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128124 août 2009 — Avec un art consommé de la communication, qui est dans ce cas de passer par un média de la tendance opposée, les conservateurs britanniques précisent leur stratégie pour cet embarrassant et absurde bourbier qu’est l’Afghanistan. Ils le font parce qu’il semble écrit, selon les interprétations courantes, qu’ils assumeront bientôt le pouvoir. C’est ainsi qu’on pourrait présenter, avant de s’en expliquer plus en détails, l’interview que Liam Fox, le “ministre de la défense” du shadow cabinet conservateur a donnée le 23 août 2009 à The Observer.
Essentiellement, Liam Fox dit qu’il faut maintenant fixer clairement les conditions d’un retrait des forces militaires – en d’autres mots: à partir de quand et comment l’on pourrait proclamer la “victoire” (par exemple, en chantant: “on-a-ga-gné”, comme l’on fait dans les gradins d’un match de football) – puis transmettre la patate chaude à un “gouvernement” afghan, et commencer le retrait…
«Liam Fox, the Tory defence spokesman, is calling for Britain to shorten its deployment in Afghanistan by setting clear targets for military success and sending more troops to train the Afghan army. His words will be seen as moving towards a more populist emphasis on disentangling the UK from a conflict which increasingly lacks public support, as Cameron condemns the “scandal” of UK helicopter shortage in Afghanistan.
»In an interview with the Observer, Fox declined to set any timetable for an exit but said the allies should define their “benchmarks” for military success and thus the end of the mission, the tactic used by Tony Blair when under pressure to withdraw troops from Iraq.»
Suivent diverses considérations joliment faites mais sans grand intérêt sur ce qu’est un engagement militaire (qui devrait cesser le plus vite possible) et une aide à la reconstruction une fois proclamée la victoire. On n’ose penser que ce pourrait être, notamment, en s’arrangeant avec l’une ou l’autre fraction arrangeante des “talibans”, si ceci (une “fraction arrangeante”) ou cela (les “talibans”) existe selon nos conceptions et notre représentation occidentalistes des choses.
Trois points à noter dans ce texte relativement court mais plein d’enseignement pour mieux définir le mot “impuissance” dans notre étrange époque.
• Les conservateurs ne refuseraient pas des troupes supplémentaires, si Washington le demandait, s’ils étaient au pouvoir. Le deuxième “si” est particulièrement intéressant, il permet de souffler. (A noter tout de même qu’il s’agit de “plus de troupes pour l’entraînement” des forces afghanes… «Asked if the Tories would support sending more troops, Fox said it would depend on the request, but added: “I said to General McChrystal that had we been the government and had we been asked for more troops to accelerate the training, we would have been much more sympathetic than the current government, and we maintain that view.”»)
• Un aveu “surprenant de franchise”, comme le commente approximativement The Observer, mais qu’on peut qualifier de piteux ou de pitoyable, selon le nombre de lettres qu’on veut bien accorder à la chose: “tout se décide à Washington” (où, comme l’on sait, rien ne se décide vraiment…): Liam Fox «suggested “the most important political décisions” would be taken in Washington, not London, and that Britain was not “the prime driver”, a surprisingly frank assessment.»
• 60% de Britanniques contre la présence de troupes britanniques en Afghanistan, contre 33% favorables. Dernier sondage en date, donné en fin d’article, sans commentaire nécessaire.
…En d’autres mots, les conservateurs, qui jugent qu’il y a beaucoup le chances pour qu’ils soient au pouvoir dans un an, aimeraient bien que les travaillistes, qui tiennent le gouvernement, prennent, les premiers, les plus délicates initiatives pour ouvrir la voie au retrait. Le Times de Londres, un ami des conservateurs celui-là, tonitrue en publiant des “rapports secrets” sur l’état des forces UK en Afghanistan et sur le désintérêt scandaleux de l’équipe Brown pour leur soutien et leur entretien (Sunday Times du 23 août 2009, commentaire du même jour plein de mâle fureur).
Tout cela décrit un cas particulier, coûteux en hommes et en argent, particulièrement présent dans la conscience populaire qui ne cesse d’en être chaque jour plus énervée (les Britanniques ont un fort engagement en Afghanistan, si bien qu’on peut en faire les partenaires “privilégiés” des USA à cet égard). Pour les Britanniques, l’Afghanistan n’est pas un problème marginal, comme il l’est pour les autres pays de la “coalition” (hors-USA, cela va de soi). Tout cela décrit également un cas épuisé. Les dernières élections en Afghanistan ont été faites, comme on le sait, dans le plus complet fatalisme pour la situation indescriptible et inextricable de cette “fragile démocratie”, selon le qualificatif non exempt d'une certaine compassion employé par Kim Sengupta, dans The Independent (ce 23 août 2009). Avec une élection présidentielle qui rassemble tous les poncifs du genre – attentats, corruption, fraude, contestation, “marionnettes” et candidats intrigants – on nous a épargnés les couplets sur la démocratie apportée en cadeau aux peuples affamés de se conformer à notre modèle. C’est toujours ça de gagné. Fin temporaire de séquence, avec cette question lancinante: comment en sortir?
Qu’on ne compte pas sur nous pour faire le décompte impressionnant des multiples avantages géopolitiques d’avoir sur place, dans ce pays d’une si grande importance stratégique pour le nième “Grand Jeu” d’un Occident roublard et finaud conduit par une Amérique encore plus que cela, un contingent militaire dont la fonction, tout aussi habile, semble de subir sans trop grogner une déculottée majeure. Il y a longtemps que la géopolitique, dans ce monde absolument bouleversé par la puissance de la communication, n’intéresse plus que les salons, les stratèges et les journalistes, sans compter ceux qui comprennent la situation du monde et ceux qui font fonction d’analystes privés et grassement payés pour notre édification personnelle. Ce qu’il faudrait, c’est lancer une nouvelle science, qui serait celle de l’étude des crises impossibles à finir.
Toujours notre “structure crisique”… L’affaire afghane n’a plus rien de spécifique, par rapport à ce qu’elle était, ou qu’on prétendait qu’elle était à son origine, en 2001, et surtout par rapport à la façon dont elle fut décrite et continue à être décrite jusqu’au grotesque (“défense de la liberté”, “nos valeurs”, etc.). Elle est devenue quelque chose qui fait partie d’un standard, qu’on retrouve dans toutes les situations, dans tous les domaines. Il serait un peu court mais bien entendu pas faux du tout de la caractériser par les mots “impuissance” et “paralysie”, parce que ces mots sont usés jusqu’à la corde par l’usage que nous en avons fait depuis le début de notre siècle courant. Mais tout cela ne peut servir d’argument électoral pour les prochaines élections générales britanniques, ni de programme de gouvernement pour le fringant Cameron-le-tory, déjà si assuré de succéder au terne et massif Gordon Brown que l’élection paraitrait parfois superflue.
Par conséquent, la sortie de Liam Fox n’est pas autre chose que l’annonce pathétique de ce que serait le programme tory concernant l’Afghanistan, en cas de victoire: comment s’en débarrasser? (Comment s’évader de la prison afghane?) Les conservateurs, s’ils l’emportent en 2010, vont essuyer de plein fouet les conséquences budgétaires de la crise où se débat le Royaume-Uni aujourd’hui. Les annonces qu’ils ont déjà faites sur un programme électoral prévoient des réductions importantes, pour ne pas dire “drastiques” selon le terme consacré, des dépenses publiques. La défense passera évidemment sous les fourches caudines, et le fardeau afghan sera encore plus lourd à porter, sinon à supporter.
La tactique des conservateurs s’est donc adaptée à ces perspectives catastrophiques. Comment faire? En faisant pression sur le gouvernement travailliste pour qu’il mette en place une “stratégie de sortie”, tout en poursuivant ses critiques habituelles (“l’armée n’a pas assez de moyens” – on verra ce que Fox dira dans deux ans, s’il est au MoD!) et en mettant les points sur les i pour plus tard, si rien n’a bougé d’ici l’élection (“en fait, c’est Washington qui dirige tout, et nous n’avons pas notre autonomie de décision”). Les travaillistes ne peuvent guère répondre à tout cela, puisqu’ils sont eux-mêmes engagés dans une course désespérée pour laisser percer l’espoir d’un désengagement, puisqu’ils gardent un tout petit espoir pour les élections, puisqu’ils savent bien que les électeurs détestent l’Afghanistan … Que de “puisque”, comme une suite de chaînons formant la chaine qui les emprisonne tous.
En attendant, cahin-caha, nous approchons, par inadvertance, de l’exposé cru de la situation afghane: cette guerre est sans fin parce qu’il n’y a pas de stratégie de sortie, c’est Washington qui décide et l’on sait que Washington est dans l’indécision, et la guerre est finalement totalement nihiliste sur le fond. (Il faut en effet atteindre le fond du nihilisme pour proposer qu’on puisse obtenir le soutien du public en expliquant que le but essentiel de cette guerre, c’est de la gagner pour ne pas la perdre: «Public support for the war should be bolstered by explaining that British soldiers were fighting to avoid a strategic defeat for Nato, shattering its credibility as a deterrent force, [Fox] added.»)
Maintenant, nous laissons volontiers la place aux géopoliticiens, avec leurs calculettes, pour qu’ils nous expliquent les immenses avantages qu’a l’Ouest, aujourd’hui, à rester en Afghanistan pour faire ce qu’on y fait.
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