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1144On trouve, dans la chronique hebdomadaire de Irwin Stelzer, dans le Sunday Times de Londres du 21 décembre, une intéressante appréciation de ce que pourrait, — de ce que sera? – l’administration Obama. (Irwin Stelzer, économiste US vivant au Royaume-Uni, membre éminent du Hudson Institute, est un important personnage des réseaux USA-UK. Perçu comme un proche de Rupert Murdoch, surtout jusqu’en 2005, et courroie de transmission entre Murdoch et Blair, il a élargi ses connexions avec Washington et doit être en général considéré comme un des voix officieuses de l’establishment washingtonien à Londres. Reste à savoir, aujourd’hui, dans l’extrême confusion washingtonienne, “pour qui roule” Stelzer, de quelle tendance washingtonienne il se fait l’écho? Dans le cas considéré, il est clair que Stelzer, en fonction de sa stature d’influence, représente une voix officieuse rendant compte de certains projets de l’administration Obama.)
La description que fait Stelzer de l’orientation d’Obama pour lutter contre la crise apparaît remarquablement radicale. Ce que nous décrit le chroniqueur n’est rien moins qu’un projet de profond changement structurel, grâce à l’“opportunité” que représente la crise… «The Obama team sees the crisis as an opportunity to push through a reformist domestic agenda as comprehensive and radical as anything wrought by Franklin Roosevelt. And that is the agenda on which Obama intends to focus.»
Obama est décrit comme habité par une vision historique (« Obama […] sees himself as a transformational figure»), extrêmement au fait de la profondeur et de la gravité de la crise («…well aware that he is inheriting a very difficult economic situation indeed »), et décidé à “sacrifier” la politique extérieure à ses ambitions réformistes intérieures: «Hillary Clinton at the State Department and General Jim Jones, the national security adviser, should be able to handle foreign policy, which will have the modest objective of preventing conflagrations. Forget about spreading democracy». Tout cela n’est pas rien.
Stelzer décrit un Obama décidé à agir comme fit un FDR en 1933, voire comme un “super-FDR” si l’on compare les dimensions et les profondeurs de l’action. Il y a une description générale d’actions extrêmement vastes et importantes au niveau social, avec la perspective d’un programme considérable de grands travaux publics, exactement dans la veine du FDR des années 1933-1937. Stelzer semble nous dire, et ceci justifiant cela, que l’équipe Obama est persuadée que la gravité de la crise ne va cesser de s’affirmer et de se creuser, qu’on dépassera les 10% de chômeurs (officiels, soit autour de 15% en réalité) en 2009, et que cette situation subsistera au moins jusqu’à la fin 2010.
«The president-elect has appointed former senator Tom Daschle to organise a takeover of the healthcare sector. Carol Browner, perhaps the greenest of America’s regulators, is charged with transforming the energy sector by substituting wind, sun and batteries for coal-fired electricity generation and petrol-powered vehicles, at whatever cost. New York City housing commissioner Shaun Donovan’s claim to his new post as secretary of housing and urban development is his record of attempting to increase the role of government in the housing sector. There will be more, but you get the idea: when Obama leaves office, the government will have expanded its reach as much as it did during Roosevelt’s New Deal.
»Obama also plans to rebuild and expand the nation’s infrastructure. He will pour hundreds of billions – more likely, at least a trillion dollars – into new roads, bridges, schools, and into repairing existing facilities, as well as into building “human capital” – read, teachers’ salaries. The incoming president believes that the states have numerous projects “shovel-ready”, and has the enthusiastic support of his trade-union allies, who know that when the federal government funds a project, union wage levels are protected, and most of the jobs go to union members.
»Finally, Obama intends to revise the free trade system that has more or less prevailed since the end of the second world war. No, he will not repeal the North American Free Trade Agreement (Nafta). But his new US trade representative will be directed to renegotiate Nafta to force Mexico and Canada to adopt American labour and environmental standards, and to eschew any new trade-opening deals.»
C’est alors qu’il faut considérer un autre aspect de cette chronique. Ayant mesuré l’importance et l’intérêt de ce que nous apprend Stelzer, il devient fort intéressant de consulter la chronique précédente, celle du 14 décembre, également dans le Sunday Times. Le contraste est saisissant.
«“Don’t project beyond the range of the known observations” is a rule followed by careful economists. In plain English this means, for example, that we know how American consumers behave when petrol prices move between $1 and $4 a gallon, “the range of the known observations”. But we haven’t much of an idea what consumers would do if prices rose to $5 — no experience, no data to inform our forecasts. Which is why we have to be very careful when predicting the effect of the various policies that are being adopted to fight the credit crisis and recession. We simply have no experience of this combination of events.
»So we have reason to worry about the galaxy of stars that Barack Obama has assembled to help him right the American economy. They are so bright, so self-confident, so accustomed to being the smartest guy or girl in the room, that doubt is not one of the emotions with which they are familiar, as was true of the bright young “quants” (mathematical economists) who designed the models used to manage the risks taken on by Lehman Brothers and AIG. Something about hubris and nemesis comes to mind. […]
»Then, the ball will be in Obama’s court. The president-elect has promised to develop a plan to restructure America’s motor industry, something that has eluded the industry’s management during its decade of decline. Experts estimate that Obama will end up spending $125 billion in pursuit of his goal.
»Once again, it is difficult to predict the consequences of a government intervention. Advocates of a bailout are predicting that the result will be a lean, mean, green competitive Big Three, and that failure to act will reverberate through the economy. Opponents say that recourse to the bankruptcy courts is more likely to produce a healthy motor industry. Unfortunately, we simply have no experience with a bailout on this scale and in these circumstances. It is beyond the range of known observations.
»Then there are Obama’s plans for an economic stimulus costing at least half-a-trillion dollars, more likely a trillion. Roads, bridges, schools and all sorts of other things fitting under the title of “infrastructure” will be built, providing 2.5m jobs. So says Obama’s distinguished team of economists.
»But infrastructure projects take a long time to move from the drawing board to a shovel in the ground. So the recession might be over before any worker dirties his or her hands paving a road or putting the first rivets in a bridge. Or the stimulus might actually, well, stimulate. We won’t know until experience performs its historic role as teacher.»
Quelle différence de ton, quelle différence d’appréciation! Le 14 décembre, c’est une chronique sceptique, prudente, qui semble par avance écarter toute possibilité de succès immédiat de projets et de programmes de l’administration Obama, dont on consent à peine à donner quelques détails. On ne distingue rien d’organisé, rien de cohérent, aucune bienveillance sous la plume de l’observateur; on voit surtout l’équipe Obama empêtrée dans ses certitudes et une assurance qu’aucun événement, ni aucune expérience passée ne justifient vraiment. Le 21 décembre, tout s’éclaire. Soudain l’on découvre une cohésion, une mobilisation, une volonté et une réelle alacrité. La “galaxy of stars” raillée ici (le 14 décembre) devient l’objet d’une description presque admirative, magiquement métamorphisée en une magnifique équipe où chacun est prêt à tenir son rôle avec humilité et efficacité.
Que s’est-il passé entretemps? Nous sommes notamment fondés à croire que Stelzer a reçu des informations et des évaluations précises, avec la demande pressante de les répercuter dans sa chronique. Il est difficile de ne pas voir dans ce changement de ton et cette modification fondamentale d’analyse, non seulement une intervention auprès des milieux concernés, mais peut-être plus encore. L’hypothèse serait alors qu’une véritable impulsion nouvelle est apparue au sein de l’équipe d’Obama, et de la part d’Obama lui-même, pour pousser à organiser et à coordonner une perspective dont on mesure qu’elle pourrait être très réformiste, voire déstructurante pour le système. Il est vrai que, durant cette semaine entre le 14 et le 21 décembre sont survenus divers événements, notamment les développements de l’affaire du plan de sauvetage des “trois grand” de l’automobile à Detroit, et la décision de la Federal Reserve de son taux directeur jusqu’à zéro, qui ont accru la perception de l’urgence de la crise.
Mis en ligne le 22 décembre 2008 à 05H40
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