Salut, l'OTAN

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1898

Salut, l’OTAN

11 février 2003 — L’événement qu’a constitué hier le vote négatif (en fait, l'“objection” par lettre) de trois pays (France, Allemagne, Belgique) à l’OTAN n’est pas nouveau, puisque le même acte, sous forme de votes, a eu lieu les 22 janvier et 6 février. La publicité considérable qui en a été faite, due à la machine de communication anglo-saxonne (US et secrétariat général de l’OTAN, dirigé par le Britannique Robertson), a dramatisé l’événement. En fait, il a achevé de le légitimer et la chose existe désormais, quels que soient les arrangements auxquels on aboutirait. Les dirigeants anglo-saxons, qui n’ont désormais plus aucun sens de la durée et de la substance des choses, qui sont totalement pris par l’ivresse de la représentation du monde que leur fournit leur machine de communication, qui sont totalement obnubilés par leur comptabilité de boutiquier en fait de grande politique (« Il est regrettable qu'ils soient en profond désaccord avec le reste des alliés de l'OTAN. Il y a 19 pays dans l'OTAN. On est donc à 16 contre 3. Je pense que c'est une erreur », selon Rumsfeld), — ces dirigeants ne mesurent pas la force de l’événement (ce vote négatif sanctifié par son écho désormais universel) : rien moins que la mort de l’OTAN dans ce que cette machinerie avait d’“exceptionnel”.

(Ce qualificatif d’“exceptionnel” n’implique aucun jugement de valeur, on le comprend ; non plus que l’allusion rapide au veto, où nous avons volontairement écarté sa signification, sa justification politique, évidemment fondée à 100% de la part de ceux qui l’ont posé. Un nombre élevé de ceux qui votent “pour” dans cette affaire partagent le fond du jugement des trois “rebelles” ; mais ils ne font pas entrer en ligne de compte ce jugement ; ils votent conformément à la règle ancienne de l’Organisation, celle, justement, que le vote négatif des trois et la publicité qui en est faite contribuent à faire voler en éclat et à délégitimer,  tuant par conséquent l’OTAN.)

L’OTAN a été fondée sur un principe essentiel, qui lui a donnée sa légitimité : l’unanimité des votants. On devrait même assimiler cette démarche à de l’“unanimisme”, — doctrine littéraire d’après laquelle, selon le Robert, « le créateur doit exprimer la vie unanime, les états d’âme collectifs ». C’est ce qui donnait à l’Alliance son unité presque philosophique, effectivement quasiment créateur d’un « état d’âme collectif », appuyée sur une soi-disant “communauté de valeurs”. Cela permettait aux Américains, qui contrôlent la machine de A jusqu’à Z, de contrôler les alliés européens d’une main de fer, — ou disons d’une “âme de fer” ? Il n’y avait pas de nécessité systématique de pressions (bien qu’il y en eut, certes, mais de façon accidentelle et jamais systématique, mais de plus en plus ces derniers temps, — et ceci explique cela).

Les Américains avaient installé, peut-être (certainement) de façon inconsciente, le moteur formidable de l’influence des esprits et des conceptions. Il y avait quelque chose de spirituel, voire de religieux dans la nécessité de suivre les directives de l’OTAN, certes pour les pays européens conformes. (Nous aimons beaucoup citer cette confidence du roi Baudouin Ier, homme de qualité réelle et de grande foi, à un de ses collaborateurs, en 1964, lorsque de Gaulle annonça le retrait de la France de l’Organisation intégrée ; c’était une mesure assez mineure d’un point de vue pratique mais de Gaulle, qui avait évidemment le sens des “choses derrière les choses”, savait que l’acte serait mesuré à son poids symbolique et pèserait d’autant dans son arsenal politique ; donc, apprenant cette décision, Baudouin s’exclama : « Je croyais que le général de Gaulle était un bon chrétien! »)

Jusqu’alors, on écartait la possibilité des votes négatifs (un “non” suffisant à repousser une proposition puisqu’il y a la règle de l’unanimité), par des arrangements en coulisse, parfois très durs, par la pratique des footnotes qui étaient également l’objet de tractations (Le footnote est la mention, à la fin du communiqué, que tel État membre émet des réserves ou refuse tel passage du communiqué, — Grecs et Turcs, à cause de leur querelle de la mer Égée, étaient coutumiers du fait.) Évidemment, ces pratiques sont désormais bannies puisque les USA, avec leur supplétif-secrétaire général, agissent depuis le 11 septembre 2001 de façon totalement unilatéraliste, c’est-à-dire d’une façon arbitraire qui étouffe totalement la pratique de l’unanimisme qui faisait la vertu que même ses adversaires reconnaissaient à l’OTAN.

La fin de l’unanimisme transforme l’OTAN en une sorte d’“ONU de la sécurité européenne”, mais une fausse ONU européenne puisque avec la présence d’un (de deux avec le Canada) acteur non-européen, les USA, en conflit grave avec des pays européens importants ; et une ONU qui ne marcherait plus, puisque, désormais, le veto devient monnaie courante avec la perte de son caractère sacrilège, justement à cause de la politique du manipulateur non-européen (anglo-saxon). En tuant l’unanimisme, les Américains ont perdu le “contrôle spirituel” de l’OTAN et ont réduit l’Alliance à une assemblée qui s’avérera rapidement ingouvernable. L’OTAN sera réduite à la question de son utilité militaire, c’est-à-dire à moins que zéro vu les contraintes négatives de sa bureaucratie et la lourdeur de sa planification.

Il s’agit ici de rien moins que la mort de l’OTAN, pas en tant qu’Organisation militaire (l’organisation militaire n’existe plus depuis longtemps en tant qu’utilité), mais en tant qu’outil exceptionnellement efficace du contrôle US sur le continent. L’ironie est que la responsabilité en revient à ces traits typiquement anglo-saxons de la pression brutale pour faire accepter une politique : celle des Américains d’abord, qui ont fait ces propositions d’aide mineure (avec l’affaire turque en sus, comme grossier moyen de pression puisque tout est grossier dans cette affaire) pour obtenir quasiment de force un soutien symbolique à leur aventure irakienne des 18 autres pays de l’OTAN ; celle du secrétaire général Robertson ensuite, qui est l’instigateur de la succession des votes, qui a tenté ainsi d’imposer une mesure de réaffirmation artificielle de son Organisation. La brutalité de Robertson, si caractéristique de sa psychologie (on sait que ce fils de policier était un street fighter dans sa jeunesse, n’adorant rien de moins que de faire le coup de poing), si caractéristique à un point où sa psychologie dans l’action semble se résumer à cette brutalité pour imposer ses vues, — cette brutalité aura joué un rôle fondamental dans la destruction de l’OTAN. (Robertson n’est évidemment pas Lord Carrington, qui affectionnait de présider les Conseils de l’Atlantique Nord avec une clochette, c’est-à-dire avec toute l’élégance et l’humour non dépourvu de dérision des vieux aristocrates de la vieille Angleterre.) Robertson va s’en aller et son successeur (homme ou femme) aura pour tâche d’embaumer le cadavre, — histoire de faire croire aux petits “nouveaux” de l’Europe de l’Est, la new Europe, que l’OTAN existe encore, comme Alice au Pays des Merveilles.