Qui n’a pas son plan d’attaque?

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Qui n’a pas son plan d’attaque?

9 avril 2006 — Le temps des attaques-surprises par surprise est décidément passé. La surprise, aujourd’hui, serait qu’une attaque-surprise ou n’importe quoi d’autre de ce genre ne soit pas précédé d’une avalanche de spéculations sur la forme de l’attaque, la date de l’attaque, les moyens de l’attaque, les causes de l’attaque, les humeurs et la psychologie de ceux qui fomentent l’attaque, etc. Depuis quelques jours, l’Iran bénéficie de ce traitement. C’est une avalanche d’articles, d’analyses et de révélations.

L’hypothèse centrale sur les causes possibles de cette poussée de “révélations” (toutes de sources officielles informelles) d’intentions guerrières est celle d’une volonté délibérée de l’administration de mettre sur la place publique cette possibilité/probabilité d’attaque. Il y a toutes les raisons du monde pour cela, à commencer par l’extrême faiblesse de la position politique de GW Bush confronté à des événements irakiens hors de tout contrôle. La thèse d’une attaque extérieure pour faire diversion d’une position politique intérieure affaiblie (ici, “pathétique” conviendrait mieux) est tellement rabâchée, après avoir été plus d’une fois confirmée par les événements, qu’elle en est devenue un classique du genre ; pour autant, elle doit être tenue pour toujours aussi vigoureuse car il n’y a rien de plus solide que le classique. Dans ce cas, on le comprend, la publicité préalable des intentions d’attaque fait aussi bien partie de la manœuvre que l’éventuelle attaque elle-même ; de même si l’administration entend faire pression sur les Iraniens.

D’autres hypothèses sur les causes de ces intentions guerrières tiennent aux analyses de l’équipe GW Bush, à la psychologie manichéenne du président, aux manigances de ce qu’il reste des néo-conservateurs et ainsi de suite. Ces cas ne nécessitent pas de publicité préalable mais ils ne l’interdisent pas non plus. D’ailleurs, toutes ces causes peuvent s’ajouter et se compléter.

Difficile de se faire une religion. La seule conclusion ferme que nous proposerons, avant de proposer une revue de détails non exhaustive est qu’il s’agit, par-dessus tout, d’un signe de plus de l’immense désordre qui caractérise ce qu’on a encore coutume de désigner comme la “politique étrangère” de Washington ; cela quand on considère ces bruits divers d’attaque dans le cadre qui importe, qui est le cadre général de cette “politique étrangère”, Irak compris. Qu’on déploie des plans d’attaque grandioses contre l’Iran au moment où le courant anti-guerre de Washington s’estime proche de sa “victoire” qui pourrait concrétiser une humiliante défaite US en conduisant à un retrait des troupes d’Irak, est un signe convaincant à cet égard.

Enfin, n’oublions pas le plan psychologique, si important. On sent souvent dans toutes ces analyses soi-disant rationnelles, y compris chez les “sources officielles” concernées, un certain vertige de puissance dont les planificateurs et les commentateurs américains sont singulièrement privés avec l’Irak. Ces bruits détaillés d’attaque contre l’Iran constituent effectivement une réaffirmation virtualiste de la puissance américaine à l’heure où celle-ci est gravement mise en cause par les catastrophiques événements irakiens. Ce que l’on pourrait tenir comme complètement surprenant, irréaliste et déraisonnable, — fomenter un plan d’attaque et en faire la publicité au moment où l’on subit une défaite de la dimension de l’irakienne, — devient presque logique : riposte virtualiste puissante à la défaite irakienne.

Revue de détails

Maintenant, la “revue de détails” de quelques articles présentant des plans de guerre. Elle ne prétend en aucun cas être exhaustive.

• Selon notre estimation, c’est le 3 avril que commence l’actuelle vague de spéculation d’une attaque contre l’Iran, avec l’article d’Arnaud de Borchgrave, Editor at large de UPI. Borchgrave rapporte des confidences selon lesquelles on préparerait une attaque très rapide, très efficace et très puissante, grâce au bombardier B-2. « A prominent “neocon,” still in good odor at the White House and OSD (Office of the Secretary of Defense), speaking privately, assured us that by the time president Bush leaves office in January 2009, Iran's nuclear weapons ambitions would be history. [...] “B-2s,” this prominent armchair strategist [told us]. “Two of them could do the job in a single strike against multiple targets.” With a crew of two per bomber, only four American lives would be at risk, an all-time record in the history of warfare. » Borchgrave montre un certain scepticisme sur la sagesse de cette option, sur son efficacité et sur son opportunité; par contre, il détaille les conséquences malheureuses et dangereuses sans nombre qui suivraient son application.

• L’analyse de Borchgrave est reprise ici ou là, notamment par certains sites et journaux non-US, comme le Daily Times pakistanais, avec, le 5 avril, un article de Khalid Hasan : « Two B-2s could take out Iran’s nuclear assets. »

• Il semblerait que l’informateur de Borchgrave soit Edward Luttwak, si l’on se reporte à la longue analyse de Sarah Baxter, dans le Sunday Times d’aujourd’hui : « Edward Luttwak, a Pentagon adviser and expert on military strategy at the Center for Strategic and International Studies in Washington, is a leading advocate of the theory that Iran’s nuclear installations could be bombed “in a single night”. Inside the Pentagon, top officials have been citing Luttwak’s views. Air strikes by a handful of B2 bombers, flying out of the British dependency of Diego Garcia in the Indian Ocean, would be enough to demolish the most critical Iranian nuclear sites such as Natanz, Arak and Isfahan. » Baxter nous sort également de son chapeau Richard Perle, qui se faisait rare, et qui, lui, rejette l’option Luttwak d’attaque courte et rapide pour une véritable guerre aérienne, bien massive, bien destructrice, pour parvenir à la chute du régime des mollahs. Précieuse Baxter qui nous offre plusieurs options en une (analyse).

• Signalons aussi une très bonne analyse-spéculation du 7 avril, sur le site Forward. On a le bonheur de voir un autre revenant “neocon”, français celui-là (à moins qu’il ne se soit naturalisé?). Laurent Murawiec eut son heure de gloire en juillet-août 2002. Aujourd’hui, il pantoufle à Heritage Foundation. Il nous annonce qu’il est rassuré, que les USA sont prêts à attaquer eux-mêmes et non à se décharger sur les Israéliens de cette tâche héroïque, et que les Européens emboîteront le pas : « According to Laurent Murawiec, a senior fellow at the conservative Hudson Institute, the Bush administration's contingency plans were being upgraded “because the diplomatic solution has lost credibility.” Murawiec said that while he feared several years ago that some officials in Washington seemed to be relying on Israel to take out Iran's nuclear facilities, “I don't fear this anymore.” He added that two European defense ministries were also working on military contingency plans, but declined to identify them. »

• Bien entendu, les journaux “de référence” s’y sont mis. Par exemple, le Washington Post y va de son analyse-enquête. Sans réelle surprise : on prépare l’attaque, voici comment, etc. Le ton y est tout de même sceptique : «  No attack appears likely in the short term, and many specialists inside and outside the U.S. government harbor serious doubts about whether an armed response would be effective. »

• L’article de Patrick J. Buchanan dans “The American Conservative Magazine” du 10 avril est intéressant, parce que complémentaire sur le plan politique de toutes les hypothèses détaillées ces derniers jours. Buchanan parle d’une “October’s Surprise», — une attaque de l’Iran à l’automne, avec les effets suivants, selon les calculs supposés de l’administration GW : «  Rather than appearing a retreat, Bush’s pullout from Iraq would look like that of a defiant gunfighter backing through the swinging doors of a Tombstone saloon with both guns blazing. Bush’s rating could soar 20 points. Republicans would rally at the return of the 9/11 president. Democrats would be loath to attack a president who acted forcefully to remove what they themselves say is an intolerable threat. The neocons and Christian Right would hail Bush as the new Churchill. Bush would hold onto both houses in November, costing Democrats their best chance in a decade of recouping power. » (Lè-dessus, Buchanan enchaîne sur toutes les conséquences probables d’une telle attaque, qu’il juge considérablement déstabilisantes: « Thus a pre-emptive war on Iran, while a political triumph for the president this fall, could, like the invasion of Iraq, prove a long-term disaster. »

• L’article le plus intéressant et qui a d’ores et déjà le plus de résonance est celui de Seymour Hersh, qui doit paraître le 10 avril dans le New Yorker. Une fois de plus, Hersh nous amène des tonnes de témoignages et de citations qu’on peut prendre pour réels (l’homme a assez de crédit et de contacts pour cela). Il nous donne une bonne vision intérieure des délibérations de l’administration, avec les civils toujours aussi “allumés” et GW toujours aussi habité, tout cela à la grande frayeur des militaires. Surtout, Hersh développe l’option nucléaire, dont il assure qu’elle est sérieusement envisagée. Là encore, frayeur extrême des militaires, certains ayant envisagé de démissionner. Quelques extraits en vrac de l’article de Hersh.

« Iran’s President, Mahmoud Ahmadinejad, has challenged the reality of the Holocaust and said that Israel must be “wiped off the map.” Bush and others in the White House view him as a potential Adolf Hitler, a former senior intelligence official said. “That’s the name they’re using.” (...)

» One former defense official, who still deals with sensitive issues for the Bush Administration, told me that the military planning was premised on a belief that “a sustained bombing campaign in Iran will humiliate the religious leadership and lead the public to rise up and overthrow the government.” He added, “I was shocked when I heard it, and asked myself, ‘What are they smoking?’” (...)

» “There’s no pressure from Congress” not to take military action, the House member added. “The only political pressure is from the guys who want to do it.” Speaking of President Bush, the House member said, “The most worrisome thing is that this guy has a messianic vision.” (...)

» The attention given to the nuclear option has created serious misgivings inside the offices of the Joint Chiefs of Staff, [the former senior intelligence official] added, and some officers have talked about resigning. Late this winter, the Joint Chiefs of Staff sought to remove the nuclear option from the evolving war plans for Iran—without success, the former intelligence official said. “The White House said, ‘Why are you challenging this? The option came from you.’ ” (...)

» “There are very strong sentiments within the military against brandishing nuclear weapons against other countries,” [the Pentagon adviser on the war on terror] told me. “This goes to high levels.” The matter may soon reach a decisive point, he said, because the Joint Chiefs had agreed to give President Bush a formal recommendation stating that they are strongly opposed to considering the nuclear option for Iran. “The internal debate on this has hardened in recent weeks,” the adviser said. “And, if senior Pentagon officers express their opposition to the use of offensive nuclear weapons, then it will never happen.” »