Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
986Rand Paul, qui a fait une grosse percée comme candidat quasi-officiel de Tea Party à l’intérieur du parti républicain (pour le poste de sénateur du Kentucky), recueille l’appui d’un commentateur progressiste important. Robert Scheer, journaliste, auteur, professeur, consacre sa chronique régulière dans Thruthdig.com, ce 18 mai 2010, au fils de Ron Paul.
«…Count me as one lefty liberal who is not the least bit unhappy with the victory by Rand Paul in Kentucky’s Republican primary for the U.S. Senate. Not because it might make it easier for some Democratic Party hack to win in the general, but rather because he seems to be a principled libertarian in the mold of his father, Rep. Ron Paul, R-Texas, and we need more of that impulse in the Congress. What’s wrong with cutting back big government that mostly exists to serve the interests of big corporations? Surely it would be better if that challenge came from populist progressives of the left, in the Bernie Sanders mold, but this is Kentucky we’re talking about. […]
»With the Democrats trusting our well-being to the likes of Lawrence Summers and Timothy Geithner, who under President Bill Clinton did so much to enable Wall Street greed, would it not be good to have at least one Republican senator questioning the Washington spending spree? Yes, Rand Paul is bad on a lot of social issues I care about, and no, I don’t embrace his faith in the social compassion of unfettered free markets. But the alternative we have experienced is not one of a progressive government properly restraining free-market greed but rather, as was amply demonstrated in the pretend regulation of the oil industry, of government as a partner in corporate crime. It is the power of the corporate lobbyists that is at issue, and it is refreshing that candidate Paul has labeled Washington lobbyists a “distinctly criminal class” and favors a ban on lobbying and campaign contributions by those who hold more than a million dollars in federal contracts.
»Heresy, I know, but it is only thanks to Ron Paul, the father and hopefully the mentor of the potential Kentucky senator, that we got a congressional mandate to audit the Fed’s role in the banking bailout. How bad could it be to have another irascible Paul in the Congress?»
@PAYANT Ce commentaire de Robert Scheer, prestigieuse personnalité de la gauche progressiste du parti démocrate (liberals, en langage politique US), est très significatif de l’évolution des esprits dans la gauche US, à la fois située dans la gauche du parti démocrate et occupant une position qu’on pourrait qualifier à certains égards de “dissidente”. C’est l’équivalent pour les individualités et les mouvements de cette position “à la fois en dedans et en dehors” (du système) qu’on a déterminée pour certains pays, notamment des pays “émergents” comme la Turquie et le Brésil qui ont signé l’accord de Téhéran avec l’Iran.
Outre le fait, politiquement prestigieux en termes de réputation, d’être le fils de son père et d’être dans la même ligne de pensée politique que lui (un libertarien), la désignation de Rand Paul comme candidat républicain au siège de sénateur du Kentucky a une réelle signification politique. Rand Paul a été véritablement perçu et officiellement présenté comme le “candidat de Tea Party”. Cela implique qu’au contraire de ce que certains craignaient ou annonçaient, d’une façon générale c’est Tea Party qui phagocyte le parti républicain plutôt que le parti républicain ne phagocyte Tea Party. Dans ce contexte, le soutien de Robert Scheer signifie que des progressistes US transcendent, ou commencent à transcender l’inhibition initiale anti-Tea Party de cette fraction politique, inhibition justifiée par des considérations idéologiques de type humanitaire (accusations de racisme et de xénophobie contre Tea Party).
Cette évolution de la gauche progressiste correspond sans aucun doute à l’accroissement de la perception que le changement espéré avec Obama ne se concrétise absolument pas et que le caractère de rupture systémique de l’establishment avec le “pays réel” au profit de son allégeance aux groupes de pression, lobbies et corporate power s'est accru prodigieusement jusqu'à conclure que cette situation a atteint un point de non-retour. La perception est dans ce cas globale, systémique, et ne porte plus sur tel ou tel aspect de la situation de crise (économie, chômage, oligarchie financière, etc.). En conséquence, la vision de Tea Party par la gauche progressiste privilégie de plus en plus la dynamique anti-Washington du mouvement et a tendance à abandonner la critique idéologique. La remarque de Scheer sur l’un des aspects les plus radicaux de ce point de vue des positions de Rand Paul est significative : «it is refreshing that candidate Paul has labeled Washington lobbyists a “distinctly criminal class” and favors a ban on lobbying and campaign contributions by those who hold more than a million dollars in federal contracts.»
Le résultat net de cette évolution est également un rapprochement de la “droite extrême” que représente Tea Party et de la gauche progressiste vers une position proche de l’isolationnisme en matière de politique extérieure, comme seul moyen de se débarrasser de la politique belliciste et interventionniste du système. Les deux aspects sont d’ailleurs de plus en plus liés aux yeux de ces deux extrêmes, la politique interventionniste et belliciste étant de plus en plus considérée comme un caractère systémique de la politique US (une “politique de puissance” répondant d'un point de vue concret aux pressions également systémiques des puissances d’argent plutôt qu’à un projet politique).
L’entrée de Rand Paul dans l’arène politique, éventuellement dans une position importante s’il est élu sénateur, apporte une nouveauté importante en écartant de plus en plus les critiques idéologiques auxquelles sacrifiait la gauche progressiste et dissidente, et qui font le jeu du système. Dans ce cas, la caution de son père est importante pour Rand Paul, à cause de la réputation d’honnêteté et de grande valeur intellectuelle de Ron. Ce point rejaillit sur la perception nouvelle de Tea Party qui est en train de s’installer : un mouvement populiste antisystème beaucoup plus qu’un mouvement populiste idéologique.
De l’autre côté de l’échiquier, le mouvement démocrate progressiste marqué par la dissidence antisystème a également obtenu des résultats importants au sein du parti démocrate dans les divers processus de désignation des candidats (Scheer : «Tuesday’s election results were pretty good for progressives. The retirement of that windbag chameleon Sen. Arlen Specter is long overdue, and pro-labor forces were able to push Sen. Blanche Lincoln into a runoff in Arkansas»). Ces deux faits majeurs conduisent à conclure qu’une dynamique “unitaire” est à l’œuvre aux USA entre les deux extrêmes populistes et antisystèmes de l’échiquier politique, avec une pénétration (“entrisme”) des structures des deux grands partis de l’establishment. Cela donne aux élections de novembre 2010 un aspect inédit. On ne devra pas les attendre comme une confrontation classique démocrates versus républicains, version habituelle du partage des postes et des avantages entre les deux ailes du “parti unique”, même si le système de la communication tendra évidemment à choisir cette interprétation. Il s'agira plutôt d'une confrontation entre une poussée populiste “entriste” et la représentation législative classique de l’establishment. La question devient alors de savoir ce que cette poussée populiste antisystème fera de son avancée probable au niveau législatif, comment elle l’exploitera et, surtout, les répercussions de cette poussée au niveau de la base populaire à l’échelon des Etats (où, là aussi, un semblable affrontement a lieu, mais avec une présence beaucoup plus marquée du mouvement populiste antisystème).
Mis en ligne le 21 mai 2010 à 05H54