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1297Les Russes avaient annoncé, au début de la semaine, en marge du sommet Medvedev-Obama, qu’ils comptaient soulever au G8 la question de la position du dollar comme monnaie de réserve mondiale de facto. Ils n’ont pas été les seuls à le faire, si bien que cette mise en cause de la monnaie US est considérée par certains commentateurs, justement à notre sens, comme le fait marquant principal, qui n’était pas prévu ni répertorié, du sommet du G8. Cela, qu’observe effectivement Stefan Steinberg, de WSWS.org, ce 11 juillet 2009: «As is often the case at such summits, the most significant and contentious issues were not part of the official agenda»
Il y a eu une circonstance intéressante à propos d’une intervention chinoise (le deuxième jour du sommet, le 9 juillet, lorsque le G8 se fut élargi aux “grands pays émergents”). WSWS.org la rapporte, avec l’intérêt justement élargi à une réaction, celle du Premier ministre britannique Gordon Brown, montrant d’abord une charmante faiblesse de mémoire, heureusement aussitôt réparée.
«On Thursday, Chinese State Councilor Dai Bingguo openly criticized the role of the US dollar as the global reserve currency. According to the Chinese foreign ministry, Dai told summit leaders: “We should have a better system for reserve currency issuance and regulation, so that we can maintain relative stability of major reserve currency exchange rates and promote a diversified and rational international reserve currency system.” Dai did not mention the dollar, but the target of his remarks was clear. China’s has a total investment in US Treasuries of more than $1 trillion.
»Dai’s comments repeat criticisms of the role of the dollar first made by official Chinese sources in March, but his remarks at a high-level meeting of world leaders represents a new stage in the escalation of economic tensions between the US and China.
»When asked about Dai’s comments, G8 leaders sought to play down their significance. British Prime Minister Gordon Brown initially said he could not remember Dai making such remarks at a session of the summit he attended along with the US president. When his memory was jogged, Brown said, “We don’t want to give the impression that big change is around the corner and the present arrangements will be destabilized.”»
Les Russes jouèrent effectivement leur rôle dans cette occurrence, conformément à des déclarations faites au Wall Street Journal par un conseiller économique de la présidence, Arkadi Dvorkovitch : «“We will, alongside China, stress the need to gradually develop a global financial system which will be based on several new strong regional currencies,” Dvorkovich told reporters. “With time,” he added, “those new currencies will then take on a more global character.”»
La surprise vint du côté français, par une prise de position de Sarkozy sur cette question du dollar, – toujours d’après le rapport de WSWS.org.
«In a significant development, the same theme was also taken up by French President Nicolas Sarkozy, who told a press conference on Thursday that the current system, based since the end of World War II on the supremacy of the US dollar, was outdated and should be replaced.
»“Frankly, 60 years later one must ask oneself the question: Shouldn’t a world that is multi-polar... be mirrored by a multi-polar economic system?” Sarkozy said, adding, “Even if it’s a difficult subject, we’ll discuss this in the coming months.”»
Il y a d’abord le constat d’une intéressante contradiction qui, elle aussi, renvoie à une différence d’état d’esprit qui semble largement transcender les personnalités. On peut alors proposer une analogie intéressante. Il y a un demi-siècle, après la crise de Suez de 1956 qui avait vu les USA s’opposer aux Britanniques et aux Français, les Britanniques tirèrent comme leçon qu’il leur fallait désormais ne plus jamais se trouver en opposition avec les USA dans une crise majeure, donc acquiescer à toutes leurs exigences; les Français, eux, tirèrent la leçon qu’il devait développer leur force nucléaire pour asseoir leur indépendance, et pouvoir figurer d’une façon honorable dans une crise s’ils se trouvaient en opposition avec les USA. Il y a un parallèle dans ce cas, puisqu’il s’agit de la suprématie du dollar qui est contestée, avec Brown disant “faisons comme si nous n’en avions pas parlé” («We don’t want to give the impression that big change is around the corner and the present arrangements will be destabilized»), – car “en parler” risquerait de nous mettre en opposition avec les USA; et Sarko disant “c’est difficile mais il faudra bien en parler” («Even if it’s a difficult subject, we’ll discuss this in the coming months»), – même si “en parler” doit nous mettre en opposition avec les USA.
…Ce qui ramène la France plutôt du côté de l’“esprit d’Ekaterinbourg”, puisqu’elle se retrouve aux côtés des deux principaux pays des deux sommets de la mi-juin (de trois, si l'on rappelle que Sarkozy a signé avant le G8 une tribune commune également dans le même sens, dans le Herald Tribune et d'autres médias, avec le Brésilien Lula, du groupe du BRIC réuni à Ekaterinbourg). Ce que nous nommerions “esprit d’Ekaterinbourg”, qui est un esprit de contestation de l’ordre financier, monétaire et économique anglo-saxon, implique évidemment la contestation du rôle du dollar. Il implique également la contestation de l’“ordre unipolaire” (américaniste ou anglo-saxon, puisque les Britanniques s’y complaisent tout de même), et là aussi Sarkozy s’y retrouve puisqu’il argumente contre la position “unipolaire” du dollar au nom de l’évolution effective du monde dans un système multipolaire. Voilà qui est dans le droite ligne de la démarche de Chirac, affirmant en 2003 à Moscou, toujours avec les mêmes Russes, que nous évoluions vers un monde multipolaire.
Sarkozy ne fait donc que suivre l’évidente logique française, réaffirmée par le gaullisme (“réaffirmée” parce qu’elle n’a jamais disparu, étant naturelle à cette nation); cette logique, à la fois de l’indépendance nationale et d’un système des relations internationales respectant les nations souveraines et partageant le pouvoir à mesure. (Nous dirions qu’il ne fait que la suivre “à nouveau”, si l’on veut, cela correspondant à ses divers écarts ou alignement par rapport à cette ligne selon ses politiques.) Effectivement, les Français sont plus à l’aise avec l’“esprit d’Ekaterinbourg” qu’avec la philosophie brownienne, ou anglo-saxonne; cela rencontre d’ailleurs nos vœux les moins secrets, si l’on s’en remet à ce que nous écrivions le 19 juin 2009, encore à propos d’Ekaterinbourg et du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai: «Plutôt que gémir d’un plaisir fort incertain d’avoir rejoint “la famille occidentale” en réintégrant l’OTAN, – dérision pour dérision, – les Français feraient mieux de demander une place d’observateur aux réunions de l’OCS; elle leur serait sans aucun doute accordée par les Russes et les Chinois, et avec les honneurs; Russes et Chinois, eux, se rappellent des conceptions du général de Gaulle.» La “philosophie brownienne”, elle, consiste à dire qu’il faut glisser les ordures sous le tapis pour qu’on ne les voit pas trop, fermer les yeux et se boucher les oreilles, et aussi le nez d’ailleurs à cause des odeurs, en priant que rien ne se passe, — et en attendant quoi, sinon Godot ou la prochaine explosion financière, – que Brown lui-même annonce?
Il est en général montré, et confirmé à L’Aquila, que l’Histoire est, aujourd’hui, plus forte que jamais, que toutes les tentations et initiatives de fortune des uns et des autres. Il est difficile, par conséquent, de faire tenir à la France un autre rôle que celui qui est le sien. Sarkozy y revient donc d’une façon assez régulière, sur les sujets essentiels. Avec le dollar, nous y sommes, – “even if it’s a difficult subject”, chers amis américanistes.
Mis en ligne le 11 juillet 2009 à 08H43
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