Rien ne vaut les drones at home

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L’industrie de défense US, les experts de sécurité nationale, les généraux, les représentants du Pentagone et diverses autres professions du domaine sont dans un état de geignement et de désarroi très profond à l’idée des réductions budgétaires qui les attendent dans les prochains mois. Même s’il s’agit, disons, de $70 milliards pour 2012 sur un budget officiel de plus de $700 milliards, et un “budget“ officieux qu’on peut estimer autour de $1.200 milliards, geignement et désarroi subsistent également. Cette humeur particulièrement catastrophiste fait d’ailleurs partie du courant des humeurs washingtoniennes et n’a rien pour étonner, n’étant par ailleurs soumise à aucune pondération quelconque d’une appréciation raisonnable des besoins réels et des nécessités dans ces matières de défense.

Pourtant, une lumière nouvelle vient d’apparaître sur cet horizon désolé, et Occupy Wall Street pourrait en avoir été l’interrupteur. Il s’agit du champ intérieur pour l’équipement des systèmes de sécurité, et si l’on parle d’Occupy Wall Street c’est bien entendu à cause de la cause sacro sainte du maintien de l’ordre-Système. Tom Engelhardt évoquait ce point dans une récente chronique où il présentait un texte de Nick Turse sur la prolifération des drones comme arme d’intervention US. (Dans TomDispatch.com, le 16 octobre 2011) :

«Right now, for instance, over crowds of protesters the police hover in helicopters with high-tech cameras and sensors, but in the future there can be little question that in the skies of cities like New York, the police will be operating advanced drone aircraft. Already, as TomDispatch regular Nick Turse indicates in his groundbreaking report, the U.S. military and the CIA are filling the global skies with missile-armed drones and the clamor for domestic drones is growing. The first attack on an American neighborhood, not one in Iraq, Afghanistan, Pakistan, Somalia, Yemen, or Libya, surely lurks somewhere in our future. Empires, after all, have a way of coming home to roost.»

Cette observation générale est largement confirmée par diverses informations venues des milieux de l’industrie de la défense, particulièrement, qui envisagent de modifier leur orientation stratégique commerciale “from green to blue” (“du vert au bleu”, pour désigner la couleur des uniformes de l’armée [vert] et celle des uniformes de la police [bleu]). John Glaser, de Antiwar.com, signale cela ce 19 octobre 2011.

«Facing budget cuts, the defense industry that makes drones, radar equipment, and sensors for use in Iraq and Afghanistan is looking to sell them at home to police, border patrol, and others. Those in the industry refer to domestic law enforcement as “adjacent markets” for their highly militarized technology. That congressional budget cuts simply has the effect of shifting the sale of military equipment from the Pentagon to police departments indicates the military-industrial-complex really has a life of its own.»

Glaser documenter un long article de The Daily Beast sur ce sujet, le 18 octobre 2011. A parti de nombreux interviews de divers industriels et experts, l’article rend compte à la fois d’une situation budgétaire et d’une situation géopolitique en pleine évolution : «Facing U.S. budget cuts, the industry that makes drones, radar equipment, and sensors for use in Iraq and Afghanistan is looking to sell them at home to police, border patrol, and others.»

Il est manifeste que la crise déclenchée par Occupy Wall Street, quel que soit son déroulement, et bien que des occurrences violentes graves restent assez improbables dans la mesure où cette affaire se déroule selon des termes fondamentalement influencés par le système de communication, est un facteur qui est utilisé par l’industrie d’armement, et le complexe militaro-industreiel en tant que tel, pour pousser vers un élargissement considérable des ventes vers le marché intérieur. D’ores et déjà, on a noté l’accroissement de la coopération entre des services de sécurité nationale et des services de police (la CIA avec le NYPD de New York).

Nous nous tournons maintenant vers le Sud, à propos de la rocambolesque et hollywoodienne affaire du complot pour l’assassinat d’un diplomate saoudien à Washington par des Iraniens. Mais nous laissons le montage, car il s’agit évidemment d’un montage, les cris de guerre anti-iraniens qui suivirent pouvant être attendus par certains comme assez forts pour étouffer les clameurs de Occupy Wall Street. Il n’en fut rien. Par contre, la chose intéressante de cette affaire est le rôle qu’y a joué la DEA (Drug Enforcment Administration), administration dont l’activité policière et d’enquête est d’habitude tournée vers la société civile et les activités de banditisme et de trafic. Un article de Reuters du 14 octobre 2011 mettait en évidence à cette occasion, en se concentrant sur le fait, le « growing national security role of Drug Enforcement Administration». Le texte est assez ambigu pour apparaître comme un reportage normal, aussi bien que comme la description d’un montage de la DEA pour affirmer un rôle essentiel dans une affaire importante de sécurité nationale (les relations conflictuelles avec l’Iran).

«The idea of Mexican drug cartels cooperating with Iranian plotters to carry out bombings and murders in the United States may be far-fetched. That is because the alleged plan by Iranian-American suspect Manssor Arbabsiar and a co-defendant to use a Mexican gang to kill the Saudi ambassador in Washington may have been as much conceived through a sting operation by the U.S. Drug Enforcement Administration (DEA) as hatched by a branch of Iran’s Islamic Revolutionary Guard Corps… […]

»Some officials do point to an increase in the number of terrorism-related cases involving the DEA as proof that those seeking to attack Americans or those on American soil have contacts with drug smuggling groups. The scenario of “a state-sponsored organization planning a terrorist attack, leveraging drug cartels to perpetrate an attack that has a geopolitical impact… is precisely why the DEA really has been thrust into the thornier issues, and right into that space,” said Juan Zarate, who was a national security adviser to former president George W. Bush…»

Puisque nous avons commencé par parler des drones et que nous en sommes à parler de la situation sur la frontière mexicaine et du rôle de la DEA, il suffit alors d’observer que l’activité de drones US de capacités de plus en plus grandes à quintuplé ces deux dernières années sur cette frontière. Il est envisagé désormais de ne plus s’en tenir aux seuls drones de reconnaissance, d’envisager d'utiliser des drones d’attaque (ou UCAV, pour Unmanned Combat Air Vehicle) pour des attaques comme on procède au Pakistan ou au Yemen. Ces systèmes ne sont pas administrés par des forces armées mais bien par des agences et administration dépendant de la sécurité intérieure (FBI, DEA, ATF, garde-frontières), – et, de ce point de vue, on pourrait penser que le Pentagone est en train de perdre du terrain.

Cela fait partie de l’orientation générale des affaires du système de l’américaniste. Personne ne veut entendre parler de la moindre restriction dans la politique expansionniste et belliciste extérieure, et pourtant les flux budgétaires (amaigris par ailleurs par les réductions) commencent à être réorientés vers des structures et des systèmes destinés à la sécurité intérieure. A cet égard, et quoi qu’il en soit de la réalité (peu de violences graves probables à craindre), OWS est un formidable argument de communication par l’image d’incertitude et de potentialité de troubles qu’il projette. De même, ce qu’on a vu plus haut de l’affaire mexicano-iranienne conduit à enchaîner vers une appréciation de la crise mexicaine comme d’une “question intérieure” US, et non comme une affaire extérieure. La plupart des commentateurs ont vu dans cette rocambolesque affaire de complot iranien à Washington, un épisode de plus de l’histoire sans fin de la tension entre les USA (avec Israël) et l’Iran. On pourrait aussi bien y voir un nouvel épisode d’une politique mexicains de Washington en pleine évolution, d’ailleurs marquée également par des déclarations du candidat à la désignation républicaine Rick Perry, gouverneur du Texas, selon lesquelles il est partisan d’une invasion au moins partielle du Mexique pour rétablir l’ordre dans ce pays.

Notre propos n’est certainement pas d’avancer ici l’argument de la transformation des USA en “Etat” policier. On ne transforme pas quelque chose en ce qu’il est déjà comme s'il s'agissait d'autre chose, puisque les USA sont évidemment un “Etat” policier. Les drones ne changeront rien à l’affaire, et s’il y en avait dans le ciel de New York ils ne tireraient pas pour autant sur Occupy Wall Street parce que ce mouvement s’est intelligemment inséré dans le flux du système de la communication au plus haut niveau, et dépend donc désormais des us et coutumes de ce système où l’incursion des drones n’est pas prévue avec une telle brutalité. Ce que nous voulons plutôt mettre en évidence, c’est une tendance du système du technologisme dans ce cas (industrie d’armement, forces de sécurité, etc.) se tournant de plus en plus vers le marché intérieur, parce qu’il devient de plus en plus difficile et risqué d’argumenter par rapport au marché extérieur (les guerres d’agression et bellicistes), parce que les forces générales (notamment au Congrès) sont de plus en plus réticentes à alimenter le Pentagone et ses besoins extravagants (même si le Congrès continue à applaudir les expéditions outre-mer, – la vertu de cohérence intellectuelle n’est pas nécessaire dans ces débats). Si l’on veut, c’est une sorte de tendance du Système dans sa composante du technologisme, qu’on pourrait qualifier d’“isolationniste”.

Cette posture nouvelle du complexe militaro-industrielle (CMI) va affaiblir les arguments des interventionnistes bellicistes, qui plaident nécessairement pour le statu quo intérieur US pour favoriser la poursuite des opérations extérieures, qui auront dans le CMI un allié moins empressé qu’auparavant. Mais il fait évidemment envisager cela d’une façon relative, et il ne s’agit que d’une tendance, et qui ne décrit nullement l’avenir en termes assurés. Très rapidement, l’évolution des événements intérieurs aux USA va imposer des interférences majeures, dont aucun drone au monde ne sera capable de changer ou de repousser les effets. Si cette appréciation ne déforce évidemment pas l’hypothèse pseudo“isolationniste”, elle conduit au contraire à considérer d’un regard complètement différent le rôle et le destin du CMI.


Mis en ligne le 19 octobre 2011 à 14H52