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132917 avril 2009 — le brillant président des Etats-Unis était à Mexico hier après-midi et y passait la nuit avant de se rendre au Sommet des Amériques pour assurer à toute l’Amérique Latine que “toutes les Amériques” doivent se sentir sur un pied d’égalité. Il y a beaucoup de la nouveauté que prétend apporter Barak Obama à la politique US dans ce voyage, ce que les républicains ont prestement et rageusement baptisé “obamaism”. (Il faudra bien que nous suivions: “obamaisme”?)
…Il y a aussi beaucoup de l’ambiguïté de BHO, notamment dans ses rapports avec la situation intérieure de cette immense puissance qu’il dirige, et dans les rapports de cette situation intérieure avec la politique extérieure de la même. Nous avons déjà plusieurs fois parlé d’un phénomène de “contraction” de la politique extérieure, avec BHO arrivé à la Maison-Blanche. Les signes sont indubitables, notamment vis-à-vis de la Russie, vis-à-vis de l’Iran, peut-être, – perspective explosive, – vis-à-vis d’Israël; il y a la quasi-relégation aux oubliettes, voir dans les poubelles d’une histoire frelatée, du concept encore sacré il y a un an de “grande guerre contre la terreur” (GWOT remplacé par OCO). Non, l’ambiguïté se trouve à la jonction des deux (situation intérieure et politique extérieure); elle se trouve à Mexico, elle se trouve sur la frontière Sud; elle se trouve aux abords de la ville de Ciudad Juarez, illustrée par tel ou tel reportage en vidéo d’un journaliste (CNN, le 15 avril 2009) accompagnant une patrouille de policiers équipés comme des soldats de l’U.S. Army à Bagdad en 2006, – justement, le film nous fait penser à Ciudad Juarez comme si c’était Bagdad, – pas loin, dans tous les cas.
Dans le billet de William S. Lind dont nous avons fait l’argument de notre F&C d’hier, il y a cette phrase que nous avions déjà souligné, que nous restituons en la soulignant à nouveau (en gras):
«What are the implications of these three observations? Militarily, they portend continued failure and defeat. We will fail… […] We will push Pakistan over the brink into disintegration, which will be a strategic catastrophe of the first order. We will ignore the disintegration of the state in Mexico, while importing Mexico’s disorder through our ineffective border controls. We will not even be able to stop Somali pirates. What does it say about us when the whole nation rejoices because the U.S. Navy, the most powerful navy on earth, defeated four Somali teenagers?»
Bien sûr, l’opportunité des nouvelles, comme celle du voyage de BHO à Mexico, crée l’intérêt pour la chose. L’intérêt stratégique de l’affaire mexicaine, essentiellement pour les USA, est aussi bien mis en évidence par les analyses de Stratfor.com sur la question. Corrélativement à la visite d’Obama, Fred Burton et Ben West, de Stratfor.com, donnent le 15 avril 2009 une analyse de la situation des gangs liés aux cartels, du côté US, gangs latinos aux USA, cela va sans dire, – on reste en famille. Cela permet d’avoir une meilleure idée de l’implication des situations entre les deux pays.
A Mexico, Obama n’a pas caché une seconde combien sa visite était liée à cette crise de la frontière et de la bataille contre les cartels. En ce sens, c’était une visite “de combat” plus qu’une visite diplomatique générale “de bon voisinage” où l’on voudrait parvenir en un seul geste à établir un meilleur climat pour mieux aborder tous les problèmes pendants, avant de s’attacher à l’un ou l’autre. Au contraire, on va au cœur du sujet. Exemple parmi d’autres, le rapport que fait Reuters ce 16 avril 2009 de la rencontre entre les deux hommes marque cette polarisation des relations.
«President Barack Obama stood alongside Mexico's Felipe Calderon on Thursday and promised to help his “courageous” fight against ruthless drug cartels waging turf wars along the joint border. In his first trip to Latin America as U.S. president and fresh from his first big foray onto the global stage in Europe last month, Obama said Mexico and the United States both needed to strengthen and coordinate their drug war efforts.
»Obama said he had not “backed off” from the idea of trying to reinstate an expired ban on assault rifles – which are showing up in droves at Mexican crime scenes – but for the time being he would focus on halting the smuggling of arms and cash over the Mexican border, which would yield faster results. “Something that President Calderon and myself absolutely recognize is that you can't fight this war with just one hand,” Obama told reporters.
»“At a time when the Mexican government has so courageously taken on the drug cartels that have plagued both sides of the border, it is absolutely critical that the United States join as a full partner in dealing with this issue,” Obama said.»
Cette visite avait un côté populaire d’enthousiasme, contrastant sans grande difficultés avec les déplacement de GW Bush (en 2007 à Mexico, dans une ville en état de siège devant les manifestations d’hostilité, – non des cartels de la drogue mais de la population de Mexico); Obama fait toujours recette de ce point de vue-là, mais cet aspect va vite se ternir et tenir de moins en moins d’importance, comme tout artifice de communication pâlit en face des problèmes réels auxquels sont confrontés les dirigeants, – ce qui est le cas ici, très fortement, avec la “guerre des cartels”. Au contraire et en complet contraste, il a eu aussi des aspects très précis et très concrets de l’actualité et de la proximité de cette crise. Deux points “de détails” illustrent cet aspect pressant, presque physique et immédiat de la crise-guerre.
• Une précision personnelle du Mexicain Calderon, selon laquelle il a été lui-même menacé de mort par les cartels, ce qui donne effectivement une dimension dramatique personnelle à la situation. «A strong-willed conservative and U.S. ally, Calderon says he has been personally threatened by drug gangs. He also called on Thursday for closer cooperation than ever before.»
• L’annonce d’un bilan d’une “bataille” dans la “guerre”, pour le jour précédent la visite d’Obama ; ces événements apparaissent de plus en plus comme le quotidien de cette crise, – 16 morts mercredi, dans une “bataille“ entre l’armée mexicaine et les trafiquants («On Wednesday, 16 people died in a shootout between troops and suspected drug traffickers in southern Mexico»).
BHO, chaleureux, à son aise, conscient de la gravité de la situation, – c’était, malgré la pauvreté psychologique d’un président mexicain connu pour son inexistence chronique, comme la rencontre de deux chefs de guerre engagés côte à côte dans la même guerre. En trois mois, la crise mexicaine de la drogue est devenue une crise majeure pour le continent nord-américain, pour les USA, pour la frontière Sud des USA, en plus de l’être pour le Mexique. C’est un phénomène très particulier, très remarquable, qui demande une analyse spécifique tant il témoigne de la rapidité de la diffusion des situations de crise dans notre époque. Cela est d’autant plus nécessaire que la gravité de la crise est évidente depuis deux-trois ans, qu’il y a eu bien des occasions où la précédente administration aurait pu s’en aviser, que GW Bush (ancien gouverneur du Texas) aurait dû être l’homme idoine pour cela, et que rien n’a été fait dans ce sens. On dirait que la crise éclate, explose, avec l’arrivée d’Obama alors qu’elle ne fait que poursuivre son cours.
Y a-t-il réalisation disons “objective” de cette gravité, selon l’idée que la situation elle-même aurait imposé cette attention? Bien sûr, l’argument est inévitable mais cela n’explique qu’une toute petite partie de l’attitude d’Obama alors que cela explique a contrario beaucoup de l’attitude critiquable de GW Bush. Cette “réalisation” de la part d’Obama est très grande, très active, très précipitée, voire forcenée et considérable et, sans aucun doute et en un mot, par comparaison à d’autres problèmes et à d’autres crises, – on pourrait juger excessive cette réalisation de la crise. L’événement n’est certainement pas accidentel, c'est toute l'administration qui est sur pied de guerre. On a déjà vu des indications très convaincantes de cet intérêt, qui ne laissent aucun doute sur cette démarche. Ces constats demandent une explication.
Il nous apparaît donc qu’il y a une volonté manifeste d’Obama et de son administration de hausser la crise mexicaine au premier rang de leurs préoccupations. Cela n’était pas annoncé ni prévisible dans les diverses indications, à la fois de la campagne électorale, dans le programme du candidat ni même dans l’activité de la transition; à aucun moment il n’y eut l’impression d’une telle priorité, d’une telle importance accordée à la chose. La crise mexicaine est apparue brusquement en haut, tout en haut des préoccupations d’Obama, comme un événement inattendu, à l’entrée en fonction de l’administration Obama; et la chose s’est faite très naturellement, sans proclamation tonitruante, comme si elle allait de soi. Comme la gravité de la situation n’est pas la seule explication, même si elle a sa place, il y a d’autres explications à explorer. C’est là l’intérêt central du propos.
Nous parlons beaucoup de “contraction” de la politique US avec Obama. Le Mexique et sa crise sont l’archétype de cette “contraction”. La politique extérieure des USA, qui a étendu ses tentacules bellicistes aux quatre coins du monde avec GW Bush, effectue, au travers du déplacements de ses priorités, un mouvement circulaires de repli (de contraction) pour revenir, dans une crise désormais majeure, au point de contact avec la situation intérieure des USA, sur cette frontière Sud des USA. La politique extérieure US, qui est parti combattre les désordres extérieurs du monde dont elle est entièrement la cause elle-même, revenant sur sa frontière Sud, pour se fixer sur un désordre qui est, lui-même, la conséquence de la situation intérieure USA (pas de consommation intérieure de drogue aux USA, pas de cartels; pas d’armes en vente libre massive aux USA, pas de cartels armés). La politique extérieure US, qui a notamment pour mission de combattre et de repousser les troubles extérieurs de ces pays du Tiers-Monde (désordre, corruption, criminalité, Etats inexistants), dont les USA ne veulent pas entendre parler malgré qu’ils y aient tant de responsabilités, se retrouve, en se “contractant”, plongé dans une crise typique majeure du Tiers-Monde qui déchire sa frontière Sud. Il y a comme un étrange mouvement de la destinée, ramenant sur la frontière même des USA, bientôt aux USA même, ce que la politique de l’empire à la fois nourrit et repousse depuis plusieurs décennies.
Mais il y a aussi à dire sur BHO. Sans la moindre hésitation, sans une seconde se sentir freiné par sa situation intérieure et la lutte contre la crise financière et économique, Obama se jette à corps perdu dans cette crise de la guerre des cartels, qui est pourtant d’abord une crise extérieure. (Et la preuve nous a été assénée par le brave GW qu’on peut passer huit ans à la Maison-Blanche en l’ignorant complètement.) Que se passe-t-il? Obama, retrouvant ses racines d’Africain-Américain et sa solidarité de “minorité” avec les latinos, se tourne-t-il vers le Mexique avec cette perception psychologique? Le pâle Calderon n’est pas vraiment le représentant typique de cette “minorité” mais c’est un début et l’on fait avec. En vérité, y a-t-il un aspect d’une psychologie “tiers-mondiste” chez Obama qui lui fait s’intéresser à la chose (et éventuellement à l’Amérique Latine, – on verra)? Il y a là un autre phénomène, psychologique celui-là, dans le chef du président US, qui s'exprime par un intérêt politique suivant le phénomène de “contraction”.
Encore restons-nous dans des sphères civilisées et n’avons-nous pas évoqué dans ce propos l’engouement extraordinaire de tout l’appareil bureaucratico-sécuritaire du système pour cette nouvelle crise à se mettre sous la dent. (Nous l’avons documenté, par ailleurs sur ce site.) Quelle aubaine, cette crise, de ce côté aussi! Elle satisfait tous les phantasmes et toutes les perspectives des rêveries de la communauté US de sécurité nationale, réconciliant ses obsessions sécuritaires de l’extérieur, du Rest Of the World primitif, avec celles de la bordure de la “civilisation” américaniste en contact avec la barbarie extérieure, envieuse et ne rêvant que de plaies et bosses antiaméricanistes, avec celles du désordre intérieur.
Nous annonçons de superbes perspectives pour cette crise, qui pourrait devenir la crise de sécurité majeure des USA dans peu de temps. Il faut avoir la réflexion de William S. Lind en bandoulière («We will ignore the disintegration of the state in Mexico, while importing Mexico’s disorder through our ineffective border controls») car elle est chargée d’une vérité absolument inattaquable. La chose, débusquée de son anonymat par BHO, est en train de devenir l’objet de la fascination même de l’américanisme: une crise majeure, réconciliant la politique belliciste extérieure en “contraction” et les obsessions de sécurité intérieure en butte à cette “contraction”. L’Americanist Dream, en quelque sorte, parce que réunissant toutes les obsessions sécuritaires de cette étrange pathologie politique (nous voulons parler de l’américanisme).
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