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L’épisode de l’alerte chimique ne semble pas devoir prendre racine, malgré le battage considérable fait autour de la chose. (La
«Syrian chemical weapons are still under the control of President Bashar al-Assad, contrary to reports saying Damascus could lose such arms in the chaos of civil war, Amos Gilad, head of the Defense Ministry Diplomatic-Security Bureau, said Sunday. “As far as my assessment goes, the weapons are still secure and have not been moved, but we need to monitor this at every moment,” Gilad said. “Israel needs to monitor it, and it has been doing so.”»
L’on observera que, pour les Israéliens, dès lors que le chimique est sous contrôle d’Assad, et donc tenu loin des mains de tel ou tel groupe extrémiste, qui fait tout de même partie de la rébellion anti-Assad que soutient le bloc BAO, il n’y a rien à craindre. Dans ce cas, les Israéliens sont plutôt proches d’Assad, et ils ne font pas mystère des contacts permanents qu’ils conservent avec le président syrien, notamment sur cette question de l’armement chimique dont ils ne sont pas loin de considérer que le contrôle d’Assad est le meilleur garant de leur propre sécurité ; cela (la position israélienne) diffère sensiblement de l’hystérie courante américaniste-occidentaliste, qui reste axée, dans ses premières éruptions lors de chaque alarme du genre, sur le thème du “dictateur utilisant de l’armement chimique contre son peuple”…
Il y a donc un fort contraste dans la situation syrienne, d’une semaine l’autre. Aux exclamations furieuses et tranchantes d’il y a une semaine où l’on envisageait une marche vers une Guerre Mondiale de plus, lors de l’alerte chimique venue des confidences d’un “US official” non identifié, succède un paysage très flou, peuplé de diverses activités incertaines, parfois contradictoires, tiraillant dans tous les sens. Le quotidien libanais indépendant de gauche As Safir en donne un intéressant panorama, dans un article du 9 décembre 2012, de Mohammad Ballout. (A noter que cet article rassemble des éléments, dont certains existaient déjà la semaine dernière, bien entendu, au moment de l’alerte chimique ; alors, plutôt que “d’une semaine l’autre” devrait-on parler de la même semaine, diversement interprétée par le système de la communication. La perception règle tout.)
D’une façon générale, As Safir observe que l’activité des grands pays du bloc BAO, dont la France au premier rang, est pour l’instant consacrée à la tâche exaltante d’identifier exactement “qui est qui” et “qui fait quoi” au sein de la rébellion syrienne, également baptisée “résistance syrienne” dans les moments d’exaltation. Après tout, les USA ne viennent-ils pas d’annoncer leur intention de classer dans les “organisations terroristes” le groupe Al-Nusra, qui fait partie de cette même “résistance syrienne” jusqu’à constituer au moins 10% de son potentiel militaire, et cela d’une redoutable efficacité comme sont en général les organisations djihadistes. (Al-Nusra est même considéré comme le meilleur groupe combattant de la rébellion anti-Assad, selon l’évaluation d’As Safir.) Bientôt, la recherche par le bloc BAO d’une “zone de sécurité” humanitaire pour défendre le peuple syrien comprendra, pour sa “sécurisation” effective, bien plus la chasse aux djihadistes qui ont pu pénétrer, s’armer et se déployer en Syrie grâce au soutien du bloc BAO, que l’éventuel affrontement avec l’armée syrienne régulière. Y a-t-il une morale à tirer de cette étrange occurrence ?
Les Français sont donc à l’œuvre, nous informe As Safir, et ils auraient pour la première fois pénétré profondément en territoire syrien. (Cela, bien que diverses sources avaient affirmé que de telles incursions avaient eu lieu, à différentes occasions dans les mois qui ont défilé depuis février de cette année, – à cet égard, les nouvelles défilent à la vitesse de l’éclair, bien plus vite que la situation sur le terrain.) … «From Beirut, a group of French intelligence staff have headed to northern Syria. French intelligence agencies have expanded their presence in the Lebanese capital since the eruption of the Syrian conflict under the pretext of reinforcing the security of the French UNIFIL contingent. Special-forces teams affiliated with the French agencies are involved in the operation. Their task is to present a clearer picture of the political composition of militant groups in northern Syria and the nature of their relationship to al-Qaeda.
»The decision was made after the United States announced its intention to include the Al-Nusra Front in the list of terrorist organizations. The French decision to enter, for the first time, deep into Syrian territory — namely Aleppo and Idlib — indicates that Paris is determined to put more pressure on the European Union to lift the arms embargo on Syria. Until now, the arms embargo has prevented Paris from providing advanced weapons to the FSA.
»Clearly, the Al-Nusra Front will not be the last to be added to the list of terrorist organizations. Other jihadist Syrian factions will likely join the list when Western security agencies complete their task and draw a map of the jihadists in the area…»
La question soulevée dans ces remarques, concernant l’embargo de l’UE sur les livraison d’armes vers la Syrie, commence à ressembler à une étape importante. L’embargo vient d’être renouvelé, à cause d’un veto allemand contre sa levée, pour trois mois. En mars 2013, espèrent les Français et les Britanniques, il sera effectivement levé, alors qu’on espère bien également que la “carte djihadiste” de la Syrie aura été mise à jour. On pourra alors, espère-t-on toujours, livrer des armes sophistiquées et certainement garantes de la victoire, seulement à des gens convenables, et ainsi ouvrir la voie vers le triomphe attendu et également convenable.
Cela, c’est un point de vue. Il y en a d’autres. Il y a, par exemple, celui des Russes, qui s’inquiètent de ces livraisons d’armes du bloc BAO, possibles ou même effectives. Les Russes, qui ont été violemment choqués par cette décision, considèrent-ils le déploiement de missiles sol-air Patriot sous contrôle OTAN, à la frontière syrienne de la Turquie, comme une interférence, et une interférence grave, dans le conflit syrien précisément ? (Et une interférence de l’OTAN, dans ce cas, ce qui est un motif aggravant pour expliquer leur très vive réaction.) Il le semblerait, si la nouvelle annoncée de l’envoi en Syrie de missiles sol-sol Iskander est confirmée et véridique. (L’Iskander, SS-26 ou A-18, est un missile tactique, – et non stratégique, – à capacités avancées, du type de ceux que la Russie déploie à Kaliningrad, face à la Pologne et à ses bases de missiles antimissiles de l’OTAN.)
«To support the Syrian position, which opposes Turkey deploying Patriot missile batteries on the border with Syria, the Russians seem to have decided to supply Syria with Iskander A-18 strategic missiles.There missiles carry a 400-kilogram explosive payload, have a range of 400 kilometers and can penetrate the new Turkish missile shield. In response to Turkey and NATO deploying Patriot missiles, a French diplomatic source said… […] that two Russian ships from the Black Sea fleet arrived at Tartous port carrying a shipment of these missiles. That report could not be corroborated by another source.»
L’air de rien dans la façon dont elle est rapportée, cette nouvelle a certainement un caractère explosif évident. Même si elle n’est pas encore confirmée et entérinée par le transfert effectif de ces missiles, son évocation est déjà suffisante pour marquer l’exaspération russe. Il semble alors que les Russes ne seraient plus très loin de nuancer fortement leur position affirmée de neutralité dans la crise syrienne. Il apparaît à cette lumière que leurs diverses déclarations sur la livraison des Patriot ne doivent pas être prises à la légère ; l’intervention de l’OTAN via les Patriot n’est pas loin de constituer effectivement le franchissement de leur “ligne rouge” à eux (chacun a sa “ligne rouge”).
…Par conséquent, on observera aussitôt le contraste formé entre cette possibilité éventuelle de livraison d’Iskander et les échos de la rencontre de Dublin entre l’envoyé spécial de l’ONU Brahimi et les ministres des affaires étrangères US et russe, Clinton et Lavrov. Cette rencontre, faite pour soutenir le “processus de transition” offert par Brahimi et qui semblerait donc toujours à l’agenda, – et même plus que jamais ! – a vu des interventions surprenantes d’Hillary Clinton, soudain fort proche des positions russes.
«A senior US official told the Associated Press that the meeting focused on how to help the political transition in “practical ways.” He pointed out that Lavrov and Clinton support Brahimi’s efforts and that they have agreed to hold a meeting next week that will be chaired by Brahimi and include US and Russian officials to discuss future steps. […]
»During Brahimi’s meetings with the Russians and Americans, it was remarkable that Clinton wondered: “When will the Syrian regime decide to participate in the transition process?” Clinton, who will soon leave her post, seems to be adopting the Russian interpretation of the Geneva Accord, whereby a political solution requires the participation of Syrian President Bashar al-Assad in the political process. And Clinton did specify a date by which Assad would have to leave his post. This is exactlywhat the Russians want as they discuss the “Brahimi solution” with the Americans.»
Encore n’évoque-t-on pas en détails la confusion de la situation régnant entre les divers rebelles, les Qataris et les Saoudiens qui sont leurs principaux supports et sponsors. Cette courte citation n’évoque qu’un aspect du problème d’une situation où chacun joue son jeu, consulte qui il veut sans informer les autres, soutient qui il lui plaît au détriment des autres et ainsi de suite…
«A prominent member in both the SNC and the National Coalition has complained that the Qataris and Saudis are not helping the SNC in its task of unifying the military forces, which the Qataris and Saudis are themselves demanding.
»He said that the SNC has failed to unite the military councils and that the National Coalition will also fail because the countries that are supplying the opposition with arms and money are negotiating directly with the leaders of the armed factions and bypassing the finance committees of both the SNC and the National Coalition…»
…Il y a donc une sorte de logique dans cette crise syrienne autant dans la situation sur le terrain, que dans la situation des intrigues, que dans la situation dans la diplomatie, – que dans la situation des psychologies de nombre des acteurs après tout, – et même plus que tout. Cette logique est celle du désordre, qui nourrit les contradictions, qui conduit à des voltefaces, des renversements, qui entrave la coordination et la coopération, qui ne permet pas de tenir quoi que ce soit pour acquis, etc.
Après un an et demi de troubles et d’affrontements, cette crise syrienne n’est toujours pas parvenue à se “stabiliser”, c’est-à-dire à atteindre son équation définitive, avec les oppositions bien marquées, des buts affirmés correspondant aux moyens en place, des engagements déterminés. Cette crise n’est toujours pas parvenue à trouver sa logique propre, simplement parce que le désordre domine tout et impose sa logique à lui, qui est écrasante, qui a comme particularité principale de n’en pas avoir au regard de notre raison. Si, effectivement et sans le moindre doute, “il y a une sorte de logique dans cette crise syrienne”, ce n’est pas la sienne.
Mis en ligne le 11 décembre 2012 à 09H12