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2245Revenant un instant à la question de l’âge de Ron Paul, si obligeamment soulevée par dedefensa.org le 3 mars 2010 dans cette rubrique; observant que ses récents succès populaires en font un personnage important de la politique US, y compris dans la perspective des présidentielles de 2012; constatant qu’effectivement certains (Justin Raimondo, par exemple) envisagent sa candidature présidentielle, sinon sa victoire, en 2012, – je me posai la question d’effectivement considérer dans quelle mesure cet âge formidable (77 ans en 2012) serait un handicap insurmontable…
(Cette question de l’âge, déjà soulevée, mais dans un sens complètement inverse puisque vers les plus jeunes et leur échec manifeste, dans le F&C du 11 mars 2010. Manifestement, cette rapide réflexion sur Ron Paul complète la chose.)
Donc, devisant sur cette affaire avec une personne fort proche, – ma femme en l’occurrence, qui a une affection particulière pour Ron Paul, – et lui disant: «Rends-toi compte, à son âge, il ne pourrait résister aux charges de la présidence, aux voyages avec poses pour les photographes, les gardes du corps qui vous étouffent, les réceptions insipides, les conférences où l’on répète toujours la même chose, les poignées de main… Mais il serait épuisé, laminé, il ne tiendrait pas, à près de quatre-vingts ans…»; et, bientôt, non plutôt aussitôt, m’entendant répondre, du tac au tac:
— Eh bien, il restera à la Maison-Blanche, et alors? Il lira, il réfléchira, trop vieux pour toutes ses fanfreluches, et cela ne sera pas plus mal pour prendre des décisions…
Eurêka! C’est le moins que je pouvais dire, ajoutant aussitôt, en lettré: Fiat lux. Je m’explique sur cette lumière soudainement apparue, – grâce en soit rendue à mon épouse.
J’ai quelques contacts avec l’un et l’autre, en général personnes atypiques qui partagent quelques-uns des jugements exprimés dans dedefensa.org, pourtant placées au cœur de ces monstres bureaucratiques pyramidaux qui englobent la mécanique du pouvoir, qui fonctionnent de cette façon que j’ai décrite pour un “Ron Paul président”, lequel serait placé dans la pire des situations évoquées puisqu’au sommet de la pyramide. Toutes ces personnes confirment le rythme fou, étouffant, qui anesthésie absolument la pensée, de réunion en réunion, de séminaire en séminaire, de réception en réception, où tout le monde suit le discours conforme, où les orateurs lisent des fiches préparées à l’avance par les mêmes bureaucraties absolument encalminées dans les processus d’étouffement de la pensée dispensée par le conformisme totalitaire qui nous emprisonne. Le verdict est implacable: impossible de se dégager des questions les plus pressantes, d’intendance pure; quel est le moyen de dégager telle ou telle somme? Quels services vont être impliqués dans l’application de telle politique conforme à la “ligne”? Comment faire pour organiser telle ou telle conférence, avec toujours les mêmes intervenants, qui diront les mêmes choses? Et ainsi de suite.
Ainsi l’un de ces atypiques disait-il: «Impossible, absolument impossible d’avoir un instant pour l’une ou l’autre question fondamentale… Pourquoi faisons-nous tout cela? A quoi cela mène-t-il? Que vaut notre politique? Que vaut notre système de développement lorsqu’on considère les malheurs qu’il suscite? Pourquoi reconduire comme s’il venait de recevoir un Prix d’Excellence un système qui vient de nous procurer la crise démonstrative de sa complète perversion? Pourquoi continuer à condamner un tel sans vraiment examiner son cas, et soutenir tel autre sans avoir une appréciation critique de son action? Impossible, ce n’est même pas une question d’opinion, d’idéologie, mais un automatisme général qui nous submerge et interdit toute pensée libérée de ce poids écrasant qui annexe tout notre temps… Nous n’avons pas, physiquement et chronologiquement, le temps de penser.»
Dans ce cas, la jeunesse, présentée comme la mère de toutes les vertus, devient le fils favori du vice fondamental. Sarko bondit d’un discours à l’autre, d’une visite à l’autre, toujours avec les mêmes mots, les mêmes formules, parfois jusqu’à redire le même discours que l’année précédente qu’on lui a refilé par inadvertance; Obama lit les fiches que lui ont concoctées ses centaines de conseillers à partir des données des milliers de bureaucrates selon le processus décrit plus haut et n’est capable de prendre une décision qu’à partir des seules options que lui proposent ces mêmes conseillers relayant ces mêmes bureaucraties. On mesure leur vertu à leurs capacités d’être la caisse de résonnance très sexy d’une pensée absolument ossifiée. La jeunesse et le dynamisme deviennent, dans ce cas, la perversion ultime de ce processus mécanique qui est un emprisonnement radical de la pensée, en donnant à cette paralysie générale l’illusion du mouvement. Aucun moment, aucun instant ne leur est ménagé au cours duquel, l’un ou l’autre pourrait, dans le silence d’une pièce intime aux murs tapissés d’ouvrages contenant des parts importantes de la sagesse de l’histoire du monde, s’interroger sur les grandes questions et les questions simples du sens du monde et de la course folle de notre civilisation. (Certes, imaginer Sarko dans une telle situation est plus difficile que pour le cas Obama; peut-être aurions-nous dû nous en aviser avant…)
De Gaulle était connu pour avoir, en même temps, l’autorité et la sagesse de se réserver, dans ses journées de travail, de ces instants de solitude méditative. Il ratait bien rarement ses fins de semaine à Colombey-les-Deux-Eglises, où il méditait devant les rudes paysages des marches de Lorraine, chargés de la tragédie de l’Histoire et du temps qui passe. Il déléguait, pour avoir plus de temps à lui, bien plus qu’aucun des président qui lui succédèrent ne déléguèrent jamais, – pour ne pas parler d’un Sarko, qui veut tout faire, tout contrôler, tout régenter, – pour se retrouve, perdu, désorienté, sans plus aucun rapport avec la réalité du monde, – mais content de lui, certes... Pardonnez-nous ce jeu de mots trop tentant, mais nous dirions tout de même que de Gaulle était un inspirateur là où Sarko est un aspirateur; différence entre l’esprit et la mécanique…
Alors, mais c’est bien vrai! Si Ron Paul est le sage qu’on croit parfois deviner, s’il était élu malgré son âge incroyablement canonique, s’il annonçait qu’il se replie à la Maison-Blanche et délègue ses pouvoirs exécutifs aux autres, décommandant la plupart des déplacements et des fiestas accessoires, pour se plonger dans la méditation inspiratrice sur le sort de notre monde… Ce n’est pas sophistiqué mais ce serait, s’il en existe encore une, la seule voie possible de la sagesse.
Ron Paul, 77 ans? Sacré argument pour l’élection de novembre 2012.