Russie et USA face à face

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Russie et USA face à face

14 décembre 2012 – Une évolution très rapide est en cours, assez peu notée parce que l’attention est sollicitée par d’autres crises en cours, dont la crise syrienne est la plus spectaculaire sinon la principale (pour ce dernier point, le débat reste ouvert). Cette évolution est en train de se transformer en crise, comme c’est l’habitude écrasante dans cette époque où tous les problèmes et différends qui surgissent se transforment en crise active, qui deviennent endémiques et insolubles et s’inscrivent dans l’une ou l’autre chaîne crisique. Dans ce cas, il s’agit de la Russie et des USA.

Des facteurs très différents concourent à se réunir pour établir le potentiel explosif d’une telle crise. Ils sont très différents du côté russe, où ils sont directs et précisément exposés, dans des termes sans ambiguïté, et aussi bien très contrôlés ; et du côté américanistes, où ils sont indirects, imprécis, mais si extraordinairement incontrôlables qu’ils contiennent un potentiel explosif considérable d’aggravation.

• Pour la Russie, nous avons suivi ce la transformation de ce que nous nommons l’“agression douce” (de communication) des USA (du bloc BAO) contre la Russie, en une “guerre douce” (de communication) mais de plus en plus féroce, avec la riposte de la Russie. On a vu le caractère multiforme de cette riposte (voir le 10 décembre 2012), laquelle est désormais conjoncturellement exprimée principalement par la réaction de la Douma à la Loi Magnitsky votée par le Congrès (voir le 13 décembre 2012).

• Poutine est intervenu dans cette affaire, soutenant sans réserve la Douma, par conséquent officialisant la riposte parlementaire russe en une politique russe active. Il faut préciser qu’il a assorti ce soutien, à côté de paroles engageant à user avec raison et mesure des dispositions de la nouvelle loi russe, de considérations extrêmement vigoureuses sur la situation des USA dans le domaine du respect des droits de l’homme, dans le chef de la politique gouvernementale, aussi bien que du comportement de citoyens US et de l’action de la justice et des organes de sécurité US (dans des affaires de violences et de maltraitances d’enfants russes par des citoyen US). L’ensemble forme une attaque directe, sans concession, et par ailleurs complètement justifiée (ce qui sera le plus dur à encaisser pour la partie US), du comportement des USA, de l’illégalité et de l’inhumanité de leur politique et de leurs mœurs. Venant du président de la Russie, cette attaque, qui estsans précédent dans la précision, la dureté et la franchise, va sans aucun doute laisser des traces profondes dans la direction-Système de Washington, où l’on n’aime guère être confronté avec le spectacle dénoncé publiquement et d’une façon officielle des infamies de la politique-Système développée cyniquement et au mépris de tous les usages et lois internationales… (Extraits de l’intervention de Poutine d’après Russia Today>D> du 13 décembre 2012.)

«Vladimir Putin has lashed out at the US’s Magnitsky Act dubbing it “a purely political, unfriendly move.” The President has approved the speeding up a counter list addressing American foster parents guilty of abusing Russian orphans. “We should certainly react [to the bill] appropriately,” Vladimir Putin said, welcoming the State Duma’s initiative regarding the sanctions list against US nationals. “We should make sure that our decisions are adequate, but not exorbitant,” he underlined. […]

»Despite promises by the US leadership, the Guantanamo Bay detention camp is still operating. “People are kept there without trial – in shackles and chains just like in the Middle Ages,” Putin remarked and now, he continued, people “who opened secret prisons and legalized torture during investigations” point out Russia's shortcomings. […]

»As the meeting gradually switched to the problem of Russian orphans dying in foreign foster families, Putin slammed American authorities for their slack reaction of the incidents. “We are indignant not so much at these tragedies – even though it’s the worst thing that can happen – as at the reaction of the [US] government, a vindicatory reaction. That’s what is bad,” Vladimir Putin said on Thursday.»

• Du côté US, que dit-on ? Rien du tout car, en vérité, on ne s’occupe nullement des réactions russes et des déclarations de Poutine. Ceci et cela prendront leur importance fondamentale en temps voulu, quand le sujet s’imposera; l’orientation de la communication au jour le jour à Washington, avec sa vélocité et son désintérêt pour le fondamental, ne nous dit rien d’essentiel pour notre enquête sinon de tromper les naïfs qui croient pouvoir s’attacher à cette absence de réaction pour conclure à l'inexistence du cas. Par contre, ce que nous plaçons en corrélation avec ce qui précède pour annoncer un désaccord grandissant et peut-être une crise majeure entre la Russie et les USA, c’est un pas supplémentaire dans l’érosion de la position du président US, fraîchement réélu et paraît-il en position triomphante… Sornettes, cette “position triomphante” ! BHO n’a jamais été en position aussi faible, à cause de la mécanique du Système autant que des faiblesses de son caractère par ailleurs si brillant.

Le mois dernier, lorsque des rumeurs placèrent l’ambassadrice à l’ONU Susan Rice comme successeur d’Hillary Clinton au département d’État, d’autres rumeurs lancèrent une attaque déterminée (essentiellement républicaine) contre la même Rice. Un journaliste d’ABC interrogea BHO , le 20 novembre, sur ces rumeurs lancées contre Rice, lors d’une conférence de presse, et obtint cette réponse d’une fermeté sans précédent pour ce président, où il disait quasiment que Rice c’était comme lui-même, que toute attaque contre elle était une attaque personnelle contre lui : «For them to go after the U.N. Ambassador, who had nothing to do with Benghazi, and was simply making a presentation based on intelligence that she had received, and to besmirch her reputation is outrageous… […] When they go after the U.N. Ambassador, apparently because they think she's an easy target, then they've got a problem with me.»

L’engagement de BHO auprès de Rice semblait donc assuré et fondé sur une conviction furieuse et irrésistible… Tout ça pour apprendre, hier, que Susan Rice retire sa candidature parce qu’elle craint que le processus de ratification de sa nomination par le Sénat n’endommage gravement la position du président. Sa lettre, suivie d’un communiqué de BHO déplorant avec chaleur pour Rice et gémissements divers de lui-même pour lui-même, nous dit par conséquent rien de moins que ce fait qu’Obama a capitulé devant les républicains sur une cause qu’il avait faite lui-même personnelle et intransigeante. (Rice : «If nominated, I am now convinced that the confirmation process would be lengthy, disruptive and costly – to you and to our most pressing national and international priorities. That trade-off is simply not worth it to our country…Therefore, I respectfully request that you no longer consider my candidacy at this time.»)

• Que signifie l’épisode Rice ? Qu’une fois de plus, et sur quelle matière où il s’était engagé avec une telle détermination personnelle, Obama recule, capitule devant son opposition. Où est le président triomphant du scrutin du 6 novembre ? On notera sa même faiblesse dans les négociations sur la séquestration (la question d'une réduction automatique de la dette), où les républicains n’ont jusqu’ici pas cédé un pouce de terrain au “président triomphant” du 6 novembre. On se permettra alors de ricaner tristement au souvenir d’Obama, surpris alors qu’il croyait les micros fermés, demandant à Medvedev de faire savoir à Poutine qu’après sa réélection il serait bien plus à l’aise pour agir à sa guise (voir le 27 mars 2012) ; qu’il pourrait imposer sa politique, notamment à l’insupportable Congrès où les républicains, bien qu’ils soient loin de tenir tous les leviers de commande (ils sont minoritaires au Sénat) font tout de même la loi… Eh bien, les premiers éléments dont on dispose depuis le 6 novembre, et notamment cette affaire Rice où le président s’était complètement engagé, montrent que les républicains continuent à imposer leur loi au président.

• En d’autres termes, cela signifie que la crise du pouvoir se poursuit à Washington, et, en fonction des événements (réélection d’Obama qui devait tout régler), qu’elle tend, même à s’aggraver. Cela signifie un Congrès plus que jamais tout-puissant et irresponsable, où les républicains vont imposer la loi de leur politique maximaliste… Notamment, une politique maximaliste absolument antirusse. Cela signifie enfin, pour en revenir à notre propos initial que est la Loi Magnitsky et la riposte russe de de la Douma, que les avatars et incidents autour de ces deux législations vont se poursuivre et s’amplifier sans nul doute. L’élément nouveau n’est pas la prépondérance du Congrès, que nous venons de voir, mais bien la volonté désormais affichée et inébranlable des Russes de riposter, et de riposter avec fermeté, dureté, sans la moindre concession. Les Russes ont évidemment raison, mais il ne faut pas se dissimuler que cela conduira à une aggravation dramatique des relations entre la Russie et les USA tant le Congrès est viscéralement engagé dans sa vindicte antirusse qui relève par certains côtés d’une sorte de passion haineuse comme cet auguste organe de direction en est désormais coutumier. Contre cela, le pauvre Obama, qui reste finalement la marionnette du désordre que la politique-Système et la dégénérescence du pouvoir imposent à Washington, ne pourra rien, – de la même façon qu’on devrait le voir, aujourd’hui, signer la Loi Magnitsky qui constitue sans doute en l’enterrement de tous ses espoirs d’améliorer de façon substantielle les relations avec Moscou.

Une crise dissymétrique

Dans la première phrase de cet article, nous posions une interrogation implicite, – “ Une évolution très rapide est en cours, assez peu notée parce que l’attention est sollicitée par d’autres crises en cours, dont la crise syrienne est la plus spectaculaire sinon la principale (pour ce dernier point, le débat reste ouvert)”. Cette interrogation peut se formuler d'une autre façon : ce que nous estimons effectivement être une crise majeure in the making, et à une très grande vitesse, et avec de nombreux éléments incontrôlables, peut-elle devenir la crise principale entre les diverses crises en cours ? La question vaut d’être explorée.

Ce qui est caractéristique dans cette crise, ce sont ses aspects dissymétriques. Les protagonistes principaux (Obama et Poutine) le sont à leur corps défendant, puisque l’effort d’affrontement se fait entre les deux parlements et que les deux hommes, parlant en leur nom personnel, ont déjà largement montré qu’il existe chez eux une volonté personnelle d’entente ; mais l’un des deux (Poutine) est beaucoup plus en place et “en charge” dans ce cas, et libre de ses mouvements tandis que l’autre (Obama) est prisonnier des querelles intérieures qui dominent la scène washingtonienne. La dissymétrie, dans ce cas, est également dans le fait qu’avec cette crise, un des protagonistes (toujours le même, les USA) est obligé, par la force des choses, de mettre en évidence, de mettre sur la scène internationale de la crise, la plus grave crise interne affectant son système et le Système, qui est la crise du pouvoir washingtonien.

La dissymétrie se lit aussi dans le fait que les deux parlements répondent dans leurs actions à des motifs différents. La Douma riposte au Congrès et tend, pour cela, à rameuter une sorte d’“union nationale”, en son sein mais aussi dans tous les organes du pouvoir, voire dans le public. Il existe une certaine tendance à l’unanimité à cet égard, renvoyant au patriotisme russe, qui commence à se répandre même auprès de certaines de ces associations qui ont “travaillé” avec les USA ; dans ce cas, les interférences intérieures et les oppositions tendent à s’amoindrir, voire à s’effacer. Du côté US (Congrès), c’est presque le contraire. La violence antirusse est presque un réflexe pavlovien du Congrès, qui n’implique aucune dynamique unitaire, et républicains et démocrates continuent à se déchirer dans leurs innombrables querelles intérieures tout en votant unanimement contre la Russie. Il y a même dissymétrie dans la perception du motif de la crise : du côté US, si on tient dur comme fer aux mesures prises, on n’y attache pas une importance politique exceptionnelle, parce que l’habitude est effectivement l’ingérence dans les affaires d’autrui, dans nombre de domaines. Au contraire, pour les Russes, le cas est très grave, à cause de la sensibilité russe à la question de l’indépendance et de la souveraineté, et le motif de la crise est perçu exactement à sa valeur.

Cette dissymétrie peut même se renforcer sur le terme et introduire un nouvel élément objectif d’aggravation et, surtout, d’extension de la crise. Autant le Congrès s’aperçoit peu de la gravité des actes, autant, s’il se met à le réaliser, – il lui faut toujours du temps pour cela, – sa réaction peut alors, devrait alors bondir à l’autre excès en retrouvant sa fureur haineuse antirusse. Les Russes comprendraient d’autant moins la vigueur de cette réaction tardive qu’elle serait justement tardive, après avoir laissé l’impression qu’il n’y aurait guère de réaction. C’est de cette façon qu’on peut assister à une extension de la crise, avec l’extension de l’hostilité et des mesures de rétorsion à d’autres crises (et, principalement, au domaine de la crise syrienne).

D’une façon plus générale, nouds dirions que l’importance potentielle de cette crise qui apparaît est qu’il s’agit complètement d’une crise dans le champ du système de la communication. Il n’y aucune implication d’un territoire contesté, d’unités militaires prêtes à l’affrontement, etc., bref, rien de ce qui fait une crise géopolitique qui est, en termes de gravité, d’une époque révolue ; mais il y a une querelle profonde portant sur des perceptions différentes, sur une appréhension différente (opposée) des principes fondamentaux (souveraineté, légitimité, légalité). La crise embrasse évidemment tous les phénomènes qu’on a identifiés depuis quelques années, depuis les “révolutions de couleur” à l’“agression douce” ou à la “guerre douce”. Réduite à ces considérations, on tendrait à dire que sa gravité est réduite, mais on raterait l’essentiel.

Cette crise “dans le champ du système de la communication” est d’un symbolisme extrêmement puissant. Elle donne aux Russes le moyen d’exprimer une frustration et une colère recouvrant la période des années 1990, lorsque le bloc BAO, et particulièrement les USA et leurs financiers, se sont installés en Russie comme en terre conquise et ont mis ce pays à l’encan. Au-delà, et allant encore plus profondément, elle exprime des divergences de plus en plus antagonistes des conceptions du monde et s’inscrit dans le cadre de plus en plus puissant de la mise en question par les Russes du système libéral, du capitalisme anglo-saxons, de la globalisation, etc., c’est-à-dire du Système. A l’inverse, et pour faire bonne mesure et que personne ne rate rien de la réalité de la chose une fois que celle-ci aurait atteint sa maturité crisique, la crise se place dans le cadre de la perception juste du bloc BAO selon laquelle la Russie est l’un des principaux, sinon le principal adversaire du Système, dans tous les cas celui qui a la plus claire conscience de ce que c’est que le Système auquel il s’oppose.

Pour cette dernière raison, enfin, nous voyons un très grand avenir à cette crise qui est en train de se préparer, qui va opposer les USA et la Russie dans les conditions chaotiques qu’on a vues, et mettre les Européens dans une position extrêmement difficile, – à cause de leur intégration dans le bloc BAO d’une part, à cause de leur proximité de la Russie qui est vraiment un très gros morceau, avec lequel il ne faut pas trop laisser aller la détérioration des relations d’autre part. Cette crise pourrait devenir la crise emblématique de la crise du Système et la crise emblématique de l’opposition au Système existant dans certains pays, et notamment la Russie qui devrait alors tenir cette position, qui lui est naturelle, de représentant principal de cette tendance.

Finalement, nous verrions cette crise comme ayant le potentiel de devenir bien plus grave que celle des antimissiles, la crise opposant actuellement directement les USA et la Russie, parce qu’aucune issue technique, négociable, ne peut lui être trouvée. Finalement encore, elle devrait rejoindre lac crise syrienne dans ce que cette crise a, hors de l’affrontement sur le terrain, d’une dimension psychologique et pathologique de divergence ou d’affrontement entre différentes perceptions et conceptions du monde à la fois. Ce face-à-face entre ces deux grands pays qui ont déjà une histoire fournie d’antagonisme porte en lui un caractère d’insupportabilité réciproque, par les représentations symboliques caractérisant la Russie et les USA. Le Système en est l'enjeu, avec sa prépondérance totalitaire et son écrasante contrainte.