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1206On a vu par ailleurs, ce même 21 septembre 2013, la dimension considérable que la crise Snowden/NSA a acquise dans sa dimension extérieure, “accouchant” d’une crise secondaire chronologiquement mais essentielle par ailleurs, avec l’installation des relations entre les USA et l’Amérique latine dans une situation de confrontation ouverte, – Brésil en tête, ce qui n’est pas rien. On veut compléter cette évolution chronologiquement en temps réel par une observation générale de ce que nous désignerions comme la maturité de cette crise Snowden/NSA. Cette crise a réussi à franchir l’obstacle de la désorientation de l’attention du système de la communication vers l’épisode paroxystique de la crise syrienne, pour retrouver le devant de la scène. Plus encore, sa diversification est remarquable, et aussi la perception de plus en plus large qu’en ont les commentateurs.
... Par exemple, Simon Jenkins, du Guardian, le 19 septembre 2013, avec son titre rendant toute justice à Snowden :«Edward Snowden has started a global debate...»
«The Brazilian president cancels a state visit to Washington. The German justice minister talks of “a Hollywood nightmare”. His chancellor, Angela Merkel, ponders offering Edward Snowden asylum. The EU may even end the “safe harbour” directive which would force US-based computer servers to relocate to European regulation. Russians and Chinese, so often accused of cyber-espionage, hop with glee. In response, an embarrassed Barack Obama pleads for debate and a review of the Patriot Acts. Al Gore refers to the Snowden revelations as “obscenely outrageous”. The rightwing John McCain declares a review “entirely appropriate”. The Senate holds public hearings and summons security chiefs, who squirm like mafia bosses on the run. America's once dominant internet giants, with 80% of the globe under their sway, now face “Balkanised” regulation round the world as nation states seek to repatriate digital sovereignty.»
Il est vrai que Snowden est devenu un personnage plus que fréquentable, y compris dans de vastes segments de la presse-Système, y compris dans les considérations officielles les plus affirmées. Ainsi en est-il, pour ce dernier cas, de la visite officielle et publiquement annoncée qu’une délégation de parlementaires brésiliens de la commission des affaires étrangères du Parlement a prévu de faire à Moscou, pour s’informer auprès de Snowden de l’ampleur du programme US de surveillance et d’espionnage de la NSA au Brésil. Snowden est en passe d’acquérir un statut quasi-officiel de “consultant” stratégique auprès de vastes entités, soit des États, soit des entreprises, etc., qui sont l’objet d’actions intrusives de la part de la NSA, tout en consolidant sa position héroïque de dénonciateur du Système, et certainement le dénonciateur le plus efficace et le plus formidable de toutes les annales. (Daniel Ellsberg, l’homme des Pentagon Papers et grand “ancêtre” de tous les whistleblower, parlant la semaine dernière à l’acteur John Cusack [voir plus loin] : «I've been waiting 40 years for Edward Snowden, and his revelations are the most important in US history, including the Pentagon Papers.»)
Par contraste, toujours selon Jenkins, les directions politiques du bloc BAO sont de plus en plus comparées aux pires références, comme Jenkins l’observe, s’en prenant au gouvernement britannique qui est sa cible favorite dans le commentaire cité : «While Washington has been tearing itself apart, dismissive remarks by William Hague in the Commons and Lady Warsi in the Lords could have passed muster in Andropov's supreme soviet...»
• On citait plus haut l’acteur John Cusack, qui signe un commentaire dans The Guardian le 18 septembre 2013, au titre de membre actif de la direction de l’association Freedom Press Foundation (FPF), où il siège à côté de Greenwald et de Poitras. Il s’agit donc d’une intervention politique en faveur de la protection des journalistes qui sont l’objet de harcèlement des autorités officielles. Il n’empêche que Cusack est un acteur confirmé à Hollywood et que sa sortie représente également un signe de la possible implication de Hollywood dans la crise Snowden/NSA et la polémique qui l’accompagne. Son commentaire concerne essentiellement la NSA et Snowden lui-même...
«Another week and another wave of stories on the NSA and the unconstitutional out-of-control surveillance state hit the digital newsstands, showing once again why the tide is turning. Some revelations are so surreal, it's hard not to assume they're satire. NSA chief Keith Alexander seems to be modeling his ambitions and visions for international spying after General Curtis LeMay's views on nuclear war. Meanwhile, despite the massive smear campaign against Edward Snowden, opinion polls stand clearly with the truth-tellers. People know they have a right to know what the government is doing in their names. State secrecy is on the run, while American privacy, long rumored dead, is alive and kicking and wants the fight out in the open – in the sunlight and in the public square.»
Cet intérêt d’Hollywood pour la crise Snowden/NSA est confirmé par l’intervention d’un acteur de grand poids dans le cinéma US et international, Matt Damon. La prise de position de Damon, directement en faveur de Snowden qu'il juge héroïque, est d’un grand poids dans la mesure où il est politiquement très actif, qu’il a été un des plus fervents soutiens d’Obama, qu’il a depuis rompu avec lui à cause de sa politique illégale et destructrice de sécurité nationale, ce qu’il a d’ailleurs signifié au président au cours d’un entretien. Damon illustre ainsi parfaitement une position courante à Hollywood, libérale et de soutien initial à Obama, mais en la portant courageusement à son terme logique qui est de rejeter Obama à cause de la trahison complète de ses engagements électoraux. Jusqu’ici, Hollywood restait figé dans son soutien à Obama, aussi bien par conformisme libéral que par crainte de tomber sous l’accusation de racisme qui relève du sacrilège terroriste ; les prises de position de Damon et de Cusack rompent avec cet immobilisme couard. Si l’on signale cette évolution, c’est à cause de l’importance massive au niveau de l’influence de Hollywood dans le débat politique, dans le système de la communication. La position de Damon était présentée par WSWS.org le 31 août 2013.
«Matt Damon, one of the most popular film actors currently working, told a BBC television host last week that he supported the actions of Edward Snowden, the whistle-blower who has lifted the lid on the criminal activities of the National Security Agency (NSA). Damon, who has received three Academy Award nominations, five Golden Globe nominations and five Screen Actors Guild Awards nominations, told Husam Asi, host of the BBC Arabic television show “Alternative Cinema” [Cinema Badila], that Snowden had done “a great thing.” The clip was posted on YouTube August 22, and the entire interview aired on “Alternative Cinema” two days later.
»Asi asked Damon, “Would you do what Snowden did?” Damon replied, “I don’t know, I haven’t read everything that he’s leaked. But he certainly seems like a very conscientious guy—these revelations are pretty incredible and pretty shocking, and kind of fly in the face of the public statements that all these officials have made.” On balance,” the actor continued, “I think it’s a great thing that he did. If we’re going to trade our civil liberties for our security, then that should be a decision that we collectively make. It shouldn’t be made for us.”
»Damon’s statement of support for Snowden, now living in Russia, takes a certain amount of courage, considering the large-scale government and media campaign to discredit the whistle-blower, along with others who have exposed US government crimes, such as Julian Assange and Bradley Manning.
• Un autre domaine où la crise Snowden/NSA fait des ravages est celui du monopole des grands groupes de gestion et de contrôle d’internet, quasi-exclusivement US. Comme on l’a vu, notamment au travers de l’exemple latino-américain (Brésil-Argentine, notamment), il y a une dynamique de “balkanisation” de cette infrastructure, selon le mot de Jenkins, ce qui active d’une façon significative une dynamique exactement contraire à la globalisation que prétendrait présenter l’internet, mais simplement parce que cette globalisation est un faux-nez pour la domination des USA, c’est-à-dire du Système. La réaction en cours peut signifier effectivement une fragmentation défensive dans certains domaines, tout comme elle peut représenter une réaction antiSystème dans d’autres cas et se manifester comme telle ; dans ce domaine de l'internet, notre jugement serait plus favorable à une dynamique antiSystème qu'à une posture de fragmentation défensive.
De toutes les façons, il s’agit d’une tendance que “le marché“ lui-même, essentiellement les “consommateurs” pour ce cas, initie de par l’attitude massive qu’on constate. Le groupe Facebook du jeune Zuckerberg l’expérimente d’une façon douloureuse. Le 18 septembre 2013, le site The Hill rapportait l’humeur assez sombre de Zuckerberg, de plus en plus irrité par l’attitude des autorités US qui refusent de prendre en compte les impératifs éthico-commerciaux (curieux assemblage) permettant aux groupes de sa catégorie de fonctionner, au cours d’une conférence organisée par The Atlantic. Zuckerberg n’a évidemment pas caché que ses plaintes et ses inquiétudes pouvaient être reprises aussi bien par les autres grands groupes du domaine, notamment Google, qui essuient des pertes considérables.
Peu avant cette conférence, le Daily Mail annonçait, le 17 septembre 2013, relayé par Infowars.com ce même 17 décembre 2013, que des chercheurs de l’université de Vienne montrent que les “consommateurs” abandonnent Facebook à un rythme sans précédent depuis la crise Snowden/NSA : 11 millions d’abonnés, dont neuf millions aux USA, et les deux millions restants au Royaume-Uni (l’étude porte sur ces deux seuls pays), dont 48,3% ont pris cette décision pour des “raisons de vie privée” qui est la formule désignant directement une réaction à l’action de la NSA.
• On voit combien, l’ensemble de la crise Snowden/NSA, arrivée à maturité grâce à sa résilience, et donc avec son inclusion définitive dans l’ infrastructure crisique, est conduite à interférer dans tous les domaines de la crise du Système, et de la crise de la modernité per se. On le voit avec la crise politique entre l’Amérique latine et les USA, on le voit aussi avec la façon dont en sont imprégnés les milieux les plus courants et les plus spécifiques de la société du bloc BAO comme l’activité des utilisateurs de l’internet, la vie privée des citoyens, la position d’Hollywood, etc. (Tout cela avec une montée de l'organisation de l'opposition aux USA, avec la formation du groupe StopWatchingUs, qui regroupe de nombreuses associations anti-NSA et organise un rassemblement massif d'opposition à “la surveillance de masse”, le 26 octobre 2013 à Washington, D.C.)
A l’image de ce qu’écrit Jenkins («Edward Snowden has started a global debate...»), la crise Snowden a désormais une dimension globale, aussi bien quantitative que qualitative. C’est d’ailleurs le même Jenkins qui le met en évidence, également au niveau qualitatif, lorsqu’il écrit en conclusion de son article qui est développé pour critiquer l’absence complète de débat sur le sujet de la responsabilité des autorités publique au Royaume-Uni, par contraste avec les USA (le Royaume-Uni est aussi coupable, avec son GCHQ que les USA avec leur NSA) :
«The reality is that Britons generally have little trouble with the authority of the state. [...] A few people still hold to the futurist ideology that all things digital are benign. Since I see the digital revolution as one of means not ends, I am less convinced. A huge industry has shrunk the globe and vastly increased transparency, but it is poised to corrupt the very freedoms it professes to advance. The market is no guard against it, only democratic oversight. If that fails, as it has, everything is at risk.»
Ainsi Jenkins nous suggère-t-il l’essentiel, s’il y a lui-même pensé, qui est la fin de la légitimité de l’État à cause de l’action de dissolution du Système à laquelle se prêtent la plupart des États, et certainement tous les États du bloc BAO, et par conséquent la transformation de l’autorité en autoritarisme. Cet autoritarisme se répand d'ailleurs hors des structures pulvérisées des Etats. Ainsi des activités telles que celles des GCHQ/NSA deviennent-elles des monstruosités irresponsables, dont l’orientation menace l’essence même de la civilisation, ou plutôt du très peu qu’il reste de civilisation dans notre contre-civilisation. La rencontre avec la logique dissolvante de la puissance du technologisme, tel que nous l’avons encore identifié par rapport à son évolution le 16 septembre 2013, est de ce point de vue complètement inévitable. Le pouvoir privé de légitimité devient un instrument des puissances autoritaristes qui, elles, n’ont aucune obligation de légitimité, et de telles puissances qui sont de plus en plus mécaniques et privées du moindre contrôle principiel (humain, lorsque l’élément humain a encore une conscience quelconque de ce qu’est la légitimité principielle). Par conséquent, la crise Snowden/NSA se rapproche de plus en plus, si elle ne fusionne entièrement avec la crise de la “technologie intelligente” identifiée par le groupe du CSER (dans le texte référencé ci-dessus). On se doute que, dans notre propos, nous fassions place au plus grand doute quant à la capacité de la démocratie à contenir cette tendance de puissance brute, – comme Jenkins l’espère, lui, mais sans trop y croire pourrait-on deviner ... Nous aurions, nous, beaucoup plus confiance dans la fascination irrésistible du système, retrouvée dans toutes ses créatures, pour l’autodestruction.
Mis en ligne le 21 septembre 2013 à 13H29
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