Retour sur Syrie, Israël en prime

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Retour sur Syrie, Israël en prime

La crise syrienne avait été quelque peu délaissée par le système de la communication ces dernières semaines, remplacée dans la rubrique des désordres extérieurs par la crise malienne. L’attaque aérienne israélienne du 30 janvier au matin a changé cette situation. (Il y avait bien sûr eu le massacre d’Alep documenté les 27-28 janvier, avec au moins 68 victimes. Mais cette sorte d’événements est devenu le quotidien du conflit dans ce pays, et les massacres ne sont plus désormais un “instrument” efficace d’influence politique sollicitant le système de la communication depuis que les rebelles ont amplement démontré leurs activités dans ce domaine. Même des sources qui suivaient le courant général d’accusations systématiquement anti-Assad de la première moitié de l’année 2012 commentent ce massacres comme pouvant être aussi bien le fait des rebelles, et renvoient désormais dos à dos les adversaires, – comme dans ce texte accompagnant une vidéo, du 20 janvier 2013, de FranceTVInfo.)

L’attaque israélienne, à propos de laquelle les Israéliens ne font aucun commentaire officiel, a d’abord été décrite (de source US) comme portée contre un convoi transportant des armes chimiques, ou plus sûrement des armes conventionnelles avancées à destination du Hezbollah. Une autre version qui est désormais largement diffusée est celle d’une attaque contre un centre de recherche de l’armée syrienne, et qui n’est pas considéré comme ayant un rapport avec de l’armement chimique.

• Les réactions sont intéressantes, par leur provenance, l’identité de ceux qui réagissent, etc. D’une façon générale, à l’ONU et dans les pays du bloc BAO, on est discret et sur la réserve, et bien sûr officiellement silencieux en Israël. Outre la Syrie, les réactions les plus violentes sont celles de la Russie. («Si ces informations se confirment, il s'agira d'attaques immotivées contre des cibles situées sur le territoire d'un Etat souverain, ce qui constitue une violation flagrante de la Charte des Nations unies. C'est inacceptable, quelles que soient les raisons invoquées. Nous entreprenons des mesures d'urgence afin d'éclaircir tous les détails de cette situation.») Il faut aussi remarquer une condamnation de l’attaque par la Ligue Arabe (organiquement manipulée par l’Arabie saoudite), qui se pose dans ce cas en protectrice symbolique de la souveraineté syrienne face à l’agression israélienne. (Voir Russia Today du 30 janvier 2013.)

Russia Today donne, le 31 janvier 2013 la parole à des experts défendant la thèse d’une attaque, non contre des équipements du Hezbollah ou allant vers le Hezbollah, mais contre la Syrie elle-même, sous la forme d’un centre de recherche de l’armée. Cette thèse impliquerait évidemment Israël dans une attaque directe contre la Syrie, donc internationaliserait directement et sans nuances le conflit et ferait du viol de la souveraineté syrienne un acte d’agression directe. RT cite le Dr. Ali Mohamad, éditeur en chef du site Syria Tribune et Abayomi Azikiwe, éditeur du site Pan-African News.

«Syrians know that “this is not at all about chemical weapons,” Dr. Mohamad told RT. “It’s about stopping the Syrian scientists’ military research projects.”“It finally makes sense because the rebels or as they like to call themselves the revolutionaries, they have been attacking air defense bases near Damascus for the past seven months,” Dr. Mohamad said. “They’ve managed to attack the S-200 base and over four other surface-to-air missile bases. Now this followed by an airstrike from Israel. So it all adds up, it makes sense. It only shows that Israel has a great interest in the instability in Syria and that it is being helped by groups of armed rebels in Syria.”

»“Military research centers are responsible for developing weapons, in particular land-to-land long range missiles,” and Israel wants to stop this research process, Dr. Mohamed explained. “Of course Israel will claim that this is connected to a chemical weapons arsenal, but this is of course not true because nobody stores chemical weapons in a research center.” “Let’s remember that the Syrian official who was responsible for all military research projects has been assassinated in Damascus by the rebels,” he said. “Let’s also remember that the person who orchestrated the Syrian long-range missile project colonel Dawoud Rajiha was also assassinated in Damascus. This is about stopping the Syrian scientific military research projects and is about breaking the link that will help [Israel] overcome the Lebanese resistance and the Palestinian resistance.” […]

»“The rebels have been involved in tremendous human right violations inside the country,” Abayomi Azikiwe said. “We saw what happened just yesterday with the finding of some 80 people who’ve been massacred, with handcuffs behind their backs shot in the head. And of course these actions carried out by the US-backed rebels inside of Syria are tremendously damaging to their image internationally. So in order to deflect attention away from these developments Israel has launched an air raid, alleging that Syria is transporting weapons to Hezbollah in southern Lebanon.”

»Azikiwe predicted that both the US and Israel will use the threat of Syrian chemical weapons falling into Hezbollah’s hands as an excuse for this airstrike, as well as similar future military actions in the region. Israel’s airstrike is also aimed at putting further pressure on Assad’s government: “Part of that strategy of course has been the deployment of Patriot missiles in Turkey,” he said. “And with the airstrikes that took place today this is designed to create a sense of encirclement.”»

• D’une façon assez notable, le site DEBKAFiles, émanation indirecte des services de sécurité israéliens, prend dans son premier compte-rendu assez tardif sur l’affaire (le 31 janvier 2013) une attitude réservée, en ne dissimulant pas certains effets négatifs de l’attaque d’Israël, notamment au niveau de l’état d’alerte généralisée qui s’est installé et de l’une ou l’autre position de divers pays impliqués. (Par exemple, la Turquie est extrêmement mal à l’aise du fait que ce soit Israël qui ait réalisé la première intervention étrangère armée “ouverte” dans le conflit syrien.) DEBKAFiles rappelle également la présence d’une importante flotte russe au large de la Syrie (18 navires, avec 2.000 fusilliers-marins à bord), comme seule force militaire extérieure importante (les USA ayant retiré leur groupe de bataille autour du porte-avions USS Dwight D. Eisenhower, – voir le 26 janvier 2013)

«According to various Middle East sources, the Syrian report of an Israeli air strike has touched off high military alerts across the region. Syria has put its Golan forces on the Israel border on combat readiness and the Lebanese and Jordanian armies are on alert. So too are the Russian fleet opposite Syria and the Lebanese army. Our military sources report that Turkish units on the Syrian border are on high preparedness although Ankara played down the reports of the Israeli air strike in Syria, uncomfortable over the fact that the Israeli Air Force was the first external power to intervene directly in the Syrian conflict…»

• Enfin, Jason Ditz, de Antiwar.com, développe surtout, dans deux synthèses, le 30 janvier 2013 et le 31 janvier 2013, l’idée que l’attaque israélienne, et d’autres peut-être à venir, vont changer considérablement la position d’Assad, d’une façon positive pour lui, en suscitant un regroupement inévitable des pays arabes, dont ceux qui sont hostiles à la Syrie, par nécessité de condamner une offensive israélienne contre la souveraineté d’un pays qui reste un pays arabe, quoi qu’il s’y passe sur son territoire. Cela rejoint la réaction de la Ligue Arabe, vue plus haut.

« Yet from the Assad regime’s standpoint, the Israeli attack may be a blessing, giving it a measure of international sympathy and an opportunity to play up its civil war as part of a fight against Israel. […] Israeli officials may be comfortable threatening more and more attacks, but if they are stuck constantly launching strikes against the Syria-Lebanon border they may find themselves getting drawn deeper into a regional war they really don’t want.» […]

«Whatever the case, the attack will have a major impact on Syria’s civil war, complicating the conflict and adding credence domestically to Assad’s claims of a Western conspiracy against him. Though it is highly unlikely Israel launched the attack in coordination with Syria’s Islamist rebels, the perception of an Israeli role in the war for regime change could shift popular opinion both in Syria and in the various nations from which Islamist fighters are flocking.»

L’attaque israélienne est effectivement unanimement considérée comme un très possible game changer de la situation en Syrie, avec ce qui apparaît désormais, d’un avis très largement partagé (pays pro-Assad et anti-Assad mélangés), comme le premier acte de ce qui devait être à tout prix évité, – une intervention extérieure “ouverte”, voire “à ciel ouvert” comme c’est le cas de le dire. Des experts israéliens affirment que la direction israélienne, décrite comme maîtresse dans l’art de peser les avantages et les inconvénients de cette sorte d’action, a bien mesuré les conséquences de son action. Mais si l’on prend la thèse selon laquelle, d’une façon ou d’une autre, Israël veut intervenir sur l’arsenal syrien, soit sur des convois, soit sur des centres d’études, pour empêcher qu’indirectement ou directement des armes soient convoyées vers le Hezbollah au Liban, on comprend que ce calcul israélien décrit comme particulièrement attentif, a tout de même le vice de porter sur un aspect très spécifique, très tactique, de la sécurité d’Israël, et sans assez de considérations pour les conséquences stratégiques.

D’une façon caractéristique, DEBKAFiles se lamentait, le 29 janvier 2013 à propos du désordre qui s’étendait en Syrie et en Égypte, nourrissant une situation qui était le pire cauchemar d’Israël pour sa sécurité stratégique : mais l’action du 30 janvier 2013 alimente objectivement cette crainte, en élargissant ce désordre d’une part, mais en courant le risque grave de l’orienter dans un sens anti-israélien, ce qui serait encore pire que ce que DEBKAFiles craignait. Certains jugeront que le désordre autour de lui est le but d’Israël, paraît-il pour éviter que des structures puissantes de pays contrôlés se dressent contre lui, mais le raisonnement peut être complètement renversé. A cause des divisions du conflit syrien, ces “structures puissantes de pays contrôlés” sont loin d’être tournées contre Israël (cas de la Turquie qui a évolué dans un sens pro-israélien), et si cela changeait ce serait dans un délai assez long ; le désordre, lui, est présent immédiatement, et l’attaque israélienne risque de lui donner une orientation, un ordre paradoxal, anti-israélien… Cette possible erreur stratégique est, par ailleurs, une marque de la politique des pays du bloc BAO, et particulièrement d’Israël dans sa version actuelle d’obsession type Netanyahou. D’anciens chefs militaires et de sécurité d’Israël ont dénoncé la politique israélienne dans les territoires occupés, estimant qu’il s’agissait militairement “d’une action tactique, ne reposant sur aucune stratégie”, et donnant les résultats qu’on voit… Dans le cas de l’attaque contre la Syrie interprétée dans ce cadre, la “doctrine” du désordre est encore plus caractéristique, – facile à développer tactiquement et très difficile à contrôler stratégiquement, voire stratégiquement contre-productive.

L’attaque israélienne peut créer un véritable désordre, et l’on comprend bien alors la différence entre tactique et stratégie, et le profond antagonisme qui peut opposer l’une à l’autre. Le désordre ainsi produit est certes sur le terrain, mais il est d’abord insufflé dans la crise syrienne dans son sens le plus large, dans le rangement qui était tenu plus ou moins depuis son origine. D’une façon schématique mais puissante, ce désordre est caractérisé par un fait fondamental : en intervenant, Israël ressuscite le fait de communication dévastateur de la solidarité contrainte des pays arabes (musulmans) face à Israël, – contrainte, peut-être même faussaire pour certains pays arabes et musulmans qui “copinent” discrètement avec Israël, mais irrésistible dans ce cas, par la tension et la violence de la chose, car alors la “rue arabe et musulmane” devient une terrible menace pour tous les dirigeants arabes. La colère populaire dans ces pays n’est jamais si prompte à s’enflammer que contre Israël perçu comme agresseur, et alors toutes les directions arabes et musulmanes sont obligées de céder à cette pression populaire et à prendre une posture anti-israélienne, – et pour certains d’entre eux, qui sont résolument anti-Assad, c’est un retournement puisque la posture anti-israélienne devient objectivement pro-Assad dans ce cas… Et l’on sait bien aujourd’hui, “printemps arabe” oblige, que le “rue arabe et musulmane” est devenue un facteur volatile, incontrôlable, oppressant, absolument central à l’évolution de la politique générale dans la région. Le désordre peut donc encore et encore, comme toujours, nous réserver surprises et voltefaces. Ce qui conduit en conclusion à l’interrogation centrale autour de ce fait incontestablement nouveau de l’attaque “ouverte” d’Israël, éventuellement comme un tournant de la crise syrienne : l’obsession tactique d’Israël n’a-t-elle pas engendré une erreur stratégique majeure ? La réponse à cette question déterminera effectivement s’il s’agit ou non d’un “tournant de la crise syrienne”.


Mis en ligne le 1er février 2013 à 08H41