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340124 août 2014 – Dans ce cas, nous nous attachons d’abord, avec quelques compléments qui suivront, à deux interventions non pour ce qu’elles nous disent des hypothèses politiques qu’elles discutent, non pour ce qu’elles nous disent des personnalités politiques dont elles discutent mais pour ce qu’elles nous disent d’une tendance radicalement nouvelle. Nous parlons d’une “tendance” et nous la qualifions de “nécessairement irrésistible” parce qu’elle n’implique ni un dessein construit par la raison, ni un projet relevant de la tactique politicienne, ni rien de cette sorte, mais qu’elle répond à une poussée irrésistible que génère le formidable danger cosmique, la terrible menace de l’anéantissement que constitue le Système. La réaction contre cette dynamique qui porte l’inéluctabilité de la destruction est bien d’abord une tendance qui naît naturellement, spontanément ... Nous pourrions nommer cette tendance “globalisation de l’antiSystème“, mais nous pourrions aussi la désigner par des expressions encore plus significatives, parce que paradoxales sinon oxymoriques, telles que “internationalisme des souverainismes”, “supranationalisme des nationalismes”, etc.
Il importe de ne surtout pas s’attacher à ces mots pour la signification qu’on leur donne d’habitude, et souvent la passion qu’on y met ; il s’agit de points de repère, de signes en forme de symboles offerts pour bien faire comprendre l’originalité du phénomène. La tendance qu’expriment les deux interventions citées ici, également comme symboliques, comporte nombre d’aspects paradoxaux, de contradictions, de pressions semblant impliquer une confrontation inéluctable mais elle exprime d’abord et par-dessus tout, écartant le reste comme accessoire, le constat de positions communes précises d’une grande importance et en même temps d’une grande simplicité, ayant comme communauté d’attitude et de position 1) qu’elles caractérisent des puissances et des pays du bloc BAO qui est le cadre essentiel du Système et de sa politique-Système, et 2) qu’elles sont contre le Système (donc, justifiant le qualificatif d’antiSystème).
• Les deux interventions sont les suivantes : une interview de l’économiste Jacques Sapir par Le Point sur le thème (emprunté à une des questions) «Peut-on envisager l’émergence d’un grand mouvement européen avec Varoufakis à sa tête ?» (Voir le site de Sapir RussEurop.hyphothèses.org le 20 août 2015.) D’autre part, un article du philosophe et l’un des grands esprits de la tendance paléo-conservatrice US (la droite conservatrice anti-interventionniste) Paul Gottfried sur une comparaison politique, doctrinale et électorale entre Donald Trump au sein du parti républicain US et le Front National avec à sa tête Marine Le Pen. (Voir l’article de Gottfried sur UNZ.com, le 20 août 2015, «The French National Front and Donald Trump».)
Sapir écrit ceci qui résume bien son propos, que Varoufakis «vient de l’intérieur du “système”, mais en même temps il en fait la critique et il se déclare prêt à rompre avec lui plutôt que d’accepter ce qu’il faut bien appeler une capitulation, ce à quoi Tsipras a finalement dû consentir. Ce point est très important. D’ailleurs, le fait qu’il [Varoufakis] ait hébergé sur son blog l’appel de Stefano Fassina à un front des mouvements de libération anti-Euro est très symbolique. Car Fassina, lui aussi, vient de l’intérieur du “système”. [...] Varoufakis et Fassina sont donc représentatifs de cette fracture qui s’est produite au sein du “système”... [...] Leur trajectoire vers des positions anti-Euro pèse d’autant plus qu’ils ont été antérieurement des partisans de l’Euro. On pourrait en dire de même d’ailleurs avec Oskar Lafontaine, qui en tant que dirigeant du SPD fut l’un des pères fondateurs de l’Euro, et qui a, en 2013, viré sa cuti d’opposant résolu à la monnaie unique... [...]
»Enfin, Varoufakis, tout comme le héro romantique du XIXème siècle est abandonné – voire trahi – par son chef (Tsipras), et contraint à la démission. Il choisit d’ailleurs cette démission plutôt que de s’incliner, ce qui en fait immédiatement un symbole de l’immense mouvement qui porta le “non” au référendum du 5 juillet. Il est clair que pour nous, en France, ce comportement a touché une corde sensible. Varoufakis, en un sens, c’est le Général de Gaulle nommé au gouvernement en juin 1940 sur la foi de son œuvre écrite et des batailles qu’il avait menées, et qui, devant la capitulation de ce gouvernement, cherche à porter le flambeau de l’espoir. Il y a une dimension incontestablement romantique dans le personnage que s’est construit, volontairement ou non, Varoufakis.»
Si l’on a le courage intellectuel de laisser de côté les habituelles chicaneries qu’inspire la connaissance qu’on croit avoir des intrigues et des manœuvres cachées des uns et des autres, c’est-à-dire si l’on a la force d’inconnaissance d’écarter ce que le Système instille de subversion dans notre raison par le détail des positions et surtout des supputations, on comprend que l’essentiel du discours de Sapir est la référence de la souveraineté nationale comme principe à opposer au Système, la référence au “souverainisme” comme affirmation qui se dresse contre le processus d’anéantissement dont l’Orque (l’euro/l’UE, etc.) s’est fait le porteur. Sous la plume d’un commentateur français, la référence à de Gaulle est beaucoup moins pour nous un indice de la valeur d’un Varoufakis que l’affirmation de la nécessité d’une position souveraine des peuples qui ne peut être par définition qu’antiSystème.
• Gottfried écrit notamment ceci : «A certain similarity exists between the French National Front, which garnered slightly over 25 % in the recent EU elections, and the soaring poll numbers of Donald Trump as a presidential candidate. Both the supporters of Marine Le Pen, who is president of the Front, and the largely working-class fans of billionaire presidential candidate Donald Trump are routinely denounced in the establishment press as the morally indecent “far right.” From all appearances, however, media attacks on these burgeoning movements have had no impact on their continuing growth.
»Although the Republican establishment and the Murdoch press came down gang-busters on Trump after the August 6 debate for Republican presidential candidates, Trump’s poll numbers are continuing to rise. Unlike the Murdoch media, however, the Washington Post (August 5) has dealt objectively with why Trump enjoys almost three times the poll numbers of his nearest rival, Jeb Bush. His attacks on indiscriminate immigration for hurting American workers, whose wages have been stagnating for decades, resonates well with millions of struggling Americans. The Post-reporter, Jim Tankersley, quoting longtime Democratic journalist Mickey Kaus, points out that while Trump “is not the only Republican candidate who’s talking tough on immigration,” “he’s the one framing the argument that ‘we’re being taken advantage of.’ And that appears to be connecting.”
»Neither the Postnor Kaus, who has written about the anemic wages of American workers, has a dog in this fight. As far as I know, neither is being paid by the super-donors of the GOP, like the Koch brothers or Sheldon Adelson. They argue forthrightly that although “immigration may grow GDP,” it is doing nothing to help American workers. Needless to say, this is not a problem most of our Republican presidential candidates would care to engage. When in the debate on August 5 Jeb Bush stressed that amnestying illegals and presumably increasing immigration from Latin America would spur enormous economic growth in the US, none of the far from dispassionate question-askers bothered to grill him on his statements. Nor did Mexico-booster Jeb represent the Trump-supporters interviewed by the Post in Virginia, who were full of rage about losing their jobs to cheaper Hispanic laborers: “For white workers, these people are taking their jobs. Literally taking their jobs, as I see it. Almost all the white guys are gone. There’s almost no black guys.”»
On comprend parfaitement la comparaison faite entre Trump et le Front National, dans le champ de la question de l’émigration dans les deux pays, qui s’inscrit de plus en plus dans le cadre de la Grande Crise de la Migration (GCM) qui affecte l’ensemble du bloc BAO de différentes façons, directes ou indirectes, et selon des biais inattendus de la communication. (Ainsi, la campagne de Trump a-t-elle fait du problème de l’immigration sur le frontière Sud des USA, endémique depuis de nombreuses années, une crise extrêmement puissante et soudain très aiguë et actuelle aux USA, et cette crise entrant alors effectivement dans l’enveloppe globale de le GCM qui prend ainsi et dans l'instant une réelle dimension globale, – par le fait que la poussée migratoire du Sud vers les USA est elle aussi la conséquence directe de la globalisation, et des pressions générales des USA sur les pays de l’Amérique Latine pour l’intégration dans des ensembles de libre-échange, pour l’alignement des politiques sur les normes du Système, etc.) Nous avons souligné la remarque que rapporte le Washington Post telle qu’elle est signalée par Gottfried (“Pour les travailleurs blancs, ces gens [les immigrants hispaniques] sont en train de leur prendre leurs emplois. Littéralement 'leur prendre leurs emplois', comme je vois la chose. A peu près tous les travailleurs blancs sont partis. Il n’y a pratiquement plus de Noirs non plus.”) Ainsi peut-on voir que la question est bien celle de l’immigration et non pas du racisme, puisque les travailleurs perdant leurs emplois à cause des immigrants hispaniques sont, dans la description qui est faite, aussi bien des Noirs que des Blancs ; elle n’est pas nécessairement anti-hispanique puisque les immigrants hispaniques ne le sont que dans la mesure où ils sont poussés à cette immigration par la politique-Système qui opérationnalise le Système. La question générale posée en arrière-plan est donc bien elle aussi celle de la souveraineté (affirmation de la souveraineté, restauration de la souveraineté, etc.), et par ce biais l’on rejoint le fondement du discours de Sapir : il s’agit bien d’un débat sur les principes, et les voies pour l’exprimer et les problèmes qui l’expriment ont à nos yeux une importance complètement secondaire.
Il s’agit de réflexions exceptionnelles. Par exemple, pour qu’on citoyen américain (en plus, du calibre d’un Gottfried) consacre un article à une référence française “du jour” pour définir ce qui lui paraît essentiel dans le débat de la politique “du jour” aux USA, – alors que les choses “du jour” dans l’un et l’autre cas se réfèrent à une crise commune d’une puissance sans précédent, – il faut effectivement des circonstances exceptionnelles pour l’un et pour l’autre. (Les Américains sont si complètement “isolationnistes” dans leur pensée, que la démarche que nous décrivons ici est effectivement exceptionnelle.) On comprend bien ici que les circonstances, surtout dans leurs interconnexions, sont sans équivalent dans les rapports (ou l’absence de rapports) habituels entre les développements politiciens des différents pays BAO. Nous sommes bien dans le cas d'une “internationalisation” des questions nationales d'habitude restreintes aux seules références nationales.
Au moment où nous développons cette réflexion sur ces deux articles s’ajoute le cas du politicien britannique Jeremy Corbyn et l’attitude de l’establishment britannique vis-à-vis de lui, dont nous avons parlé le 21 août 2015. Comme on l’a vu, il s’agit là encore d’un événement antiSystème qui sort complètement des normes, qui surgit et se développe sans crier gare, qui s’impose brusquement comme un événement antiSystème complètement inattendu au Royaume-Unis, toujours avec la même logique invertie (plus l’establishment lutte contre lui, plus il s’affirme). Nous observions ceci, en précisant que cela pouvait tout à fait correspondre à ce qui est quotidiennement noté à propos de The Donald : «L’ironie est que plus [l’establishment] complote pour abattre Corbyn, plus les citoyens ordinaires sont nombreux à rejoindre sa campagne” (“The irony is that the more Blair’s New Labour plot with the rest of the British establishment to bring Corbyn down the more ordinary citizens are rallying to his campaign”).» Ce même constat revient en boucle, comme lorsque Alexander Mercouris écrit de son côté, le 20 août 2015 : « The more he is attacked the more popular Corbyn becomes. [...] What explains this phenomenon? Corbyn's rise is remarkable principally because of the British establishment's reaction to it.»
Il est inutile de chercher des arguments rationnels pour soutenir et comprendre l’ascension de ce que nous désignons comme “un antiSystème”, quel qu’il soit, quoiqu’il en veuille et quelles que soient les circonstances, car tout réside dans l’effet qu’il provoque dans le Système. Un cas encore très récent est celui du général Flynn, que nous n’hésitons pas à qualifier d’antiSystème pour ce qu’il a exposé des manigances du Système ; on admettra qu’il est logique de penser que cet homme, cet officier général, a agi sans avoir aucune conscience de l’importance de ce qu’il a fait d’un point de vue antiSystème, – car ses affirmations restent désormais acquises et elles feront leur chemin malgré le silence qui les a saluées, – et Dieu sait si la pensée d’être un antiSystème devait être loin de lui... Ce jugement vaut pour ce qu’il a dit très récemment (voir le 12 août 2015), comme pour ce qu’il a dit il y a un an (voir le12 août 2015).
Il nous paraît tout à fait vain de tenter de rassembler ces différents évènements pour tenter de faire naître entre eux une cohérence politique, encore moins une cohésion politique. Il est par exemple évident que l’immigration pose aujourd’hui, à l’heure de la crise GCM, un problème qui n’est rien de moins que celui de l’existence d’un fondement principiel de toute société organisée, de tout État-nation appuyé sur le principe de la souveraineté ; tenter de faire admettre cela dans le sens d’en tirer des conséquences opérationnelles à un rassemblement de gauche, ou d’une certaine gauche (type Mélenchon & Cie) dont la vigueur antiSystème est par ailleurs avérée et évidente mais qui a montré sa constante fureur contre tout ce qui ressemble à une dénonciation de l’immigration, c’est à la fois au-dessus de nos forces et, nous semble-t-il, peine perdue et complètement inutile. C’est à de tels rassemblements de comprendre eux-mêmes les différentes facettes de ces problèmes et de distinguer celles qui importent désormais le plus, et il est intéressant sinon nécessaire qu’ils le comprennent eux-mêmes puisqu’ils sont par ailleurs antiSystème d’une façon avérée.
De même il est à la fois au-dessus de nos forces et complètement inutile de tenter de faire comprendre aux mouvements anti-immigration, dans les mêmes conditions, que cette migration dans le cadre de la GCM n’est fautive en rien de sa propre existence, puisqu’elle est directement causée par la politique créatrice de chaos suivie par le bloc BAO en tant qu’opérateur absolument servile et aveugle du Système, et que par conséquent toute réaction d’hostilité raciste, ethnique, etc., est absolument injustifiée. (Cette remarque vaut aussi bien pour les USA, dont la politique-Système sur le reste du continent est totalement la cause de l’immigration vers les USA.) Là aussi, pour le cas de ces mouvements anti-immigration, c’est à eux de comprendre par eux-mêmes cette situation, et il faut qu’ils le fassent puisque, eux aussi, ils “sont par ailleurs antiSystème d’une façon avérée”. On comprend alors que le but général n’est pas de faire changer d’avis les pro-immigration et/ou les anti-immigration, mais de faire en sorte que les deux orientations comprennent qu’au-delà de ces engagements qui les opposent furieusement existe une convergence qui devient majeure, impérative, et qui les met dans une posture antiSystème qui est la chose absolument essentielle aujourd’hui.
On comprend évidemment que cette question de l’émigration, ou de la migration, n’est traitée ici qu’à titre démonstratif puisque l’essentiel, justement, est de dégager la posture antiSystème. Ce cas de l’immigration avec les tensions et les affrontements qu’il suscite se retrouve dans un nombre considérable d’autres problèmes, d’autres polémiques, c’est-à-dire d’autres crises pour faire bref, où les affrontements sont notables, et souvent violents, grossiers, méchants, passionnels, etc. Certes, si nous nous en tenons à cet aspect, disons de la politique du tout-venant, la politique de la basse-cour leçons de morale comprises, – la politique de la basse-cour et de sa morale, si vous voulez, – tout ce que nous avons développé ci-dessus n’a aucun intérêt parce qu’il n’y a aucun espoir de réaliser un rassemblement entre ces différents intervenants cités plus haut. Tout les sépare. Mais ils ne sont pas cités dans ce sens, justement, mais dans un sens complètement différent dont on dira qu’il est opposé mais surtout qu’il est qualitativement beaucoup plus haut dans l’esprit de la chose, marqué essentiellement par la référence principielle implicite qui affleure dans toutes ces déclarations. Cette différence de hauteur n’est pas une mesure seulement quantitative, mais essentiellement qualitative : c’est une rupture du sens. De ce point de vue, ils parlent tous en antiSystème et, en ce sens rapidement situé qui est aujourd’hui le seul qui devrait compter, qui est celui de l’opposition au Système, l’essentiel les rassemble.
La question centrale qui concerne tous ces intervenants dont on constate le penchant antiSystème de plus en plus marqué est celle-ci : quand parviendront-ils et se décideront-ils à en venir à l’essentiel, en désignant d’une façon claire et décisive ce qui détermine leur action, si possible (ce serait mieux) après l’avoir compris fondamentalement eux-mêmes, pour eux-mêmes ? Quand se décideront-ils à quitter la seule sphère de leurs pratiques politiques courantes pour considérer l’état du monde dans sa globalité, constater que cet état du monde est ce qui les pousse par dynamique de cause à effet à embrasser la cause qu’ils chérissent, et, par conséquent, quand donc accepteront-ils héroïquement de se charger du poids fondamental de la seule vérité de situation qui compte aujourd’hui ? Dans cette hypothèse, s’ils décident de dire haut et fort que c’est le sort du monde qui est en jeu, que le Système est conçu pour détruire le monde, il s’imposera à eux-mêmes qu’ils occupent une position qui en font des antiSystème et ils devront nécessairement accepter la responsabilité qui va avec d’œuvrer pour un rassemblement général de tous ceux qui travaillent nécessairement dans le même sens, même si la cause spécifique de l’un ou de l’autre leur est étrangère sinon inacceptable, sinon insupportable. (Quand on est antiSystème, et parce qu'on l'est, la vertu centrale est justement de supporter ce qui vous est en temps normal insupportable ... Justement parce que le temps n'est pas normal du tout, et que l'insupportable devient un mouvement d'humeur qu'il faut supporter sinon dominer, face à l'essentiel qui vous appelle.)
A notre sens, et parce que nous en sommes à ce point d’urgence et de rapidité des évènements et des réactions devant les évènements, il n’en faudrait pas beaucoup pour susciter de terribles réactions de panique du Système... “Pas beaucoup”, c’est quoi ? Prenez une simple image qui se veut symbolique : imaginez une rencontre Marine Le Pen-Mélenchon pour sceller un accord antiSystème à l’occasion de telle ou telle occurrence, c’est-à-dire, de façon décisive, plus simplement et plus facilement pour l’occasion qui se veut simplement symbolique, de signer un texte commun qui dirait quelque chose comme ceci : “Nous ne sommes pas d’accord sur ceci et sur cela, ce qui n’est pas rien, mais nous sommes d’accord sur ce qui nous rassemble impérativement et qui est l’essentiel : nous sommes antiSystème, contre le Système, parce que le Système doit être détruit” (“Delenda est Systema”). Il ne serait pas nécessaire d’en dire plus, et même au contraire, – le symbole serait bien plus puissant s’il n’y avait aucun aspect opérationnel adjoint à cette déclaration. Du point de vue de la communication, le fait même de ne rien envisager d’opérationnel dans cet accord rendrait son écho paradoxalement beaucoup plus fort. On traiterait certes les signataires de nihilistes mais en faisant cette accusation, les serviteurs-Système seraient contraints de démontrer par contraste la nécessité du Système et ils ne parviendraient finalement qu’à montrer et à démontrer par pure logique antagoniste le nihilisme du Système, – ce qui déclencherait brusquement leur propre panique ... Le reste irait de soi, dans le genre boule de neige de la communication, tant le symbole ainsi exposé et l’exploitation qu’en ferait le système de la communication seraient puissants ; l’affaire deviendrait un de ces scandales de première grandeur qui secouerait le Système tout entier, conduisant à des prolongements absolument imprévisibles, — à cause de leur panique.
Il importe que se fassent quelques-unes de ces “rencontres/rassemblements contre nature” (entendez bien : nous disons “rencontres” et non pas “alliances”, l’essentiel étant que le geste mette radicalement et sans retour en cause les normes “de nature” [de soi-disant “nature”] qu’impose le Système pour entretenir la division des antiSystème). La multiplication de ces “rencontres/rassemblements contre nature” et d’une façon générale et plus large des affirmations antiSystème, venant désormais essentiellement de l’intérieur du Système ou de la marge du Système (les fameux “un pied dedans-un pied dehors”, qui caractérisent les antiSystème évoluant à l’intérieur du Système), constituerait un facteur de communication colossal pour alimenter la panique qu’on sent partout grandir au sein du Système, pour qu’elle se répande, se renforce, se précipite, pour qu’elle se rapproche du point où elle devient indescriptible, intenable et incontrôlable, et pousse à des erreurs colossales du Système, et à un basculement dudit Système dans un mode d’autodestruction accéléré. (Voyez les réactions hystériques de l’establishment britannique qui rameute ses vieilles croûtes type-Blair devant la perspective complètement imprévisible et sortie de rien sinon de la débâcle de la direction-Système du Labour de l’ascension d’un Corbyn,)
La position antiSystème a évolué à la mesure de la rapidité de l’évolution des évènements. De choix politique, elle est devenue, pour ceux qui partagent la conscience de la dangerosité finale et du but sans retour de l’anéantissement qu’est le Système, une nécessité de survie. Les antiSystème surgissent de partout, sous des habits et des personnalités diverses et souvent incertaines, dans des défroques qui ne sont pas nécessairement sympathiques ni enthousiasmantes, sans que personne chez les antiSystème de choix politiques et métahistoriques n’aient été les chercher. Qui a été chercher ce Trump, personnage de milliardaire insupportable, ou le vieux Corbyn, militant de 66 ans de la génération d’avant-Blair qui resurgit soudain avec la fraîcheur d’un jeune homme se découvrant antiSystème ?
Aujourd’hui, la position-situation de l’antiSystème n’est plus une démarche rationnelle, mesurée, contrôlée, ce n’est pas une démarche de stratégie politique même si elle s’appuie sur une appréciation rationnelle. C’est une démarche symbolique qui parle à la communication. D’une réaction éparse de quelques-uns, elle tend à se transformer en une réaction de plus en plus courante et répandue contre quelque chose qui est perçue comme la cause de plus en plus évidente de l’anéantissement de tous et de l’anéantissement du monde. De la sorte, si l’antiSystème “tend à se transformer en une réaction de plus en plus courante et répandue”, ce n’est pas parce que la cause est particulièrement unitaire et parfaitement expliquée pour ce qui concerne les petites affaires entre antiSystème, mais parce que le constat symbolique de “l’anéantissement de tous” qui constitue l’ambition du Système, et qui suscite une “réaction de survie”, est de plus en plus éclatant. C’est la raison elle-même qui dit que ce qui importe n’est justement plus la raison politique mais la nécessité de la survie ; et cette affirmation, par sa puissance, par ce qu’elle a d’intuitif également, parce qu’elle a comme soutien aussi bien la foi que la liberté de l’esprit, doit devenir un cri qui domine tout le reste et peut donc disposer de ses effets les plus puissants, – jusqu’à terroriser littéralement les serviteurs-Système.
Entreprendre une telle action symbolique et lui donner toute sa puissance implique de cesser impérativement de discourir, comme font nombre d’antiSystème, dans le sens du constat ou du soi-disant constat (le “soi-disant” est un point important dans notre conception) de l’inéluctabilité de la puissance inexpugnable du Système, de son invincibilité, de sa puissance triomphante, en même temps que de son caractère maléfique d’ailleurs mais perçu comme un attribut de sa puissance plus qu’une cause impérative et absolument eschatologique de la nécessité de la détruire. Dans les temps que nous connaissons, il s’agit de paroles insensées parce qu’elles portent en elles-mêmes la suggestion de l’inutilité de la bataille à mener. Il est tout simplement impensable de continuer à accepter cette sorte de verdict réduit à la seule surpuissance imbattable et triomphante du Système ; et cela, quitte à affirmer sans l'ombre d'une hésitation, avec une fermeté de caractère inébranlable, comme une vérité de situation nouvelle que crée cette simple affirmation, que le Système ne peut être que détruit, y compris par sa propre folie (et essentiellement par sa propre folie comme c’est notre thèse), – ce qui réduit sa surpuissance à rien, – et qu’il faut tout faire pour l’y aider. La puissance même que l’on mettra dans cette pensée constituera une force de caractère et un acte d’affirmation psychologique tels qu’elle finira par faire d’elle-même cette vérité de situation dont nous parlons, par la créer littéralement. Les antiSystème sont là pour ça, pour s’affirmer, pour créer littéralement une vérité de situation qui doit tout balayer ; c’est-à-dire qu’ils sont là pour tenir sans plus s’interroger sur la fortune de leur combat, parce que l’acte même est la cause même de leur combat, et non pas la spéculation sur telle ou telle possibilité de l’emporter. Un tel combat ne peut se mener qu’avec à l’esprit une seule possibilité : on ne peut que l’emporter puisque le Système ne peut être que détruit. On ne demande pas aux guerriers antiSystème d’“espérer pour entreprendre”, mais d’entreprendre et rien que cela, – et éventuellement faire naître l’espoir, chez eux comme chez les autres, fort bien cela, mais conséquence de l’essentiel. Nous n’avons pas besoin d’évaluation, de stratégie, d’appréciation de l’équilibre des forces ; en présence d’une telle menace de l’anéantissement final, tout cette sorte de spéculation ressemblerait à un rassemblement d’athées évidemment laïcs du type-“esprit-du-11-janvier” discutant religieusement du sexe des anges ...
Il est inutile d’espérer savoir ce que l’avenir nous réserve, doit penser un antiSystème ; qu’il lui suffise de l’être, antiSystème, pour apporter sa contribution à la possibilité qu’il y ait un avenir, et alors il aura vaincu le Système puisque le Système ne peut être que détruit alors que sa seule raison d’être est qu’il n’y ait plus d’avenir. La tâche de l’antiSystème est donc d’être derrière l’irrémédiable, qui est la destruction du Système, et sa présence est bien ce qui fait que l’irrémédiable le sera vraiment et absolument ; il est né du Système pour le défier, l'affronter et exacerber sa surpuissance, il est là jusqu'au bout pour participer à la destruction du Système et en découvrir les effets ; l’antiSystème est à la fois conséquence et cause du Système, à la fois cause et conséquence de la destruction du Système.
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