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1430Si nous publions le texte de George Friedman intitulé «Europe, Unemployment and Instability» (Ouverture libre, ce 11 mars 2013), c’est essentiellement pour sa fonction de signal supplémentaire de ce qui nous semble être une évolution décisive de la crise de l’effondrement du Système.
Ce texte, lorsqu’il fut repris dans EconomyWatch.com le 8 mars 2013, hérita d’un autre titre, plus précis, plus “sensationnel”, plus compréhensible pour le parti des salonards transnational qui assure la gestion du patrimoine intellectuel du Système grâce à ses arrangements de police ; pour ce parti, le mot “fascisme” est une des matraques favorites, et ainsi en va-t-il du titre : «Will Europe’s Unemployment Crisis Spark A Return For Fascism?» Bien entendu, le mot et le titre se réfèrent à l’hypothèse de conclusion de Friedman :
«Fascism had its roots in Europe in massive economic failures in which the financial elites failed to recognize the political consequences of unemployment. They laughed at parties led by men who had been vagabonds selling post cards on the street and promising economic miracles if only those responsible for the misery of the country were purged. Men and women, plunged from the comfortable life of the petite bourgeoisie, did not laugh, but responded eagerly to that hope. The result was governments who enclosed their economies from the world and managed their performance through directive and manipulation.
»This is what happened after World War I. It did not happen after World War II because Europe was occupied. But when we look at the unemployment rates today, the differentials between regions, the fact that there is no promise of improvement and that the middle class is being hurled into the ranks of the dispossessed, we can see the patterns forming.»
Évidemment, ces évolutions sémantiques des titres autant que les textes impliqués et l’hypothèse conclusive de Friedman ont tout à voir avec la crise italienne en tant qu’elle pourrait être identifiée comme une sorte d’“extension du domaine de la crise”. Il y a le phénomène de Beppe Grillo et, en général, tous les autres éléments que nous examinons dans notre F&C du 9 mars 2013, dont certains sont hautement politiques et même plus encore. (De ce point de vue, on notera en particulier la connexion que fait Richard Cottrell, cité dans le texte référencé, entre la crise italienne elle-même et la crise du Vatican, menaçant de devenir “crise de l’Église” et introduisant un facteur fondamental dans la situation, le fondement même de la crise d’effondrement du Système qui est la crise du sens et la crise spirituelle de notre civilisation, – ou “contre-civilisation”.) Pour autant, et malgré les indications que nous fournissent les titres et l’hypothèse conclusive, il est bon que Friedman, avant de s’attacher à l’analyse de la situation européenne, ait précisément fixé les enjeux, qui sont effectivement transnationaux, transcontinentaux, globaux, et finalement, entièrement des enjeux-Système affectant tout le Système :
«The global financial crisis of 2008 has slowly yielded to a global unemployment crisis. This unemployment crisis will, fairly quickly, give way to a political crisis. The crisis involves all three of the major pillars of the global system – Europe, China and the United States. The level of intensity differs, the political response differs and the relationship to the financial crisis differs. But there is a common element, which is that unemployment is increasingly replacing finance as the central problem of the financial system. »
Friedman parle donc de l’Europe mais il est entendu qu’en parlant de l’Europe, il parle aussi du reste, pour ce qui est de la pente générale de la crise dont il tente de nous donner une mesure de la déclivité. Son idée selon laquelle la “crise financière” le cède à la “crise sociale”, la saga des banksters au calvaire des “pauvres du Système” (plutôt que des chômeurs, dont les chiffres officiels, notamment aux USA, sont taillables et corvéables à merci), et cette évolution conduisant non à une crise sociale mais à une crise politique, cette idée ne peut que nous satisfaire. Qui plus est, Friedman dit dans le même paragraphe, fort justement là aussi, que cette crise se présente sous différentes formes ; cela implique là aussi, et dans ce constat se trouve la justesse de la remarque, que la crise dépend moins des statistiques officielles que de la perception qu’on en a, dont Friedman juge qu’elle présente une similitude dans les trois “piliers” cités («The level of intensity differs, the political response differs and the relationship to the financial crisis differs. But there is a common element…»).
Cela admis comme observation essentielle, Friedman entame son propos sur l’Europe en précisant bien qu’il s’agit du “point focal” et nullement de la crise per se réduite à l’Europe ; et il place son propos dans le cadre spécifique de l’affaire italienne, rendant ainsi justice à l’importance de cet événement, et selon une terminologie indiquant bien que l’importance de la crise sociale n’est admise qu’en ceci qu’elle s’est transmutée effectivement en une crise politique… («Europe is the focal point of this crisis. Last week Italy held elections, and the party that won the most votes […] was a brand-new group called the Five Star Movement that is led by a professional comedian.»)
Puisque c’est George Friedman qui parle, et que l’on sait ses accointances et ses proximités avec divers services de sécurité nationale jusqu’à en être lui-même un sous-traitant actif (voir notamment, sur Stratfor, le 29 février 2012), cela signifie que l’on trouve désormais dans l’entité de sécurité nationale aux USA un tel courant de pensée. En effet, Stratfor ayant autant des activités de communication que des activités de renseignement et d’agitation subversive, une partie importante de sa mission est effectivement la diffusion de l’analyse-Système en cours de la susdite “entité de sécurité nationale aux USA”. Cela signifie que lorsque Friedman fait l’analyse qu’il fait, – et surtout avec cette introduction telle que nous l’avons détaillée, – il signale que la préoccupation de sécurité nationale des USA vis-à-vis de l’Europe, aujourd’hui, avec le basculement de la crise italienne, est passée, aussi brusquement, du domaine financier et économique, au domaine social-devenant-immédiatement-politique. Cette brusque “extension du domaine de la crise” qui, dans la perception US, n’avait pas existé lors de l’épisode électoral grec, rend compte de l’importance traditionnelle, sinon presque du type réflexe, qu’accordent les services de sécurité US à l’Italie ; il s’agit, au moins autant que de la situation objective actuelle, de la mémoire et des habitudes bureaucratiques des derniers deux tiers de siècle, avec l’interventionnisme US systématique, par tous les moyens et surtout les plus illégaux, comme nous le rappelions dans le F&C déjà cité. Nous y disions que l’Italie et son histoire depuis la fin de la guerre froide sont une tragédie, et c’est sous cette influence que se fait le jugement US de la situation italienne, ce jugement se gauchissant (!) systématiquement dans le sens du tragique.
(Le processus est une curiosité psychologique très caractéristique de cette entité-Système qu’est la “communauté de sécurité nationale US”. Il se réalise sans la moindre conscience de ses causes psychologiques, à côté des causes “techniques” où les agissements infâmes de l’entité ont un rôle essentiel. En effet, la psychologie de l’américanisme, parfait reflet de la psychologie-Système, n’a aucun sens du tragique dans la hauteur et selon la référence antique de la signification du terme, et ne peut donc reconnaître ce qu’il contribue à créer dans ce sens. Mais il y contribue sans cesse et de toutes les façons, selon l’habituel et vertueux effet d’inversion caractéristique du Système en cours d’autodestruction… Il va de soi qu’en parlant de tragique dans le cas de l’Italie, et selon “la hauteur de la signification” du terme, nous reconnaissons en effet des aspects effectivement d’une grande hauteur qui existent toujours dans ce pays de haute culture, malgré l’extraordinaire bassesse où sont tombés ses mœurs politiques, d’ailleurs sous l’influence de la corruption et de la violence de l’entité-Système en question.)
D’une certaine façon, et compte tenu du fait de la sclérose complète de la pensée et du jugement de l’entité-Système de la sécurité nationale US, la situation italienne telle qu’elle est perçue depuis le 25 février, selon ce que Friedman nous en dit explicitement mais un peu d’une façon involontaire pour l’interprétation, ressemble dans ce jugement à celle de 1948-1949, lorsque Washington, craignant que la démocratie chrétienne (DC) soit battue par les communistes, entreprit une opération massive de soutien, à la fois financière et de propagande, de la CIA dans ce pays. Mais cette option (l’interventionnisme d'influence) est déjà développée jusqu’à plus soif et bien usée, étant devenue une sorte de situation systémique de l’Italie depuis plus d’un demi-siècle (d’ailleurs avec d’autres sources, US et non-US, au côté de celle de la CIA), et n’ayant pas empêché l’émergence du M5S et le reste.
L’autre option est celle de la “stratégie de la tension”, bien entendu (Gladio et Cie). Mais la situation est tout à fait différente. D’abord, le communisme était un fait identifié, qui entrait dans une réalité plus ou moins obsessionnelle mais rencontrait en partie la vérité de la situation ; rien de semblable chez un “ennemi” qui peut être le M5S mais qui peut s’étendre d’une autre façon, qui est complètement insaisissable puisque c’est un sentiment populaire général et non partisan, dont les contours et la pénétration évoluent sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, jusqu’à l’insaisissabilité. Ensuite, les événements, parce qu’ils vont très vite justement, ne laissent guère de temps à l’organisation, y compris d’une campagne de terrorisme de provocation. Enfin, les organes d’ingérence illégale US ont peut-être gagné en puissance, mais certainement pas en subtilité ; ils manipulent des éléments incontrôlables qui leur échappent vite, ils font partie d’un ensemble (Washington) lui-même en grave crise d’incontrôlabilité, et donc d’une efficacité douteuse.
Cottrell, abondamment cité dans notre F&C en référence, nous disait que «[v]iewed from Brussels, Washington and Frankfurt, Grillo is nothing less than the Castro of the Med». Nous tendrions à penser, comme les circonstances nous y invitent d’ailleurs, et pour rafraîchir le propos au goût du jour, qu’à Washington notamment, on verrait Grillo plutôt comme “rien moins qu’un Hugo Chavez de l’Europe du Sud” dont l’influence, en cas de succès confirmé, pourrait s’étendre à de nombreux pays du continent européen (comme Chavez avec l’Amérique Latine). Cette vision s’accorde parfaitement avec celle, développée par Friedmann, que les entités antiSystème, et les peuples avec eux, aujourd’hui en Europe, se fichent de la “dette souveraine”, qu’ils sont prêts à balancer par-dessus bord («[O]ne of its central pillars is the call for defaulting on a part of Italy's debt as the lesser of evils») ; ils ne s’intéressent qu’à la situation de crise sociale qui ne peut être appréhendée que du point de vue politique actif… Cela implique que le Système, enfermé dans ses obsessions alarmistes dont les USA sont le plus parfait exemple, est sur la voie de considérer que tout le continent européen est “menacé” d’un basculement dans une situation qui menacerait d’être celle d'un antagonisme mortel avec les USA, – de même que dans les années de guerre froide (autant dans les années 1945-1950 que dans les années 1970). Le problème, comme on l’a vu, est que, dans ces années-là, l’adversaire et la cause de tout étaient bien identifiés (le communisme), alors que le “fascisme” cité par Friedman, ressorti du magasin des accessoires usagés, représente une rhétorique extrêmement faiblarde. Surtout, il y a le fait non mentionné plus haut de l’existence d’un troisième larron alors qu’en 1947-1948 ou dans les années 1970 il n’y avait que deux blocs : l’Union européenne, cible principale de la résistance antiSystème, qui n’est pas nécessairement dans une telle situation d’urgence interne un allié des obsessions washingtoniennes, tant s’en faut, qui a pour elle la puissance et contre elle l’absence totale de légitimité et donc sa vulnérabilité aux pressions des nations qui la composent. La situation nous paraît bien compliquée pour les esprits automatisés de l’entité-Système de Washington. Une réelle chance (le mot est à sa place) existe, comme nous concluions dans notre F&C, que le résultat soit “la discorde chez l’ennemi” et la victime la cohésion du bloc BAO, – l’issue catastrophique par excellence pour le Système.
Mis en ligne le 11 mars 2013 à 05H08