Ron Paul est-il la tortue de la fable ?

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La question de la situation de Ron Paul dans la course à la désignation du candidat républicain reste très actuelle, et régulièrement évoquée dans les commentaires US. Elle est entretenue, d’abord, par des résultats chiffrés ou statistiques qui ne défavorisent nullement Ron Paul.

• Un sondage réalisé les 17-18 août place quatre candidats à la désignation républicaine très proches d’Obama, – avant lui ou après lui, – au cas où, pour chacun d’eux, il y aurait affrontement final avec le président sortant. (Il s’agit d’un sondage Gallup du New Jersey, dont les résultats sont rapportés par UPI le 22 août 2011.) Mitt Romney mène de deux points de pourcentage devant Obama, Perry est à égalité avec Obama, Ron Paul est à deux points derrière lui, et Michelle Bachmann à quatre points derrière.

• Le week-end dernier, Ron Paul fêtait ses 76 ans. Il avait lancé, via ses réseaux sociaux et ses sites, une opération de levage d’argent de soutien pour sa candidature. En 24 heures, il a réuni $1,8 million, ce qui approche ses meilleures performances dans cette matière vitale (l’argent), pour une candidature présidentielle. L’opération a pourtant été contrariée par une cyberattaque qui aboutit à la fermeture du site de Ron Paul pendant quelques heures. (On observera que l’accent mis sur son âge canonique, – 76 ans, – à l’occasion de cette campagne ne lui a rien ôté de son pouvoir d’attraction. Décidément, l’âge de Ron Paul ne semble jouer aucun rôle négatif dans cette compétition.)

Un article de The Hill du 22 août 2011 détaille cette performance. Les comptes actuels de Paul sont remarquables. Il disposait de $4 millions à la fin juin ; il a lancé une campagne spéciale pour lui permettre de participer au “straw poll” de l’Iowa, a levé $600.000 et n’a dépensé que $500.000 pour cette compétition. D’une façon générale, Paul gère très efficacement son “trésor de guerre”, en ayant recours au seul Internet et aux dons personnels, et en affirmant pourtant une présence extrêmement efficace dans le pays, et particulièrement dans les Etats où ont lieu des compétitions spéciales. The Hill fait le commentaire suivant, qui semble proposer l’analyse que Ron Paul dispose désormais d’une quasi-certitude de pouvoir lever l’argent nécessaire tout au long de sa campagne, pour soutenir cette campagne : «Rep. Ron Paul (R-Texas) raised $1.8 million in 24 hours between Saturday and Sunday, a major online “money bomb” timed to coincide with his 76th birthday. This is the fourth time Paul has raised more than $1 million in a day this campaign cycle, and a signal that he will have the money to compete as long as he wishes for the Republican presidential nomination.»

• On notera, dans le même The Hill, du commentateur politique Brent Budowsky, le 22 juillet 2011, un article très élogieux de soutien à Ron Paul (enthousiaste et curieusement restreint à la fois, on le verra plus loin). Budowsky, ancien fonctionnaire du Congrès et ancien assistant du sénateur démocrate Lloyd Bentsen (qui fut candidat à la nomination du parti démocrate pour les présidentielles), n’est pas précisément du même courant que Ron Paul. Qu’importe, son choix est celui des qualités de caractère.

«If Barack Obama had 10 percent the conviction for the views he stated in 2008 that Ron Paul has for the views he has stated for decades the American economy and political landscape would be dramatically different and in my view, dramatically better. Let’s set aside our policy differences for a moment and consider the Ron Paul phenomenon, and why Ron Paul continues to have such dramatic impact on our political debate, despite contemptuous treatment he receives from the mass media.

»Ron Paul has two things that very few politicians have. First, he has clearly defined opinions and visions for America which he has advocated with clarity and courage for decades. Second, he has a significant number of devoted supporters who share his opinions and visions, believe strongly in his personal integrity, and extend themselves by giving their time and their donations to his cause, which is their cause, which they believe is Amerca's cause.


Budowsky observe la constance des convictions de Ron Paul, son honnêteté, son refus du sensationnalisme médiatique et du simulacre qui va avec, “ce qui explique qu’il est si peu respecté et si ignoré par la presse”. Pourtant, continue Budowsky, son influence est énorme, et il a à lui seul modifié nombre des attitudes des autres concurrents républicains, dans le sens de ses opinions (notamment à l’encontre de la Federal Reserve) : “De ce point de vue très important, Ron Paul est d’ores et déjà l’un des grands gagnants de la campagne de 2012”. Plus encore, Budowsky croit que Ron Paul va aller très loin : “Ma conviction est que la dernière plus récente ‘vedette du jour’, Rick Perry, le lièvre, disparaîtra bien plus vite que ne le croient les experts, et que Ron Paul, la tortue, a encore beaucoup d’espace devant lui.”

Le texte de Budowsky est pourtant parcouru de touches formelles extrêmement restrictives à l’encontre de Ron Paul, mais qui n’altèrent en rien la vision enthousiaste qu’il a de ce candidat, et même au contraire, à un point qui mérite quelques observations, au moins psychologiques sinon psychanalytiques. Citons quelques-unes de ces remarques sans liens d’enchaînement entre elles : «The issue is not whether I agree with Paul or not. Sometimes I do, often I do not. The issue is that Ron Paul is the kind of conviction politician (to use Margaret Thatcher's excellent phrase) that America needs. […] This is why I find Ron Paul so interesting, and write about him so often. No, I do not want him to be president, but yes, I think America needs more conviction politicians like Ron Paul.»

Bien, Budowsky connaît ses classiques (Le lièvre et la tortue) et il n’ignore donc pas que c’est la tortue qui l’a emporté. Il applaudit à tout rompre à la tortue et, pourtant, nous dit-il, il ne souhaite pas que Ron Paul devienne président des États-Unis. Quelle curieux jugement, où l’on croirait distinguer une sorte d’attitude psychologique, ou psychanalytique, s’apparentant à un “acte manquée” dans son attitude d’opposition à Ron Paul  : “Je suis contre Ron Paul devenant président mais j’aimerais bien me tromper complètement, ce qui devrait être le cas puisque j’en fais par ailleurs l’éloge à un point tel qu’il est manifeste que s’opposer à Ron Paul n’a guère de sens et que fort peu de gens le feront…” Et la chose vient d’un commentateur qui est de tendance démocrate, ce qui explique en partie sans doute la position inconsciemment forcée par la fidélité à une carrière, qui ne demande qu’à être démentie, voire à être délivrée de son serment d’allégeance. C’est une curieuse attitude, mais par rapport au courant médiocrissime de la politique, c’est une attitude qui doit se retrouver chez nombre d’Américains, notamment chez des adversaires politiques de Ron Paul. Ce fait, extrêmement psychologique, inexprimable par des mécanismes superficiels comme les sondages d’opinion, en dit long sur le potentiel dissimulé de Ron Paul. Il en dit long aussi, sur la perception qui existe chez nombre d’Américains de l’état de l’Amérique, avec cette progression subreptice mais très profonde de l’image d’un Ron Paul se transformant peu à peu en une sorte d’“homme providentiel” de l’Amérique…

Ron Paul, l’“homme providentiel” de l’Amérique, avec nombre de caractères que hait officiellement l’américanisme : la lenteur et l’opiniâtreté (la tortue), la vieillesse, le refus du brio et de l’apparence… Que de contradictions puisqu’avec tous ces caractères, Ron Paul figure l’antiaméricaniste, comme l’on parle d’un anti-héros ou d’un citoyen un-american du temps du maccarthysme, – bien que, à l’inverse, son programme soit complètement, et même exclusivement américain (mais pas conforme à l’étiquette américaniste, nous semble-t-il). Ron Paul est vraiment le phénomène le plus original, et le plus digne d’intérêt, aujourd’hui, de la politique aux USA, et le signe qu’une révolution est peut-être en marche dans la psychologie collective aux USA. (Ce pourquoi, – nous ne résistons pas au besoin de l’écrire, – vous trouverez bien rarement son nom imprimé dans la presse-Système/papier de ce beau pays de France, qui s’est toujours vanté de tant s’intéresser à l’Amérique.)


Mis en ligne le 22 août 2011 à 14H18