Sécurité européenne: mode défensif agressif

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L’agence russe Novosti a fait une place importante, hier 4 février 2010, aux déclarations du sous-secrétaire d’Etat (US) pour les affaires européennes Philip Gordon. Après Hillary Clinton, Gordon émet des doutes sur l’efficacité du projet de traité proposé par Medvedev et Moscou (ministère des affaires étrangères) répond que cette sorte de déclarations est “contraire à l’esprit des relations russo-américaines”. Les Russes réagissent plus durement encore à la réaction US que les USA n’ont réagi au projet de traité.

L’humeur a complètement changé en quelques semaines. Désormais, c’est partout le mode “défensif agressif”.

«Les déclarations du sous-secrétaire d'Etat américain Philip Gordon sur le projet russe de sécurité européenne sont contraires à l'esprit des relations russo-américaines, a constaté jeudi à Moscou le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Andreï Nesterenko.

»Cette semaine, M. Gordon a déclaré que Washington mettait en doute l'efficacité du traité de sécurité européenne prôné par Moscou. Selon lui, tout en partageant les principes formulés dans l'initiative russe, les Etats-Unis s'opposent à la mise en place de nouvelles structures de sécurité et préconisent une modernisation de celles qui existent déjà.

»“Nous avons évidemment pris note de ces déclarations”, a souligné lors d'un point de presse M. Nesterenko, ajoutant qu'elles “tranchaient avec le ton et la teneur du dialogue russo-américain mené, au sommet notamment, sur ce problème crucial”. D'après le porte-parole de la diplomatie russe, “les messages des présidents des deux pays donnent à penser que l'administration des Etats-Unis est intéressée par l'initiative de Moscou sur la sécurité euro-atlantique” et souhaite “l'examiner dans un esprit constructif” avec la partie russe.

»M. Nesterenko a rappelé que les propositions russes étaient évoquées depuis plus d'un an dans le cadre de différents forums internationaux. “Les propos de M. Gordon vont à l'encontre des ententes qui se forment actuellement entre nos pays et nous incitent à mettre en doute les signaux émanant de Washington”, a-t-il conclu.

»Intervenant la semaine dernière à l'Ecole militaire de Paris, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton s'est également opposée à la conclusion du traité sur la sécurité européenne préconisé par Moscou. Estimant que la proposition russe provoquerait “un processus long et compliqué”, elle a assuré que la sécurité du continent serait mieux protégée “dans le contexte des institutions existantes, l'OSCE et l'OTAN”.»

Notre commentaire

@PAYANT Nous rappelons d’abord cette observation que nous faisions dans notre F&C sur Dominique de Villepin, le 2 février 2010, dans le cadre d’une analyse marquant le repli des initiatives françaises dans ce domaine de la sécurité européenne: «Aujourd’hui, les échos qui nous parviennent des possibilités (pour Sarko et la France) de lancer des choses importantes avec la Russie, dans le cadre de l’Europe, comme nous en avons évoqué l'éventualité, apparaissent d'une couleur moins éclatante. Un certain désenchantement se fait jour, qui n’est pas favorisé certes par le comportement fantasque et stalinien des Kazakhs (qui président l’OSCE et doivent permettre de donner un cadre important à de telles initiatives européennes), et par un certain désintérêt des Russes, à mesure, qui sembleraient plutôt tentés de se replier sur leurs seuls intérêts.»

Ce diagnostic plutôt sombre est largement rencontré, sinon fortement accentué par les observations rapportées par Novosti. D’une part, une “offensive” concertée du département d’Etat (Clinton puis Gordon) pour simplement écarter la possibilité même d’examiner et de négocier la proposition Medvedev, après une première réaction initiale plutôt favorable, début décembre 2009. D’autre part, cette réaction officielle russe particulièrement dure, puisque l’attitude US est immédiatement transcrite en une position générale contraire au “bon état d’esprit” des relations USA-Russie depuis le retour d’Obama. Traduite en termes débarrassés des atours diplomatiques, cette réaction signifie que, pour la Russie, l’attitude US met en question l’ensemble des relations avec les USA et confirme l’observation que nous faisions le 27 janvier 2010 sur la nouvelle dureté russe à l’encontre des USA. En ce sens, la réaction russe à l’encontre des USA est beaucoup plus dure que la réaction US à l’encontre du traité Medvedev, puisqu’elle est aussitôt étendue à l’ensemble des relations, alors même que les Russes semblent désormais attacher beaucoup moins d’importance au traité Medvedev (ce qui aurait dû au contraire atténuer leur réaction).

Le climat est en train de devenir exécrable – entre les USA et la Russie, mais aussi entre les USA et la Chine, mais aussi sur d’autres fronts comme l’affaire iranienne et les initiatives de certains pays européens, réduites aujourd’hui à une sorte de “minimum syndical”. La dégradation est effectivement “multipolaire”, à l'image de la nouvelle situation géopolitique du monde. Pour le cas qui nous importe, la réaction russe est encore plus intéressante que la réaction US parce qu’elle confirme bien ce que nous avions déjà noté d’une diplomatie russe qui a décidé, non seulement de ne plus faire aucun “cadeau” à l’administration Obama, mais qui en vient presque à laisser aller certaines de ses propositions (le traité Medvedev), estimant que les USA ne sont plus des interlocuteurs intéressants, affaiblis qu’ils sont par leurs divisions intérieures. Il est assuré qu'on n'en restera pas là dans ce processus de dégradation, surtout de la part des Russes dont on pourrait attendre des initiatives agressives.

On ne peut dire que la réaction US, qui a déclenché la réaction russe, démente l’analyse russe de la situation US. Elle implique simplement une fin de non-recevoir de la proposition russe, simplement par défaut, par une sorte d’obstructionnisme qui reflète essentiellement le désarroi US. De ce point de vue, l’analyse russe est bonne, même si l’on peut diverger sur la façon dont les Ruses la transcrivent dans leur propre diplomatie: l’affaiblissement et les divisions internes des USA rendent ce pays de plus en plus impotent du point de vue diplomatique. (Ce point de vue est de plus en plus répandu aux USA, comme le montre cette remarque de David Aaron Millier, dans Foreign Policy du 3 février 2010: «America as a kind of modern-day Gulliver tied up by tiny tribes abroad and hobbled by its inability to organize its own house at home.»)

Les relations en pleine dégradation entre les USA et la Russie ne sont pas une exception. Elles doivent être placées dans un climat général de dégradation des relations diplomatiques en général, principalement généré par la paralysie et l’impuissance des USA, dont la diplomatie en pleine décadence alors qu’elle joua un rôle si important devient un facteur de division, d’acrimonie, d’affrontement, en plus d’être parfaitement imprévisible et rocambolesque comme les Européens l’expériment eux-mêmes. Cette dégradation russo-américaniste sera particulièrement dure, parce que les Russes sont furieux vis-à-vis des USA et ne leur passeront rien, alors qu’ils ont des moyens de pression particulièrement efficaces contre eux (l’accord de transit de la logistique vers l’Afghanistan, l’accord START-II que veut Obama).

Dans cette attente, il apparaît de plus en plus évident qu’il faudra oublier toutes les éventuelles promesses d’amélioration de la situation des relations internationales pour 2010, notamment au niveau de la sécurité européenne. La rapidité avec laquelle est apparue cette détérioration est remarquable, et bien à l’image de la rapidité de la course des événements dans notre époque. Dans ce cadre, il fait admettre qu’on doit s’attendre très rapidement, voire dramatiquement, à de nouvelles détérioration, voire peut-être à des crises sérieuses dans ce domaine des relations internationales entre ceux qu’on avait pris l’habitude, depuis la crise financière, de considérer comme des partenaires forcées devant les crises générales (financière, climatique, etc.) – les grands pays ou grands ensembles, tels que USA, Chine, Russie, Europe, etc.


Mis en ligne le 5 février 2010 à 06H33