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265010 avril 2006 — Seymour Hersh, du New Yorker, est un grand journaliste et un des rares journalistes de la grande presse US à ne pouvoir être soupçonné d’être une courroie de transmission utile pour son administration. Il est devenu également une source centrale d’information sur certains sujets, notamment sur la crise iranienne et les intentions de l’administration GW à l’encontre de l’Iran. On l’avait vu, notamment, pour son article du 17 janvier 2005, que nous avions commenté le 19 janvier 2005.
L’effet est toujours aussi fort, on le voit avec son article mis en ligne officiellement le 10 avril mais accessible dès hier. On peut même dire qu’il s’amplifie jusqu’à des réactions officielles. Ainsi des Iraniens qui prennent Hersh quasiment pour un porte-parole officieux : « Iran on Sunday called “a psychological war” a report that the U.S. was preparing for possible military strikes against Iranian nuclear facilities. A report by influential journalist Seymour Hersh in the New Yorker magazine said the United States was considering using tactical nuclear weapons to destroy Iran's underground nuclear facilities. “This is a psychological war launched by Americans because they feel desperate regarding Iran's nuclear dossier,” Iranian Foreign Ministry spokesman Hamid Reza Asefi said. »
En Occident, l’accueil n’est pas vraiment différent. Par exemple, The Guardian et The Independent, pour prendre nos habitués britanniques, analysent les nouvelles de la politique militariste US à l’encontre de l’Iran à la lumière de l’article de Hersh, comme s’il s’agissait effectivement d’un élément décisif d’information à ce sujet.
[Par contraste significatif, nous noterons l’inhabituelle discrétion du Daily Telegraph, qui mentionne l’article de Hersh à la fin d’un entrefilet banal et sans mentionner l’option nucléaire : « In an article in today's New Yorker veteran reporter Seymour Hersh reports that the Pentagon has begun deploying covert troops into Iran to survey possible targets. » Cela montrerait-il que même certains néo-conservateurs (le Telegraph a la réputation d’en être, quoiqu’il semble en revenir) sont un peu embarrassés devant cette perspective nucléaire? Quant au Times de Londres, très pro-américain mais sans les excès neocons, il accorde une grande place à la chose mais pour juger inopportun et catastrophique une telle planification d’attaque nucléaire]
L’alarme médiatique est donc générale concernant des plans d’attaque supposés des USA contre l’Iran. Pour résumer : ce matin, Googles nous donnait 561 entrées liées d’une façon ou l’autre à l’article de Hersh. C’est un notable progrès par rapport à l’article de Hersh du 17 janvier 2005, qui nous en donnait 519, mais deux jours après, le 19 janvier.]
Bien entendu, l’élément principal (l’élément “sensationnel”) de l’article de Hersh est le facteur nucléaire. Les intentions éventuelles de l’administration d’utiliser l’arme nucléaire sont décrites en détails. Il y a également la mise en évidence du caractère “messianique” du jugement de GW Bush. Tout cela n’est pas nouveau mais il est bon que tout cela soit rappelé. L’écho rencontré par les publications de ce journaliste, — indépendamment de l’estime qu’on doit avoir pour lui et du grand crédit qu’on doit lui accorder, — dénote l’extraordinaire confusion où l’on se trouve d’une part devant la situation stratégique incertaine entre réalité et virtualisme ; d’autre part, devant le flot d’informations, tordues et déformées dans tous les sens, avec parfois une vérité passant par là et qu’il faut saisir, dont sont abreuvées les grandes affaires du monde.
La façon dont ont été accueillies et prises pour argent comptant les révélations de Hersh concernant le caractère de GW Bush et l’option nucléaire contre l’Iran nous en dit beaucoup sur l’estime où nous tenons aujourd’hui, respectivement, le président des États-Unis, sa politique et les Etats-Unis eux-mêmes. C’est du domaine du non-dit, mais du non-dit strident lorsque l’occasion lui est donnée de se manifester là-dessus.
Le circuit de cet article de Hersh et des réactions est étonnant, bien à l’image de notre temps. Un circuit virtualisme versus “contre-virtualisme” par enchaînement naturel des choses.
Hersh n’est certainement pas un “officieux” de l’administration, comme le croient les Iraniens. On a vu que son article couronne d’autres sur le même thème ; il ne s’agit pas, comme en janvier 2005, d’un “coup de tonnerre dans un ciel bleu” ; mais il y a les détails sur l’option nucléaire rendue presque “officielle” par le crédit extraordinaire de Hersh (“extraordinaire”, répétons-le : parce que Hersh est un anti-Bush radical, sans le moindre doute).
L’option nucléaire ? Qui cela peut-il étonner ? Qui doute un instant que la bande à GW ne l’envisage pas sérieusement ? Cela, cette folie, cette grossièreté hystérique de l’esprit messianique qui règne à la Maison-Blanche, c’est le monde réel (message aux Occidentaux, Quai d’Orsay compris, qui continuent à se bercer de rationalité rassurante à propos du modèle américain). Merci à Hersh de l’avoir rappelé avec force aux inattentifs et aux idéologues.
D’où, pour conclure, cette rapide réflexion à propos de notre monde virtualiste. Nous ne démordons pas de notre explication : l’offensive médiatique à propos d’une attaque US, qui précède Hersh et dont Hersh fait de facto partie, a été en partie manipulée par les gens de la Maison-Blanche, autant (surtout) pour détourner l’attention de l’Irak et obtenir un regain de popularité pour GW, que pour faire pression sur l’Iran pour éventuellement céder sur le dossier nucléaire (c’est un aspect secondaire, car la Maison-Blanche ne désire pas vraiment un recul iranien, ne rêvant au contraire que d’un Iran inflexible qui les conduise à se justifier de frapper). Comme d’habitude, l’affaire leur a échappé des mains, et cela d’autant plus aisément qu’ils ne pouvaient supposer que l’option nucléaire pourrait affoler le monde (ils y sont habitués, eux, vivant dans cette perspective apocalyptique, car il nous paraît assuré de toutes les façons que l’option nucléaire est effectivement considérée avec le plus grand sérieux).
Moralité : le “turbo-virtualisme” (expression affectueuse que nous proposerions pour désigner une offensive appuyée du virtualisme courant) de la manipulation des informations véridiques ou fabriquées a provoqué un effet intéressant de contre-virtualisme. Hersh ne représente rien d’officiel et se plaçait involontairement dans une offensive virtualiste. Il est pourtant pris pour du comptant, quasiment comme un informateur officiel, et déclenche une réaction de panique et de colère généralisées devant les projets nucléaires qu’il met à jour. Nous réalisons, au moins pour deux ou trois jours, qu’il y a des esprits instables et hystériques à la Maison-Blanche, qu’ils ont le doigt sur le fameux bouton et qu’ils ne rêvent que d’appuyer dessus. Ainsi retrouvons-nous la réalité pour un temps. A force d’alertes de cette sorte, la compréhension de la réalité du monde progresse.
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