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1338Beaucoup de rumeurs, de prévisions, de scénarios d’attaque de la Syrie depuis deux ou trois jours… Il y a plusieurs versions, comme il y a plusieurs sortes d’attaque proposées par ces spéculations. On trouve dans notre Forum, le 12 juin 2012, l’article de Thierry Meyssan qui parle de ce que l’on nommerait une “attaque de communication”. Une autre version est centrée sur l’hypothèse d’une attaque aérienne, d’abord limitée, des USA. On la trouve sur DEBKAFiles, le 11 juin 2012, avec un scénario envisageant cette attaque limitée, puis l’organisation d’un coup d’État contre Assad par des militaires qui auraient été “convaincus” de le faire. L’article a un certain retentissement puisqu’il est, notamment, repris pour un commentaire par Russia Today, le 11 juin 2011.
L’intérêt du propos, – sans rien avancer de précis quant à sa véracité, – est qu’il présente le projet comme clairement lié à l’attitude russe, Obama semblant estimer qu’il ne peut prendre le risque d’une attaque si la Russie n’accepte pas de laisser faire et s’y oppose militairement. D’autre part, on pourrait comprendre cette attitude US comme une façon de rattraper le refus des Russes, également rapporté par DEBKAFiles (voir ce 11 juin 2012), d’assurer un déploiement important de forces terrestres, essentiellement pour assurer la surveillance des armes chimiques syriennes (on reviendra sur cet aspect), – dans ce cas, assumant que les Russes s’en lavent les mains et ne s’opposeraient pas à ce que les USA agissent.
«DEBKAfile’s sources disclose that the US President decided on this step after hearing Russian officials stating repeatedly that “Moscow would support the departure of President Bashar al-Assad if Syrians agreed to it.”… […] Washington is not sure how Moscow would react aside from sharp condemnations or whether Russia would accept a process of regime change in Damascus and its replacement by military rule.»
Cette question de l’interprétation des propos de Lavrov est donc extrêmement importante. On a déjà vu (également ce 11 juin 2012) que l'inteprétation citée ici est clairement risquée, sinon déformée, les Russes disant cela (leur politique n’est pas de protéger Assad mais de rétablir la stabilité en Syrie) depuis longtemps, sinon depuis toujours dans le cadre de la crise. Le journal chinois Global Times, qui est assez proche du gouvernement chinois pour qu’on pense que, sur une matière aussi sensible, il confirme l’analyse gouvernementale, intervient le 11 juin 2012 pour assurer que la Chine n’a aucune raison de modifier sa politique syrienne (opposition à toute intervention étrangère), laquelle est, comme celle de la Russie, non pas de protéger Assad mais d’empêcher des interférences extérieures en Syrie. («Russia and China are not against Assad stepping down. What the two countries oppose is external interference in Syria's political development. Moscow and Beijing support concerned Syrian parties in deciding the fate of Assad and his regime through negotiations.»)
Par conséquent, écrit Global Times, il est “unprofessional” de tirer des déclarations de Lavrov la conclusion que la Russie a changé de politique. La Russie, comme la Chine, est toujours contre une intervention étrangère, ce qui, dans ce cas, met à mal la version de DEBKAFiles, – puisque le problème n’est pas tant la chute ou pas d’Assad, que l’intervention extérieure. (Au contraire, la version Meyssan est, dans ce cas, plus acceptable que la version DEBKAFiles, puisqu’elle ne prévoit pas stricto sensu une intervention militaire armée extérieure.) L’article de Global Times commence effectivement par cette question, précisément l’attitude russe…
«Russian Foreign Minister Sergey Lavrov stated several days ago that Russia would support Assad's stepping down if the majority of Syrians requested it. The remarks have been cited by analysts as proof Russia may waver in its stance on Syria. A few pro-Western Chinese also suggested China make adjustments so to avoid being sold out by Russia. However, Lavrov also reiterated Russia's opposition against the UNSC passing a resolution supporting military action against Syria. This stance is in tune with China's. The conclusion that Russia has changed its Syrian stance is very unprofessional…»
Au reste, cette hypothèse de la chute provoquée d’Assad n’est qu’une étape dans les hypothèses qui vont dans le sens de développements décisifs dans la crise syrienne. Un autre problème surgit, qui commence à occuper le centre des spéculations, qui est celui des armes chimiques syriennes.
Cette question est l’occasion d’un article sur des déclarations du ministre israélien de la défense Barak, exposant implicitement une position beaucoup plus ambiguë qu’on ne la présente d’habitude d’Israël vis-à-vis de la Syrie. Dans ces déclarations, présentées notamment par Infowars.com le 11 juin 2012, Barak parle comme si la chute d’Assad était un fait absolument certain sinon avéré, et il laisse vertueusement entendre qu’elle est évidemment méritée puisqu’Assad est le bourreau qu’on sait. (Appréciation convaincante de l’humaniste bien connu Ehud Barak, quoique un peu époustouflante quant au “silence du monde” lorsqu’on a à l’esprit le torrent médiatique autour de la narrative anti-Assad : «The Assad family is slaughtering its people, with the support of the Iranians and Hezbollah and the world is sillent…»)
...Mais surtout, Barak affirme parallèlement, et il n’est pas le seul en Israël, que c’est à partir du moment où Assad chutera que les problèmes vont commencer, notamment pour Israël, précisément à cause de ces armes chimiques. Ces armes chimiques sont localisées par Israël, et, pour l’instant (tant qu’Assad est au pouvoir ?!), en lieu sûr et sans danger pour Israël. Mais une fois Assad déposé, plus personne ne pourra les contrôler, et certaines d’entre elles pourraient bien atterrir, par exemple, entre les mains du Hezbollah…
«Israeli Defense minister Ehud Barak added to the propaganda offensive aimed at Syria today when he said arch nemesis Hezbollah will receive chemical weapons after the al-Assad regime falls. “The moment the regime there falls, we’ll be following these things, but at the end of the day it is very difficult to predict what will happen there,” Barak told a group of young people. […]
»Barak was joined by other voices in the Israeli establishment warning of the dubious threat of Syria’s weapons of mass destruction. Israeli General Staff Deputy Chief Major General Yair Naveh told a radio station that Syria’s chemical weapons stockpile may end up in the hands of al-Qaeda or Hezbollah, Russia’s RIA Novosti reports today.
»Prior to Naveh’s remarks, Ayoob Kara, a senior member of Netanyahu’s ruling Likud Party, told Israel Radio that the regime of Bashar al-Assad in Syria has used “chemical weapons against men, women, and children” over the last few months. Kara said he saw photos of victims of chemical warfare attacks. He said Israeli doctors treating wounded on Syria-Turkey have documented the injuries. Kara also said chemical weapons may find their way into the hands of the opposition…»
Ces diverses déclarations exposent par conséquent cette position ambiguë où les Israéliens s’affirment partisans de la chute d’Assad (après être restés longtemps silencieux à cet égard) tout en affirmant que cette situation serait bien pire pour eux au niveau de la sécurité. La question des armes chimiques introduit un élément concret et à très fortes conséquences psychologiques et affectives, pour apprécier les réactions politique, – puisque, à cet égard, il est plus question, selon notre point de vue, d’affectivité que de raison (sinon d’une raison soumise à l’affectivité) ; puisque, à cet égard, et toujours selon notre point de vue, les dirigeants israéliens sont certainement parmi les plus touchés par cette situation comportementale. (On connaît les caractéristiques psychologiques d’un Netanyahou.)
Du coup, la Syrie est désormais considérée par les Israéliens du point de vue défensif, alors qu’elle avait été intégrée dans leur vision, avec l’obligation de prendre position, d’un point de vue offensif, comme un tremplin quasi-instantané pour une attaque contre l’Iran. On sait les ravages psychologiques que l’“image” de l’armement chimique peut provoquer sur la spéculation, l’hypothèse du pire, l’analogie historique catastrophique, l’appréciation bureaucratique, l’effet du sensationnel, etc., tout cela dans le champ de la communication, avant même qu’il ne se soit passé quelque chose. L’hystérie de la psychologie israélienne passe alors aisément de l’affirmation de la fureur offensive (anéantissement du nucléaire iranien) à l’affirmation de la terreur défensive (risque de dévastation par l’armement chimique). C’est un facteur important, et bien réel celui-là, puisqu’au niveau de la communication.
Ainsi en va-t-il de toutes les crises, et celle de la Syrie n’y échappe pas : les effets de communication des hypothèses d’aggravation précèdent largement l’aggravation réelle, voire modifient les conditions de cette aggravation. Dans le même sens de “l’extension du domaine de la crise”, par le biais de la communication, on observe donc une extension de facto, d’ores et déjà en cours, de la crise syrienne. C’est comme si le Hezbollah en était déjà partie prenante de la crise syrienne, mais hors de Syrie même, face à Israël ; c’est comme si Israël était également impliqué, chassant déjà ce terrible “terrorisme chimique” venu mystérieusement de Syrie pour s'installer dans les collines boisées de l'autre côté de la frontière libanaise d'Israël, où rôde le Hezbollah.
Mis en ligne le 12 juin 2012 à 11H14