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1124Un texte de Michael Tomasky, commentateur US du Guardian, donne un aperçu intéressant de la version que le système est en train de construire contre Tea Party. Il y a une perspective historique, qui fait de Tea Party une résurgence, éventuellement et même assurément complotiste, des Sudistes ; lesquels Sudistes étaient déjà à l’œuvre dès les années 1780, lorsqu’ils s’opposaient aux fédéralistes. Aujourd’hui, Tea Party est, selon Tomasky, antisémite, raciste, anti-démocratique, sécessionniste bien sûr, etc. (Il n’ajoute pas anti-féministe, par prudence sans doute, mais insiste pour faire de ce mouvement le “Frankenstein” des républicains et des neocons, – ce dernier point devant s’arranger, par ailleurs et comme il peut, du verdict d’antisémitisme.)
Extrait de son texte du 16 septembre 2010, dans le Guardian, ce passage sur les étranges racines historiques de Tea Party. Tomasky envisage le cas, fort inquiétant selon lui, où Tea Party ne serait pas qu’un incident de passage dans la vie par ailleurs édifiante de l’establishment.
«At the other extreme, the most worrisome possibility goes something like this. This tendency has always existed in the US. In the early days of the republic they were the anti-federalists. Their base was in the south, as it is still, but they were everywhere; and while they didn't necessarily oppose union (that is, creating an entity called the United States of America), they wanted the loosest possible affiliation among what were then called “the several states”.
»They had the habit of losing a bunch of elections to federalists of various sorts. They brought on the civil war (and you should watch the American readers thrash out this sentence in the online comments!). Their side lost, and then they were really tamed – the south was essentially occupied. Before you know it, the 20th century had arrived, with urbanisation and industrialisation and Wall Street replacing the City of London as the home address of world capital and the US's rise to global power.
»Then came the cold war. Vast power became concentrated in Washington. Domestically, the great moral cause of racial equality provided the perfect basis on which to give Washington still more power to enforce that equality, because many states would not. All this time, the proto-Tea Partiers were surrounded and outnumbered, and held their tongues.
»Yes, the Reagan years were fine for them, and the George W Bush years. But let's face it, the Obama years are their heyday. It took economic calamity, large government bailouts, and perhaps most of all a president who is so utterly alien to them – and who embodies American ruination and turpitude just by standing there – for them to rise up as one.
»Thus the historically situated question is this: is the Tea Party movement a flash in the pan, or is it a historic fulfilment of an urge that has been building for 230 years and is on the cusp, with the help of Rupert Murdoch's “news” channel, of becoming a permanent fixture in American politics?»
Le texte de Tomasky est ici donné comme exemple de l’extrême complication des faits et des raisonnements, lorsqu’il faut les accorder, dans la perspective historique, avec la pensée impérative du système de puissance qui nous domine. Le système, en effet, s’est réveillé fort courroucé des résultats obtenus par Tea Party ce 14 septembre (voir notre F&C du 16 septembre 2010) et il s’en inquiète à un juste propos. Il entend le faire savoir et son attitude suffit à faire consigne pour les professionnels expérimentés de la réflexion, dont le rôle est effectivement de suivre la consigne.
En l’occurrence, bien entendu, Tomasky, commentateur américaniste et “libéral” surtout dans le sens moral du terme (équivalent d’un BHL, si l’on veut stéréotyper le propos), est parfaitement l’intellectuel appointé de ce système, dont la mission est d’habiller d’atours convenables sinon brillants les intérêts et les consignes dudit système. L’exercice est dans ce cas à la fois périlleux et audacieux puisque Tomasky parvient à faire de Tea Party le rejeton des anti-fédéralistes des années 1780 (au côté de Jefferson, faut-il le préciser), des sudistes esclavagistes, des antisémites chroniques et des neocons extrêmement récents et extrêmement pro-israéliens. En passant, certes, Tomasky mentionne, pour notre information et pour nous rassurer sur le processus de cause à effet, qu’il y a tout de même une crise notamment économique et sociale en cours, – et aussi, bien entendu, un président Africain-Américain («…economic calamity, large government bailouts, and perhaps most of all a president who is so utterly alien to them»).
Certes, Michael Tomasky n’est sans aucun doute pas un imbécile (non plus que BHL, d’ailleurs), ne serait-ce que dans la gestion de ses intérêts et dans l’appréciation des puissances qui comptent (notamment pour distinguer “la consigne”). Il sait à peu près écrire et il a quelques données historiques à l’esprit, dont il est convaincu que son brio et son sens de la formule écarteront le caractère convenu et dissimuleront son propre désintérêt pour la matière. (L’histoire, sous la plume de cette sorte d’intelligence, doit être une sorte de remise où sont empilés divers clichés et lieux communs dont l’intérêt est de s’emboiter avec une certaine précision dans la leçon de morale du jour, sur le temps présent et les vertus du système. Le “brio” et “le sens de la formule” se révèlent dans la façon d’amener et de présenter l’un ou l’autre de ces clichés, l’un ou l’autre de ces lieux communs, de façon à ce que l’un et l’autre paraissent originaux.)
Bien entendu, il est inutile et il serait maladroit de tenter de répondre argument par argument à un tel discours. Une telle démarche vous obligerait à prendre parti, c’est-à-dire à paraître vous poser en défenseur de Tea Party, ce qui est également inutile et maladroit, et certainement pas le propos. (L’essentiel, comme nous le disions ce 16 septembre 2010, est l’effet de l’action de Tea Party sur la situation générale, nullement sa vertu, ou son ignominie d’ailleurs, nullement son laissez-passer moral ou son infamie avérée. Il s’agit d’apprécier la vérité, d'un point de vue métaphysique, que l’action de Tea Party révèle ou met en évidence, et ce mouvement peut effectivement y arriver parce qu’il opère hors du contrôle du système. Cela n’absout Tea Party de rien ni ne le condamne d’ailleurs, cela est un tout autre sujet que l’évaluation de l’action de Tea Party par rapport à la situation de crise.)
Il importe d’abord d’observer Tomasky et son texte comme un exemple de plus de la façon dont le parti intellectuel, ou “parti des salonards” (en référence au salon), joue son rôle de gardien, ou de chien de garde, des intérêts du système. Il le fait sans la moindre conscience de déchoir, sans aucune idée d’une possible duplicité dans son chef ; il est l’héritier des Lumières, c’est-à-dire d’un siècle et d’une pensée, et d’une psychologie déjà épuisée, où la raison humaine passa un accord avec le système en formation, – système de “la matière déchaînée” se manifestant notamment par le persiflage, – pour verrouiller (“sécuriser”, si l’on veut) une position dominante, un magistère de la morale remplaçant la politique, qui seraient utilisés dans le but d’entretenir l’apparence de la vertu morale dudit système. Tomasky l’intellectuel remplit bien son contrat.
Cela, pour aussitôt observer que son texte nous révèle effectivement l’inquiétude dont nous parlions ce même 16 septembre 2010. L’attaque de Tomasky contre les neocons est sévère (notez bien que cette attaque concerne la faveur des moyens de communication de monsieur Rupert Murdoch pour Tea Party, nullement le soutien accordé par ces mêmes moyens à l’attaque de l’Irak en 2003, – il faut savoir faire la différence entre l’essentiel et l’accessoire, entre le crime et le crime). Par ailleurs, du point de vue du système, l’attaque de Tomasky est justifiée, et les neocons eux-mêmes font amende honorable et un rétropédalage extrêmement sportif pour condamner ce qu’ils ont adoré, Tea Party en l’occurrence (voir le 15 septembre 2010, l’intervention de Charles Krauthammer, et aussi des interventions de la bande du Weekly Standard signalées par ThinkProgress.org le 15 septembre 2010).
Bref, ils ont tous un problème, républicains et aussi démocrates d’une façon indirecte, puisqu’il s’agit du système, donc de l’establishment. Finalement, le texte de Tomasky n’est pas très rassurant, nous voulons dire du point de vue du système ; il ne pétille pas d’enthousiasme, alors que les mésaventures du parti républicain devraient ravir Tomasky qui est un soutien avéré du parti démocrate, en tant que conscience légèrement gauchisante dans la nomenklatura du système. Non, le “parti des salonards” est inquiet, d’autant que Tea Party semble affectionner les chemins de traverse. (Christine O’Donnelly, en une journée après son “coup d’Etat” du Delaware et après que le parti républicain ait annoncé qu’il lui coupait les vivres, a récolté $1 million par appel au soutien de ses partisans sur Internet.)
Mis en ligne le 17 septembre 2010 à 13H02