S’en laver les mains en criant “victoire!”

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S’en laver les mains en criant “victoire!”

2 septembre 2013 – Pour le titre de ce commentaire général à partir d’un fait évidemment stupéfiant, nous avons beaucoup hésité avant de nous replier derrière la référence célèbre mais anecdotique du Préfet Pontius Pilatus à propos du sort de Jésus de Nazareth. Cela aurait pu être “Transmission de la patate chaude”, ou bien simplement un “On ferme” qui aurait aussi bien concerné le rôle du président que, plus largement, l’exercice de la puissance faussaire de l’Empire en plein processus de détricotage. Pour le reste, il s’agit, comme cela a été précisé, d’une idée du seul Obama jaillie vendredi et aussitôt concrétisée en décision. (Aucun de ces conseillers ne lui avait présenté cette option, la jugeant sans doute hors de propos, non conforme au comportement du président ou simplement indigne dans l’atmosphère totalement irréelle d’hybris qui continue à régner à la Maison-Blanche. Le National Security Council de l’ultra-faucon-neocon Susan Rice n’avait pas cette possibilité dans ses cartons rafraîchis, selon NBC.) Cette option complètement imprévue, venue à l’esprit d’Obama à partir du spectacle de la déconfiture de Cameron, illumine effectivement, et le caractère d’Obama, et sa position réelle sur la crise syrienne.

• Un caractère tortueux, désinvolte, ennemi des responsabilités et des positions tranchées, préoccupé de protéger la réputation et l’image qu’il croit flatteuses, pour caractériser ses actes de gouvernement. Il se sort peut-être, temporairement, du guêpier qu’il a lui-même confectionné (son absurde obligation de “red line”) et dans lequel il s’est lui-même fourré, mais il n’en sort grandi en rien, et même plutôt diminué à un niveau de politicien washingtonien. Cela, précisons-le, pour la première impression.

• Sur la crise syrienne, notre jugement de toujours est qu’Obama était et reste viscéralement opposé à une intervention, et cette idée de transférer “la pate chaude” au Congrès lui permet d’éviter une décision. Pour autant, elle ne règle rien : si le Congrès (essentiellement la Chambre des Représentants) le soutient, la décision lui revient à nouveau, dans des conditions qui, malgré l’apparence immédiate, n’ont guère de chances d’être meilleures qu’elle n’étaient avant sa décision, simplement du fait que la séquence aura montré sa solitude initiale le poussant à forcer des appuis extérieurs au prix d'une réduction acceptée de ses prérogatives. Si le Congrès censure le projet d’attaque, alors il se trouve considérablement affaibli au niveau intérieur, jusqu’à une crise possible de sa direction, sans parler de la menace de l’effondrement décisif du statut d’“hyperpuissance“ des USA vers une déroute infâme ... Mais peut-être le psychiatre ou un confesseur habile trouverait-il au fond de son âme incertaine et dissimulée le secret désir d’un vote négatif qui le débarrasserait du fardeau à l’avantage de la vertu constitutionnelle, et à l’avantage de sa propre hybris. Il pourrait toujours arguer pour lui-même que sa “stature” d’homme d’État, cette préoccupation dérisoire, est confirmée a contrario par son respect de l’esprit de la Constitution, – cette honorable préoccupation pour cet ex-professeur de loi constitutionnel qui ne cesse de la violer (la Constitution). “C’est la faute à la Constitution, pas à moi”, dirait-il pour justifier cette impuissance voulue, alors qu’il proclame toujours et inconstitutionnellement qu’il n’a pas besoin de l’accord du Congrès pour agir. Quel esprit tortueux, le contraire d’un homme d’État ...

• Un post-scriptum qui n’est pas sans importance concernerait une attaque malgré un vote négatif du Congrès (ce qui est “légalement” possible à la lumière de la “légalité-selon-Obama“ puisque c’est le président qui, en ce moment, semble “faire la loi” selon les besoins de sa politique). La situation serait totalement inédite puisque l’épisode n’aurait fait que confirmer la solitude d’Obama dans l’aventure, sa réticence pour attaquer et, malgré tout, sa volonté d’attaquer pour ne pas voir le statut de sa position diminuée, pour protéger sa “crédibilité”. Il s’agit toujours de l’enchaînement de nécessités imposées par une position arbitraire et risquée de communication (la “red line”), rendu encore plus compliqué par son extension dans le nombre de chaînons impliqués et le temps écoulé.

On donnera ici quelques commentaires de divers experts et autres, qui ne prétendent pas représenter toute la palette de cette riche communauté mais qui rassemblent à peu près l’esprit des diverses réactions qui ont immédiatement suivi la décision d’Obama. L’ensemble de ces réactions a été rassemblé par le bureau de Washington de McClatchy, immédiatement après la déclaration du président US, après le commentaire selon lequel Obama prend un gros risque en consultant le Congrès, dont l’avantage pourrait être pourtant «a broad popular support, giving him a stronger hand in facing Syrian President Bashar Assad and perhaps other dictators later in such regimes as Iran...» Néanmoins, le titre met l’accent sur l’aspect négatif du risque, – «Obama risks embarrassing loss in Congress.» (Voir McClatchy, le 31 août 2013.)

«But there are military and political risks in the process. Militarily, a desperate Assad could use the time while Obama waits for a Congressional debate to launch another chemical weapon attack, either in his own country or elsewhere in the Middle East, turning a civil war into a regional conflict. Politically, Obama could emerge as a weakened leader, finding it even more difficult to push his proposals through Congress, including his top priorities of passing a budget and rewriting the nation’s immigration laws.

»“Ultimately, I think he felt he was going to be a target from both the left and the right if he did it alone, and with few significant allies overseas, I don’t think he wanted to be isolated,” said Lee Miringoff, director of the Marist Institute for Public Opinion at Marist College in New York. “This puts the ball in Congress’s court and they either join and he gets policy and political cover or they oppose.” [...]

»Foreign policy experts questioned the wisdom of waiting at least another week for Congress to return before the U.S. could act. Michael Singh, a former director for Middle East affairs at the National Security Council under President George W. Bush who’s now with the Washington Institute for Near East Policy, a research center, said there could be repercussions. “You risk losing the momentum toward an effective military operation with a decision to go to Congress,” he said, adding it also gives opponents like Russia and Iran more time to protest, and for the Syrians to mount a counter offensive and make certain their air forces are better protected. “Anytime you lose the element of surprise you’re reducing the efficacy of your military strike,” he added. [...]

»If Congress does approve the authorization, Obama could emerge stronger than before. Anthony H. Cordesman, a military analyst with the Center for Strategic and International Studies, said a successful military operation could boost Obama’s domestic agenda. “It will be harder on the budget issues to come up against a president who is strong and successful,” he said. “A president who is strong and failed is a different story, and the president considers that.”»

D’une façon générale, on s’est aussitôt précipité sur plusieurs aspects de la situation concernant les événements à venir, – oubliant souvent de tirer les enseignements de la décision d’Obama ... Si Obama a pris cette décision, c’est qu’il était dramatiquement isolé, ce qui implique une dramatique dégradation de la situation à son désavantage après une semaine de lobbying intense en faveur d’une opération très vite cantonnée à une “punition” du régime Assad sans autre intention stratégique. Si Obama était dramatiquement isolé, c’est justement par son absence complète de stratégie pour poser un acte au potentiel déstabilisant considérable, en application d’une mesure présentée comme universellement évidente et qui n’a pourtant aucun support légal, et dont la cause fondamentale n’est absolument pas prouvée ni avérée. (Pour une analyse détaillée sur les “preuves” de la culpabilité, voir l’excellent texte de Virginia Tilley sur Antiwar.com, le 31 mars 2013.)

Bien entendu, l’événement immédiat, – ou, justement, qui ne l’est pas vraiment, alors que le Congrès aurait pu être convoqué en session extraordinaire dès ce lundi, – est le débat et le vote au Congrès sur la question de l’attaque contre la Syrie. Bien entendu, on trouve des versions prospectives complètement opposées. Ce qui est souvent remarquable, ou bien est-ce conforme au réflexe qui se généralise de parer l’adversaire ou l’adversité de vertus plus grandes dont l’un ou l’autre dispose, c’est de trouver dans les deux camps des prospectives privilégiant l’autre camp... Plus précisément, cela s’explique par ceci que les “optimistes” (vote favorable) sont de vieux adversaires de la politique bushiste recyclée-BHO où l’agression extérieure dominait et provoquait le réflexe à mesure des parlementaires ; tandis que les “pessimistes” (vote indécis ou défavorable) sont des commentateurs-Système qui ont constaté que la politique d’affrontement intérieur, de crise du pouvoir, a (re)pris le dessus.

• Ainsi en est-il de Afshin Rattansi, journaliste indépendant qui collabore avec Russia Today, qui est interviewé par la chaîne de TV russe le 1er septembre 2013. Il est manifestement adversaire de la politique US et n’envisage guère que cette politique puisse être contestée à Washington.

Russia Today: «Will the US Congress do to Obama what the UK parliament did to Prime Minister Cameron - or is he assured of their support in advance?»

Afshin Rattansi: «A lot of sources are saying that a memo entitled “Surgical Strikes” was sent to all congressional offices on August 26. President Obama is pretty comfortable getting that approval from the members of Congress, so no real chance of that [Congress do to Obama what the UK parliament did to Prime Minister Cameron]. On the other hand, he has made it explicitly clear and he has been briefing since he gave a speech in the Rose Garden that action can take place within 24 hours, if necessary. Congressional approval is merely an add-on to show how democratic it is....» [...]

Russia Today: «According to poll results we've seen, the American public is largely against an intervention in Syria - how will it react to Obama's announcement?»

Afshin Rattansi: «One should not underestimate the power of TV news propaganda. One can argue that television news is looking more and more like al Qaeda propaganda videos. After all, news bulletins are made up from these YouTube videos, that they call open-source intelligence here in London, as far as MI6 and Joint Intelligence Committee is concerned. The power of that propaganda to persuade the American people that this would be a short and simple and surgical pin-point and all these absurd words...»

Il faut signaler que Rattansi introduit une nuance intéressante dans ses appréciations, en citant des sources qui ont laissé entendre que la direction du Pentagone, – essentiellement le secrétaire à la défense Hagel et le général (président du comité des chefs d’état-major) Dempsey auraient mis leurs démissions sur la table si l’opération contre la Syrie était déclenchée sans aucun soutien légal, et notamment sans l’accord du Congrès ... Cette affirmation est remarquable par son importance à propos d’une situation avérée (voir le 31 août 2013) et, si elle s’avérait fondée, par ce qu’elle nous dirait de la tension extraordinaire régnant à Washington, et même au sein de l’administration elle-même. Deux démissions de cette sorte de deux personnalités si complètement au cœur de l’action militaire, – si elles avaient eu lieu, si elles avaient lieu dans le cours de la crise actuelle, –pourraient être ressenties, selon les coutumes américanistes, comme une pression proche d’une sorte de putsch (voir notamment le 27 décembre 2007).

• Par contre, un média si complètement proche du Système qu’est le site Politico.com offre une approche extrêmement circonspecte de l’attitude du Congrès. Le texte va jusqu’à mettre indirectement en cause Obama, selon l’idée exprimée plus haut qu’il désirerait au fond, pour échapper à sa propre responsabilité, être empêché par le Congrès de faire ce que sa propre imprudence (la fameuse “ligne rouge”) lui impose de faire et qu’il ne voudrait pas faire ... (Ce qui impliquerait que sa position selon laquelle il peut agir sans l’accord du Congrès est une simple figure de rhétorique, ou de basse communication et rien d’autre.) Cela en dit long, dans tous les cas, sur le climat de méfiance réciproque et de “désunion nationale” qui règne à Washington ; ce climat dont ce président, à force de manœuvres, d’hésitations, de poses de communication, d’habiletés de circonstances et d’absence d’engagement principiel, porte une part importante de la responsabilité.

«Sen. Ron Johnson (R-Wis.) — who received a classified briefing in the White House Situation Room on Thursday and is convinced Assad used chemical weapons — said if a vote were held today, it would fail. I don’t think it passes,” Johnson told Politico. “Right now there are far too many questions unanswered.” “If all this is about because President Obama drew a red line and he’s concerned about his credibility and restoring his credibility, that’s not enough justification for me,” Johnson said.

»To some of his critics, it looks like Obama wants Congress to stop him. Even if Saturday’s surprise move is in line with Obama’s personal feelings, it smacks of a base and poor political calculation, they say. By not demanding Congress return from its vacation early, it gives Assad a window to repeat a chemical weapons attack should he so choose.

»“It’s like watching a bad episode of ‘The West Wing.’ You cannot be president and go back and forth like this and try to communicate strength and confidence to your enemies and your allies,” said one veteran Democratic strategist. “It’s a fundamental misunderstanding of what presidential power is. It’s clear that he doesn’t want to do this. Now they’re trying to find any way possible to get away from that outcome.” [...]

»There is also as much opposition to striking Syria from anti-war Democrats as there is from libertarian Republicans. And that’s before getting into the hawkish caucus who have been calling for Obama to strike without congressional approval.

»Rep. Peter King (R-N.Y.) presented the view of national security hawks who have sought action against Syria long before the Aug. 21 chemical weapons incident that finally prompted the Obama administration to make its case for attacking Assad’s regime. “President Obama is abdicating his responsibility as commander-in-chief and undermining the authority of future presidents. The president does not need Congress to authorize a strike on Syria,” King said. “The president doesn’t need 535 members of Congress to enforce his own redline.”»

... Bref, et pour l’instant, on peut observer qu’Obama ne s’est pas fait beaucoup d’amis avec sa décision-surprise de samedi. Si le soupçon d’échapper à sa propre responsabilité est partagé, – et il a tout lieu de l’être, – on comprendra que les parlementaires n’apprécient guère d’être convoqués par le Président pour faire le sale boulot, c’est-à-dire porter la responsabilité d'un éventuel échec final de toute cette farce tragi-comique, – à certains moments plus comique que tragique que comique, à d’autres plus tragique que comique.

Un épisode chaotique

Il y a deux choses à considérer dans cette décision. L’une est le fait même du débat à venir et du vote du Congrès. L’autre est le délai ainsi imposé à la possibilité de l’attaque, avec l’effet sur les événements et selon ce qu'en décideront les événements. Pour ce qui est du Congrès, on l’a vu, pour certains le vote favorable est acquis. On se gardera de tout pronostic mais on observera que la partie est bien plus complexe ....

Il y a évidemment, pour caractériser la fonction du Congrès, un phénomène politique extrêmement bien fait et complètement faussaire par rapport au concept auquel il prétend se référer, qu’on devrait nommer le “système de la démocratie anglosaxoniste”, où “démocratie” n’est qu’un terme utile type “concept utile” comme on dit “idiot utile” appliqué à un système imposant une discipline de fer à ses représentants pour soutenir ce qu’on appelait “la ligne du Parti” et qu’on devrait nommer désormais la ligne-Système. Ce phénomène politique est cadenassé par un conformisme également de fer et un apparat à la fois patriotique et humanitariste ; il permet les débats internes pour la répartition des avantages du Système et impose un rassemblement (nommé “bipartisan” aux USA) sur les orientations fondamentales du Système.

Mais ce phénomène est vicié, “gauchi”, aujourd’hui, à l’image du destin du Système transformant sa dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction. Il y a désormais des révoltes, des rebellions, des explosions imprévisibles, en un mot le virus d’irrésistibles poussées antiSystème qui troublent gravement, et à notre sens irrémédiablement, la bonne marche de la chose. C’est évidemment aux USA que se manifeste structurellement ce phénomène depuis sans aucun doute juillet-août 2011 et le débat sur la dette publique (voir le 3 août 2011) qui a complètement changé la marche du Système dans ce pays, précédé de quelques coups de semonce prémonitoires mais alors sans conséquence (le vote de la Chambre des Représentants du 29 septembre 2008 [voir le 30 septembre 2008], refusant le plan Paulson pour sauver les banques). On a encore vu une manifestation de cette perte de contrôle le 24 juillet (voir le 26 juillet 2013), sur la question de la NSA. Au Royaume-Uni, le vote sur l’engagement en Syrie (voir le 29 août 2013 et le 30 août 2013) nous indique que la branche anglaise du “système de la démocratie anglosaxoniste” est touchée du même mal, et qu’elle l’est gravement.

On observera que ces spasmes antiSystème ne sont pas déclenchés par des domaines précis sur lesquels s’exerce le vote, mais selon une logique antiSystème justement, tendant à mettre en cause d’une façon générale la “ligne-Système” parce que l’évolution de cette ligne est de plus en plus autodestructrice et que cette évolution suscite confusion, désordre et réactions violentes. En l’état de complication où l’a portée Obama et au stade d’avancement contradictoire des événements, cette crise syrienne exaspère tout le monde à Washington, et d’ailleurs selon des lignes de force radicalement opposées, – entre les antiguerres libertariens qui ne veulent plus d’intervention et la faction psychiatrique des “fous de guerre” type McCain-Graham qui veut beaucoup plus qu’une “softened strike” ; du point de vue des mécanismes antiSystème, on observera qu’elle est éventuellement, à ce stade, un bon champ d’exercice pour cette attitude. “Cette crise syrienne exaspère tout le monde” parce que BHO lui-même, avec ses manœuvres, ses nuances labyrinthiques, ses voltefaces accompagnées de promesses de lignes droites, ses sinuosités byzantines, sa nonchalance derrière la pompe du discours, finit par devenir un des facteurs de cet agacement général. Derrière la crise syrienne, Obama lui-même tend à “exaspérer tout le monde”, et l’on retrouve là encore un terrain connu où la logique antiSystème peut trouver des aliments.

Au reste, l’idée de donner jusqu’au 9 septembre pour lancer le débat du Congrès, ce qui supposerait une intense campagne de lobbying d’ici là avec le président au charbon appelant le maximum d’élus à partir de son bureau ovale, alors que justement le président quitte Washington pour éventuellement se faire sermonner par Poutine au G20 de Saint-Petersbourg, cette idée-là finalement ne semble guère en être une, mais plutôt une nonchalance coupable et peut-être bien maladroite. (Diable ! Si l’affaire est si sérieuse, pourquoi BHO n’a-t-il pas annoncé dans la foulée, samedi 31 août, qu’il n’allait pas au G20, – bonne occasion de sur-punir Poutine à la fois pour l’affaire Snowden et l’attitude russe vis-à-vis de la Syrie, – pour rester à Washington et presser les parlementaires de regagner vite fait la ligne-Système  ? A moins qu’il s’en fiche, BHO, et qu’il s’arrangerait bien de se voir privé de son show anti-Assad ? Ainsi cette affaire ne cesse-t-elle, à chaque avancée du constat et du raisonnement, de faire resurgir tous les soupçons.)

Bref, nul ne peut dire ce que sera l’attitude du Congrès. On sait bien que plus d’un parlementaire, désormais, attend que se confirme et se renforce la coalition qui s’est affirmée le 24 juillet 2013. On comprend alors que l’enjeu dépasse l’affaire syrienne et concerne une restructuration fondamentale en cours de la répartition des forces du pouvoir américaniste. On a vu que l’affaire syrienne, dans le cadre de la question générale d’une politique de sécurité nationale à prétention hégémonique globale et à bout de souffle tout uniment, devient un bon argument de politique intérieure, sinon de perspective électorale. (Voir un Rand Paul, qui ne demanderait pas mieux d’enfourcher la cause néo-isolationniste de l’anti-interventionniste.) Ainsi avons-nous, au lieu d’un de ces mot d’ordre d’“union nationale” qui, en général, et surtout depuis 9/11, mobilisait les parlementaires au nom de l’asservissement à la politique Système, l’ouverture possible sinon probable vers un de ces débats de “désunion nationale” comme Washington est devenu la spécialiste depuis au moins trois ans. Cette désunion-là, si elle se confirme à propos de l’affaire syrienne, pourrait nous mener bien plus loin que le seul vote qu’attend Obama pour se couvrir.

Au reste, que feront BHO et le Congrès d’un vote favorable à une attaque ? Est-ce vraiment un cadeau ? C’est qu’entretemps, les événements n’attendent pas ... Il y a ce Michael Singh qui nous dit à peu près “Vous risquez de perdre le rythme conduisant à l’inéluctabilité d’une opération militaire avec la décision d’aller devant le Congrès ... Quand vous perdez l’élément de surprise, vous réduisez l’efficacité de votre opération militaire” («“You risk losing the momentum toward an effective military operation with a decision to go to Congress,” he said, adding it also gives opponents like Russia and Iran more time to protest, and for the Syrians to mount a counter offensive and make certain their air forces are better protected. “Anytime you lose the element of surprise you’re reducing the efficacy of your military strike”») Disons que nous trouvons cette remarque bien trop “opérationnelle”, complètement insuffisante mais pourtant l’esprit de la chose est bien là : dans le mot “rythme” (“momentum”), bien plus que dans celui de la surprise ou de l’efficacité.

... Le rythme, c’est celui de la crise elle-même, non seulement celle de la Syrie mais celle du pouvoir, de la psychologie de nos dirigeants, de nos narrative, bref la crise générale d’effondrement du Système. Ce rythme, c’est la pression constante de la communication, avec son effet sur la psychologie ; c’est la nécessité, chez celui qui a lancé une dynamique de la conduire sans reprendre son souffle, et d’en perdre la conduite si le rythme varie et ne tient plus ... Nous entrons alors dans le domaine supérieur des événements eux-mêmes, de ceux qui nous conduisent et imposent leurs conditions aux piètres figurants de la pièce. En effet, au-dessus de tout cela, et complétant les deux éléments considérés, on trouve le constat évident de la puissance et de l’autonomie des événements tels qu’ils se manifestent désormais. «Comme dans les situations crisiques paroxystiques désormais, les événements ont une fois de plus pris le commandement de leur propres destins, et une fois de plus avec une décision encore plus affirmée et des effets à mesure. Rien ne peut être dit de particulièrement intéressant dans le détail sur leur “politique”, sinon ce constat, qui n’est pas rien, du détricotage actif de tous les actes du Système, y compris de la narrative centrale qui est d’une pauvreté remarquable et suscite une mobilisation à mesure, – massive bien entendu, parce que les troupes, sinon les troupeaux-Système sont là, mais appuyée sur une conviction aussi mince qu’une couche de glace dans la débâcle du printemps» (Notre texte du 29 août 2013 .)

Ce qui est remarquable depuis le déclenchement de cette séquence paroxystique, c’est l’orientation de la courbe, ou plutôt dirait-on, de la pente dynamique de cette crise. Partie de très haut, de cette impression d’inéluctabilité et de ce besoin de paroxysme (voir le 25 août 2013), de cette hystérie semblant d’abord irrésistible (voir le 27 août 2013), à un moment où il semblait que rien ni personne ne résisterait à la chose, où l’on pourrait rassembler des coalitions historiques et assurer les frappes qui importeraient, la dynamique n’a cessé de s’incurver vers le bas, la crise de revenir de Syrie pour s’épanouir, destructrice, dans les pays du bloc BAO eux-mêmes (voir le 29 août 2013). On ne voit pas pourquoi cette tendance qui n’a fait que s’accélérer se renverserait, voire même ralentirait. Au contraire, puisque ce sont toujours les mêmes artistes à la barre, les mêmes narrative, les mêmes pauvres psychologies enchaînées, les mêmes retraites badigeonnées en rodomontades de rassemblement national.

(Quelle différence complète avec, par exemple, 2002-2003 et la préparation de l’attaque contre l’Irak, où pourtant les foules manifestaient par millions dans les rues. Au contraire, la tendance était alors, comme on dit à Wall Street, complètement “haussière”... Glenn Greenwald se rappelait, dans un article qu’il publie ce 1er septembre 2013, le spectacle pitoyable de Joe Biden, actuel vice-président, allant supplier GW de permettre au Congrès de voter sur la guerre, pour faire savoir qu’il existait, le Congrès, – le vote étant, lui, acquis d’avance ... «I vividly remember watching then-Senate Foreign Relations Chairman Joe Biden practically begging the Bush White House to “allow” Congress to vote on the attack while promising in advance that they would approve for it.»)

La question est alors moins de savoir très précisément si BHO l’emportera au Congrès et ce qui se passera ensuite, même si les péripéties d’ici là et tout du long s’annoncent du plus grand intérêt. La question devient : dans cette courbe descendante après le sommet inéluctable et hystérique originel, vers la tendance constante de la dissolution autodestructrice de la dynamique du bloc BAO, s’arrêtera-t-on seulement à la situation du statu quo ante (d’avant la décision d’attaquer) du bloc BAO, ou bien ira-t-on encore plus loin, c’est-à-dire plus bas dans la dissolution, vers une crise qui ne se contenterait pas de “faire blowback” comme à l’accoutumé, mais qui commencerait réellement à dévorer le cœur du bloc BAO et du Système. De ce point de vue, il ne faut pas craindre de compter comme un élément de poids la détermination de ces hommes-Système de poursuivre avec un entêtement presque grandiose dans cette voie de l’aveuglement, c’est-à-dire de poursuivre leurs plans d’intervention...

Finalement et au-delà de toute prospective rationnelle, on irait jusqu’à envisager qu’un BHO, qui aimerait tant qu’un Congrès le dispense de l’exercice, serait contraint effectivement à le poursuivre d’une façon ou l’autre. Il y sera aidé par la vigilante sentinelle-poire, Hollande-Fabius, qui semble presque dans l’extase dans la réaffirmation constante de ce nihilisme de notaire et de province, qu’on croirait presque d’une texture sublime tant cette insistance nous rapproche de leur instant fatal. (Tout le monde est de cet avis, dans les salons... Un auditeur-voyeur normal devrait en perdre son dentier en s’effarant lui-même lorsqu’il entend, dans la brillante équipe de France-24, l’un des commentateurs du discours d’Obama du 31 août, meubler notre attente des paroles décisives du POTUS du commentaire qui s’avère un constat qui va de soi qu’avec la fermeté qu’il déploie dans l’effort vers l’accomplissement de sa politique syrienne et guerrière, «après tout le président Hollande est tout simplement gaulliste». Vive la poire...)

... Eh bien, il semble que BHO ait trouvé un rôle à sa mesure, du type “Yes, I can”. Fossoyeur de l’“Empire”, selon la technique de la constante réaffirmation jusqu’à l’exposition fortement risquée d’une surpuissance forcée qui basculerait dans l'autodestruction ? Sa gestion de cet épisode paroxystique de la crise syrienne qu’il a lui-même provoqué (sa “ligne rouge”) est à la fois tordue, insaisissable, fuyante, déroutante, parfois presque efficace dans le fait assez curieux et paradoxal d’“acheter du temps”, – celui qui a besoin d’agir très, très vite, pour imposer aux hésitants le fait accompli, qui fait durer la chose, choisissant la tactique tordue au détriment de la stratégie conquérante ... Et, à côté de cela et à cause de cela, objectivement considéré, du point de vue du Système, gestion absolument catastrophique, avec des reculs successifs ponctués de rodomontades extraordinaires présentant ces reculs comme offensifs et irrésistibles. A moins que BHO ait le projet secret d’expédier l’“Empire” ad patres (sorte d’“American Gorbatchev” dissimulé, camouflé sous son double apparemment contradictoire pour mieux l’emporter, inversion totale enfin réalisée) ?