Tableaux de la pratique courante de l’American Dream

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Nous ne saurions reculer devant le plaisir de citer à nouveau la citation en passe devenir le plus célèbre du pays et de l’époque, cette fois sous la plume de Johann Hari, dans The Independent du 19 août 2009, dans un texte qui concerne le voyage mental de l’Amérique dans ce mois d’août 2009. (Hari en profite ensuite pour décrire ce qui se passe aux USA, au travers de la description du parti républicain devenu une sorte de rassemblement d’un culte étrange, ou ce qu’il nomme “le triomphe de la déraison”).

«Something strange has happened in America in the nine months since Barack Obama was elected. It has best been summarised by the comedian Bill Maher: “The Democrats have moved to the right, and the Republicans have moved to a mental hospital.” […]

» Since Obama's rise, the US right has been skipping frantically from one fantasy to another, like a person in the throes of a mental breakdown. It started when they claimed he was a secret Muslim, and – at the same time – that he was a member of a black nationalist church that hated white people. Then, once these arguments were rejected and Obama won, they began to argue that he was born in Kenya and secretly smuggled into the United States as a baby, and the Hawaiian authorities conspired to fake his US birth certificate. So he is ineligible to rule and the office of President should pass to... the Republican runner-up, John McCain.»

• Ensuite, l’on peut consulter une courte vidéo d’une réunion donnée par le Représentant démocrate Barney Franks, sur la fameuse question des “soins de santé”, où l’on voit une femme d’un âge raisonnable et d’aspect fort convenable interroger le parlementaire et lui demander comme il peut oser soutenir “une politique nazie”; et Franks, bouchée bée, répondant à propos de planètes différentes où vivent les gens qui se parlent et terminant enfin par le constat que “tenter d’avoir une conversation avec vous revient à essayer d’avoir une conversation avec une table de salle à manger ”. (Sur Huffington.post ce 19 août 2009.)

«At a Barney Frank town hall meeting in Dartmouth, MA, a constituent asks, “Why are you supporting this Nazi policy?”

»Frank responds: “On what planet do you spend most of your time?” He then calls her approach “vile, contemptible nonsense.” He closes by saying: “Trying to have a conversation with you would be like arguing with a dining room table.”»

• Il est encore possible de s'informer, également sur Huffington.Post, ce 18 août 2009, à propos d’un incident, avec l’intermédiaire de CNN, où deux hommes armés de fusils d’assaut, proches du lieu d’une réunion sur les fameux “soins de santé” où le président Obama allait parler. Tout cela se fait et se dit dans une complète confusion: s’agit-il de publicité, s’agit-il d’affirmer l’amendement à la Constitution qui fait du port d’armes un droit pour le citoyen américain, s’agit-il d’illustrer une métaphore de Jefferson?… D’autant que l’on s’aperçoit que la police de Phoenix, Arizona, où se déroulait l’incident, était au courant, avertie par les deux porteurs de fusils d’assaut, les ayant autorisés à se manifester, ou à manifester tout court, avec leurs armes, etc. Voici quelques mots (en plus d’une vidéo qu’on pourra voir et écouter au lien indiqué) impliquant l’un des héros de l’incident, un nommé “Chris”, en même temps qu’il est question d’un autre incident du même genre, etc. (L’incident est également rapporté par RAW Story, le 19 août 2009.)

«Despite being heavily-armed at all times, Chris didn't seem to have violent intentions. At the beginning of the video, someone asks Chris whether he plans to “water the tree of liberty.” Chris responded, “I hope not.”

»This is a reference to a Jefferson quote, “The tree of liberty must be refreshed from time to time, with the blood of patriots and tyrants.” Another gun bearing protester in New Hampshire, William Kostric, was holding a sign with that same Jefferson quote. He apparently served as an inspiration to the two men. From Hancock's interview on CNN: “It was Thursday that I called and talked to Al Ramirez, the representative from the Phoenix police department, and we were discussing – we've been around this rhetoric that was building up around William Kostric, who did this in New Hampshire.”»

• A côté de tout cela, il existe une argumentation menée tambours battant, qui dit qu’il s’agit là simplement de la révolte des braves gens, des gens du peuple, trop longtemps opprimés par les nantis de Washington (éventuellement, les nantis gauchistes de Washington). Pour ces commentateurs, tout ce qui se passe est un signe de santé, un fleuron de la démocratie américaine, une manifestation du droit du citoyen à défendre sa liberté. Ainsi parle, ou à peu près, Tony Blankley, dans le Washington Times, ce 18 août 2009, qui voit dans ces événements l’amorce d’une sorte de révolution, après tout, la seconde après la grande Révolution de 1776…

«Those of us who are self-appointed advocates – who expend our efforts trying to persuade a few more people to our political point of view – must sit back in slack-jawed wonder when the great American public makes one of its great roars, as we all have been hearing in town-hall meetings across the country.

»In the animal kingdom, it is the lion that has the loudest roar. Scientists say it is made as a warning to advertise the animal's presence. Are you listening, Washington? The current American public's roar certainly is being heard around the globe. Consider the following lead from the London Telegraph a few days ago:

»“It was a scene of breathtaking political theatre. Arlen Specter, the veteran Pennsylvania senator, stood in stony-faced shock as one of his constituents delivered a furious tirade just a few feet away. ‘One day God is going to stand before you, and he's going to judge you and the rest of your damn cronies,’ bellowed the senator's grey-bearded adversary in an encounter replayed countless times on American television. ‘Then you will get your just desserts. [sic]’ Minutes later, a woman prompted a standing ovation with her emotional outpouring. ‘I don't believe this is just health care. This is about the systematic dismantling of this country,' she said, her voice quaking. ‘I don't want this country turning into Russia, turning into a socialized country. What are you going to do to restore this country back to what our founders created, according to the Constitution?’”»

Il nous apparaît de plus en plus difficile d’apprécier ces événements extraordinaires en même temps que quotidiens qui se déroulent, c’est le cas de le dire, jour après jour aux USA, de la façon qui est proposée en général – droite contre gauche, ici la “droite” accusée de perdre l’esprit, d’ailleurs sans grand effort d’imagination puisqu’elle se trouve, semble-t-il, dans un hôpital psychiatrique. Nous ne pouvons ôter ces épisodes de leur contexte, lequel est celui de l’histoire de la Grande République, non pas depuis 9/11 mais depuis l’origine, et la Grande République que nous suivons constamment de nos regards et de nos appréciations, qui semble si complètement représenter la civilisation occidentale dans tous ses excès désormais, jusque dans sa chute finale. Toute cette “droite” américaine a conduit ce pays dans les folies des huit dernières années, sans jamais se trouver démentie, sur l’essentiel, par la “gauche” officielle (disons l’“aile libérale” du parti unique, dito le parti démocrate). Bush avait plus de 90% du pays derrière lui à la fin septembre 2001 alors qu’il proclamait une croisade pour la liberté du monde, c’est un Congrès type-Comité Central qui a voté les pouvoirs de guerre pour GW Bush, tout cela dans un montage général incluant toutes les autorités et la presse (notamment, ô combien, “libérale”) exaltant une situation absolument virtualiste. Il nous est difficile de voir une différence fondamentale entre cette période (disons 2001-2006), à laquelle les démocrates ont signé des deux mains, et les actuels débordements, qu’ils dénoncent à grands cris. On pourrait même ajouter qu’il y a une singulière contradiction à voir tous ces gens protester, à juste raison, contre la folie de cette saison des “soins de santé”, tout en continuant à soutenir à coups de $milliards les conflits qu’on sait, en Irak et en Afghanistan, tous bâtis sur des montages aussi grotesques.

Aussi est-ce plutôt – on nous reconnaîtra bien – l’aspect psychologique qui nous importe. (Nous revenons, après tout, à l’hôpital psychiatrique.) On trouve dans toutes ces anecdotes, ces rencontres, ces algarades diverses, un tel énervement, une telle exaltation fondée sur des situations incroyablement virtualistes, qu’on en conclut qu’on se trouve là devant des situations de pathologie collective pour lesquelles les explications politiques sont un peu courtes. Ce pays, que ce soit à droite ou à gauche, est à la recherche d’une catharsis, d’un Moment explosif qui serait également libérateur. En même temps, le ridicule surréaliste des échanges, des arguments, des discours, etc., tend à réduire impitoyablement la dimension tragique qu’il faudrait pour que cette situation trouve effectivement son “Moment libérateur” qui pourrait acquérir une dimension historique. (Fût-ce dans la violence? interrogera-t-on, accusateur. Allons, il y a longtemps qu’on a passé le seuil de la violence sous toutes ses formes, dans ce pays comme dans notre civilisation aux abois, avec nos expéditions libératrices lointaines qui font des morts par dizaines de milliers, avec notre organisation de santé publique qui laisse 20.000 morts US par an, par simple absence de soins, etc.)

L’Amérique est aujourd’hui à la recherche d’une catharsis qui lui permette de rentrer dans cette histoire qu’elle a toujours abhorrée, fût-ce par la violence, répétons-le. Il n’est pas temps de juger cela, selon les critères du bien et du mal. Il n’est temps que d’en faire le constat, tant celui-ci nous paraît éclatant. Si, demain, la querelle des “soins de santé” s’apaise, ce qui ne sera pas simple, après-demain nous aurons un autre débat national, par exemple sur l’interdiction de mâcher du chewing gum le dimanche, Jour du Seigneur, qui nous conduira aussitôt aux mêmes extrêmes où l’on parlera de nazisme, de communisme et du Diable et son train. Cela, sans cesse, jusqu’à ce que l’effet recherché se manifeste. Le seul motif d’étonnement est sans doute dans la rapidité des événements, dans la succession de ces crises paroxystiques et surréalistes.


Mis en ligne le 20 août 2009 à 06H35