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1317Question à nouveau posée: qui commande à Washington? Les généraux ou Obama? Question à propos du discours du 1er décembre sur l’envoi de troupes US en Afghanistan, et à propos des interprétations notablement divergentes sur la question du retrait en 2011. (Voir notre Bloc-Notes du 7 décembre 2009 et notre Notes d’analyse du même 7 décembre 2009.)
Il y a un long et très intéressant texte de Politico-Com du 6 décembre 2009 sur le sujet, et une synthèse d’Antiwar.com du 8 décembre 2009.
McChrystal doit témoigner ces jours prochains au Sénat sur la décision prise par Obama. (On entendra aussi l’ambassadeur à Kaboul Karl Eikenberry, ancien général et ancien chef des forces US en Afghanistan, qui s’est violemment opposé à l’augmentation des forces US en Afghanistan. Du sport en perspective ou bien des litanies conformistes pour étouffer un dissentiment trop voyant?) Des sénateurs ont fait savoir leurs préoccupations de la situation des rapports entre Obama et ses généraux sur le terrain. C’est notamment le cas des sénateurs Inouye et Levin, tous deux démocrates, tous deux occupant des positions très puissantes dans deux commissions sénatoriales, dont celle des forces armées qui va entendre McChrystal.
«“I’ve always believed that the president of the United States is the commander in chief,” said Senate Appropriations Committee Chairman Daniel Inouye (D-Hawaii), who was awarded the Medal of Honor in World War II. “It concerns me when I see my president, the commander in chief, having to debate with generals. They can do that privately, but he should be able to say to General A, ‘This is the way we’re going to do our business.’ ... I would expect generals to advise the president but not to go public.” […]
»“The pace [of withdrawal] is condition-based. The location is condition-based. But what wasn’t condition-based is the beginning,” Levin said of the July 2011 date. “I want to see if McChrystal says, yes, he understands that.” “Second, does he support it? He’s not obligated to. I’m asking for his honest personal opinion. If he has a different opinion, he should tell us. He’s obligated to tell us. ... Their advice should be private, ... with the one caveat [that] if they are asked by a congressional committee for their best professional opinion, they are duty bound to give it to us.”»
C’est ce climat qui fait surgir la thèse d’Obama prisonnier des généraux et des généraux menant la politique US en Afghanistan, voire Washington D. C. par le bout du nez. Notre analyse sur ces hypothèses est pour le moins nuancée, tenant compte de la situation du système et de la médiocrité générale qui le caractérise.
@PAYANT …“Médiocrité”, en effet. D’abord, celle des généraux. McChrystal est la brute standard de notre époque, rayon “opérations spéciales”, “commandos de la mort”, philosophie Rumsfeld et ainsi de suite, mais avec une prétention à l'intellectualisme des théories en vogue liée à une bonne dose de trouille du côté de l’image et des relations publiques; reconnaissons-lui également une certaine habileté pour ses réseaux dans la presse (Woodward, du Post, la gloire de la presse US pour les intellectuels européens dans son rôle d’agent et de relais des militaires qu’il tient depuis avant le Watergate). Petraeus, supérieur et complice de McChrystal, est une créature de pure relations publiques avec, paraît-il, des ambitions politiques qui lui feraient rêver d’être un nouveau MacArthur. On a déjà vu cette thèse. Plus habile politiquement que MacArthur – dans ce cas, la maladresse de MacArthur était plutôt une vertu – Petraeus est un nain grotesque à côté de la stature de soldat de son soi-disant “modèle”. McChrystal et Petraeus font partie de la nouvelle génération des militaires US, celle qui est vilipendée par Andrew Bacevich et qui applique la philosophie post-9/11 de la “guerre” (guillemets utiles) pour la guerre – parfaitement à la mesure de la médiocrité abyssale de cette pensée.
Cette médiocrité, qui s’exprime notamment dans le goût byzantin des manœuvres de bas-empire et dans un respect au garde-à-vous du conformisme du système, fait de ces généraux des intrigants mais le contraire de “putschistes” ou d’aventuriers qui auraient le courage de bouleverser les structures du système pour s’affirmer de façon formelle et puissante. Autrement dit, l’actuelle phase où l’on s’interroge à nouveau pour savoir si “les généraux” ne dirigent pas la politique US correspond surtout à un recul d’Obama, à son incapacité d’affirmer autre chose qu’une politique conforme, la poursuite sous le masque de “la politique de la raison” de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”. Depuis la phase de vacillement d’août-début septembre, Obama avait repris le contrôle de la situation en concentrant la décision sur son propre processus d’évaluation, mais ce fut pour accoucher de l’espèce de monstre du discours du 1er décembre 2009 (engagement mais promesse de désengagement) qui crée, avec l’impression d’une capitulation devant le parti de la guerre ajoutée à la confusion des interprétations de la promesse de désengagement, un vide du pouvoir dont l’évaluation profite aux “généraux”.
En vérité, ceux-ci ne dirigent rien du tout, ils n’en ont ni la capacité ni l’originalité. Ils se trouvent dans ce cas du côté de la machinerie du système et les réflexes de communication font le reste. Dans trois mois, lorsqu’on commencera à évaluer les résultats de la “stratégie McChrystal” (malgré les dénégations de ce dernier qui affirmera que c’est encore trop tôt pour juger), qu’on constatera que rien ne s’améliore, les généraux seront vilipendés autant qu’ils sont aujourd’hui considérés comme les maîtres du jeu. Puisqu’Obama ne fait rien de marquant pour tenter de mettre en cause le contrôle du système, cela signifie alors que personne ne dirige rien et que le système, lui, dirige tout, continue son chemin à son rythme, en baptisant pour une semaine, un mois ou un an, pour telle campagne ou telle catastrophe, tel ou tel groupe “maître du jeu” et “manipulateur” du reste (successivement ou en désordre, et cités à la queue-leu-leu, les pétroliers, Wall Street, le Complexe militaro-industriel, les grands groupes pharmaceutiques, “les généraux” et ainsi de suite). “Les généraux” pour l’instant? Vu leur calibre, ce ne sont que de piètres exécutants de la dynamique du système.
Pour terminer, observons que la véritable déception de l’épisode est la défaite complète du général James Jones, directeur du NSC, qui était opposé à l’envoi de troupes et qui n’a rien pu faire finalement. Il a affirme même désormais, avec tout le monde, que la présence US en Afghanistan sera très longue à cause des intérêts géostratégiques US dans la région, ce qui est épouser les thèses du parti de la guerre dont il semblait plutôt l’adversaire. C’est une véritable déception parce que Jones, au contraire de McChrystal et de Petraeus, est un homme de qualité. Cela n’empêche qu’il faut garder son nom à l’esprit et observer son évolution parce qu’il pourrait retrouver sa position initiale si la situation tourne mal en Afghanistan malgré les renforts, ce qui est après tout une hypothèse spéculative particulièrement acceptable. Comme chacun sait, cet épisode-là de la partie, qui n’est évidemment pas jouée, ne fait que commencer.
Mis en ligne le 8 décembre 2009 à 09H49