais, justement, parce que nous ne sommes plus en 1982, que le monde a pris la mesure des limites de la puissance israélo-américaniste, il est très possible jusqu’au probable que l’éventuelle audace du type “fuite en avant” de Tsahal pourrait être payée d’avatars à mesure.
D’ores et déjà, il est fait état de tensions entre l’armée et le pouvoir civil à propos des pressions internationales pour un cessez-le-feu et l’établissement d’un cordon de troupes internationales assurant le cessez-le-feu et garantissant la séparation des belligérants. Bien sûr, l’armée y est opposée tandis que certains milieux politiques, y compris dans le gouvernement, considèrent l’idée avec intérêt. (Ces tensions se retrouvent à l’intérieur de l’administration GW Bush, où des partisans d’une ligne plus modérée s’appuient sur les pressions internationales pour réclamer des pressions sur Israël que les tenants de la ligne dure refusent absolument.)
C’est également vu du “front intérieur” tel que HaCohen nous en fait la description qu’il faut considérer les conséquences possibles de l’expédition libanaise de Tsahal. Les responsabilités que l’armée s’est arrogées d’autorité, à cause de l’évolution de la situation politique et des pressions américanistes qui la soutiennent, la placent autant en position de force qu’en position de faiblesse, selon les circonstances ; en position de force si les événements actuels débouchent sur un succès indiscutable, en position de grande vulnérabilité dans le cas inverse. N’ayant plus de “fusibles” dans le gouvernement, sous la forme de dirigeants centraux venus de ses propres rangs, l’armée se trouve si l’on peut dire “en première ligne” dans l’affrontement politique et elle serait alors directement mise en cause en cas d’insuccès.
Le problème, pour l’armée, est compliqué par le fait que la notion de “succès” (cas où l’armée verrait son statut renforcé) s’est dramatiquement radicalisée ces derniers temps. Dans l’affaire libanaise, le succès n’est pas loin d’être la destruction du Hezbollah ; ou, dit autrement, tout ce qui n’est pas la destruction du Hezbollah ne peut être considéré comme un succès. C’est le cas d’un cessez-le-feu avec force internationale d’imposition.
La crise actuelle met en lumière le changement qui s’est opéré en Israël durant les dernières vingt-cinq années. Jusqu’autour de 1980-1985, l’armée occupait une place absolument légitime au cœur de la nation, comme force défensive de protection par définition, comme garante de la sécurité et de l’existence d’Israël. Elle s’est transformée en force offensive, même si c’est sous le couvert de l’argument d’une garantie “sophistiquée”de la sécurité d’Israël ; l’argument est acceptable en période d’extrême pression ressentie par Israël, il l’est beaucoup moins dans les autres circonstances et Tsahal tend alors à perdre sa légitimité originelle. La notion selon laquelle les actuelles offensives de Tsahal sont nécessaires à la survie d’Israël est vraiment très difficile à accepter pour tout esprit de bon sens.
L’actuelle crise est suffisamment ambiguë pour ménager des risques graves en ce qui concerne le crédit et la confiance qu’on peut accorder à l’armée. Les soupçons concernant des projets de l’armée qui seraient également le relais des ambitions bellicistes des groupes extrémistes de Washington font peser sur son statut une grave hypothèque. Si la situation générale dans la région est en jeu aujourd’hui, avec cette crise, l’équilibre de la situation intérieure d’Israël l’est également. Nul n’est à l’abri du “désordre créateur”.