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1027Le poids d’Israël et des juifs américains dans les élections US est bien connu ; il vaut aussi bien par son aspect idéologique que par son aspect de soutien financier massif à divers candidats ; les deux points sont liés mais ne sont pas nécessairement coordonnés… Pour cette raison, l’article de Max Blumenthal, dans Al.Akhbar.com, le 12 janvier 2012, est d’un particulier intérêt. L’Américain Max Blumenthal, juif lui-même, est un opposant résolu de type “dissident” de gauche, à la politique expansionniste et belliciste dont Israël fait la promotion aux USA. Son article (signalé par War in Context de Paul Woodward
Blumenthal signale que Netanyahou lance une offensive très puissante contre Obama, dans le but de lui faire perdre sa réélection et de faire gagner le candidat républicain. Cette initiative est très loin de faire l’unanimité, et des dirigeants politiques israéliens en général, et de la communauté juive US, dans sa tendance libérale d’un poids très important. Pour cette dernière, Netanyahou n’a jamais caché son mépris, voire sa haine, jusques et y compris contre certains juifs US pourtant considérés comme impeccablement pro-Israël («In his writings and in the company of his inner circle, Netanyahu has expressed almost as much disdain for liberal Jewish supporters of Israel… [...] Netanyahu was said to privately fume about Obama’s Jewish senior advisor, David Axelrod, and his then-Chief of Staff, Rahm Emanuel, an ardent liberal Zionist whose father was born and raised in Israel. Netanyahu reportedly called them “self-hating Jews.”»). L’une des cibles préférées des réseaux de Netanyahou, aujourd’hui, est le New York Times avec, particulièrement, ses chroniqueurs (juifs) Thomas Friedman et Roger Cohen.
Le très long article de Blumenthal, qui reprend tout l’historique des réseaux divers mis en place pour Netanyahou, qui ne sont pas nécessairement ceux d’Israël en tant que tel, est d’un très grand intérêt pour faire comprendre la complexité de l’influence israélienne en général sur la politique US. Elle est loin, très loin, de constituer un “bloc”, avec la position particulièrement extrémiste et sans aucun compromis possible de Netanyahou avec les autres tendances juives et sionistes. Le début de l’article présente l’action que vient de lancer Netanyahou contre Obama…
«The US presidential election campaign that kicked off January 3 with the Iowa caucuses was the subject of a curious article attacking President Barack Obama in the mass circulation Israeli daily newspaper, Israel Hayom. President Barack Obama is ‘naïve’ and needs to face up to the threat presented by the rise of the Muslim Brotherhood across the Middle East, Israel’s National Security Council concluded during a strategic discussion several days ago,” Israel Hayom reported.
»he Israeli National Security Council consists of Benjamin “Bibi” Netanyahu’s closest advisers. And Israel Hayom is not just another right-leaning Israeli tabloid. Referred to by Israelis as the “Bibiton,” or Bibi’s mouthpiece, the paper is an instrument that gives him extraordinary political leverage. The obviously planted article in Israel Hayom rang like a bell sounding the start of Netanyahu’s own campaign in helping the Republican Party oust Obama from the White House.
»Israel Hayom’s genesis demonstrates the depth of Netanyahu’s connections in Republican circles. It was created by one of Netanyahu’s top financial supporters, a Las Vegas-based casino tycoon named Sheldon Adelson, who is also a major donor to the conservative wing of the Republican Party. Adelson’s closest relationship is with former Speaker of the House Newt Gingrich, a longtime ally of Netanyahu who has been running a rancorous campaign for the Republican presidential nomination.
»Netanyahu’s less than subtle intervention has become an open issue in Israeli politics. Opposition leader Tzipi Livni of the Kadima Party has criticized Netanyahu for damaging the US-Israeli relationship. “Netanyahu spoke about consensus,” Livni said in May, “and if there is a consensus in Israel, it's that the relationship with the US is essential to Israel, and a prime minister that harms the relationship with the US over something unsubstantial is harming Israel's security and deterrence.” But Livni’s warning has been ignored. Rather than hesitating, the prime minister and his inner circle are moving full steam ahead in their political shadow campaign whose ultimate goal is to remove Obama. Bibi’s war against Obama is unprecedented. While Israeli prime ministers have tried to help incumbent presidents, none have ever waged a full-scale campaign to overthrow them.
»Netanyahu has engaged enthusiastic allies in the Republican Congress, led by House Majority Leader Eric Cantor, and within the right-wing media. His neoconservative allies in Washington are launching a “Super PAC” to generate emotional attack ads against Obama and any candidate that might be an obstacle to his policies. And his campaign has even broadened into an attempt to discredit the New York Times, whose editorial page and foreign policy columnists, Thomas Friedman and Roger Cohen, have been critical of him…»
La conclusion de Blumenthal est ambiguë. Elle constate que Netanyahou a atteint son but, mais on peut se demander si ce but est la situation la plus intéressante pour Israël, voire pour lui-même. Il a réussi a accentuer la division extrême entre les républicains de l’establishment d’une part, et Obama d’autre part, notamment sur la question d’Israël, – mais une division plutôt de communication, de concurrence politicienne par des surenchères confinant à l’absurde et, finalement, pouvant aboutir à desservir l’influence d’Israël en tant que facteur politique cohérent.
Netanyahou «initiated and propelled a polarization process that has enabled Republicans to use Israel as a cudgel for attacking their opponents, and did so over the objections of powerful mainstream Jewish-American interests. Haim Malka, a senior fellow for the center-right Washington-based Center for Strategic and International Studies, predicted in a recent paper: “The partisan wedge is likely to deepen, posing considerable challenges to Israel and the US-Israeli partnership.”
»In the past, America’s Israel lobby sold the US-Israel alliance as a marriage of two vibrant democracies united by shared liberal values. In the current environment of heightened polarization, the special relationship is increasingly marketed to Americans as a united front of besieged bastions of Western civilization against an incipient Islamic onslaught. Rapture ready evangelicals, right-wing ultra-nationalists, and Republican Jews are far more likely to be attracted to this sort of alliance than cosmopolitan liberals. And this may be exactly the way Netanyahu wants it…»
Le paradoxe complet est que l’influence d’Israël aux USA n’a jamais été aussi complète, achevée, sans le moindre frein, jusqu’à un niveau grotesque d’impudence et d’infamie. Mais les conditions que décrit Blumenthal montre que cette influence énorme est aussi une influence de désordre, divisée en elle-même, avec des fractions opposées. Par exemple, la politique d’Obama, devenue complètement pro-israélienne, est aujourd’hui l’objet de l’attaque de tous les relais de Netanyahou et des républicains de l’establishment, comme “trahissant” Israël (mais Netanyahou, en réalité) ; la démission de Dennis Ross, l’homme de Netanyahou chez Obama, le 11 novembre 2011 de son poste de conseiller spécial d’Obama (voir le texte de Blumenthal le 14 novembre 2011), constitue un signe de cette situation. La formidable offensive d’influence de Netanyahou est d’abord l’offensive d’un homme absolument guidé par une obsession monomaniaque (contre l’Iran notamment et bien entendu), et qui est, à cet égard, de plus en plus isolé dans la direction israélienne, et dans des conditions d’affrontement violent avec des personnalités (Tzipi Livni) et des groupes particulièrement importants (groupe Dagan et certaines fractions du Mossad).
L’intérêt de ces événements est d’abord son effet sur le monde politique US, particulièrement les républicains en campagne, et d’autre part son effet sur la politique extérieure d’Obama, particulièrement dans la crise iranienne. La pression de Netanyahou s’exerce, par l’intermédiaires des donations massives des organisations type-“Super PAC” que ses réseaux contrôlent, organisations qui distribuent aux candidats (républicains) bien notés l’argent rassemblé dans divers milieux juifs US et vont même jusqu’à intervenir dans certains cas directement dans la campagne sans passer par les candidats, mais favorisant tel ou tel candidat en fonction de son évolution aveuglément extrémiste en faveur de la politique prônée par Netanyahou. (L’on parle bien sûr des candidats républicains de l’establishment, et nullement de Ron Paul, on s’en doute.) Cela organise ainsi une concurrence interne féroce, de type “fratricide”, notamment entre Romney, Gingrich, Santorum et éventuellement Perry (ou ce qu’il reste de Perry). D’où les prises de position de Gingrich (“le peuple palestinien n’existe pas”), suivies par Santorum dans le même sens. Ces deux hommes sont certainement les plus extrémistes dans cette occurrence, et ils ont concentré leurs attaques contre Romney, parce que Romney est le candidat favori de l’establishment mais qu’il est également, par ses aspects centristes proches des tendances libérales, un candidat qui peut paraître “suspect” aux extrémistes. La rage et la haine de Gingrich contre Romney est un des phénomènes intéressants de cette campagne et accentue cette division d’un ensemble de candidats pourtant tous acquis d’une façon générale aux consignes israéliennes.
Cette évolution fait le jeu de Ron Paul, dont les adversaires fondamentaux se trouvent ainsi divisés entre eux. Ron Paul est bien sûr, et sera toujours la cible des réseaux de Netanyahou, mais cela n’est pas un handicap nouveau pour lui et, dans certaines circonstances, cela peut même devenir un avantage ; dans tous les cas, ces attaques contre lui, dans ce sens, sont un facteur de base de sa candidature, et elles n’ajoutent pas un élément neuf, négatif de ce point de vue, à sa situation ; dès le départ, il savait qu’il devrait faire avec, et il a déjà fait avec sans que sa position ait été diminuée, loin de là. Dans certaines circonstances, le facteur de l’influence de Netanyahou peut être positif pour lui : divisant et affaiblissant ses adversaires sans l’affaiblir lui-même. Il n’est d’ailleurs pas sûr que Netanyahou ait pour l’instant tenu compte du “facteur Ron Paul” comme éventuel adversaire majeur des candidats prosionistes de l’establishment républicain, par simple arrogance et vision de la politique US réduite à l’establishment, et il est possible qu’il ne le découvre que lorsque la position de Ron Paul sera suffisamment assurée pour la rendre difficilement réductible.
Un dernier aspect concerne la position d’Obama et, notamment, sa politique dans la crise iranienne. Le maximalisme dans cette crise fait à première vue le jeu de Netanyahou et donne ainsi encore plus de poids à un homme qui, par le fait de cette situation surréaliste qu’on décrit, est devenu le principal adversaire d’Obama pour sa réélection. Obama se trouve alors devant l’interrogation de cette politique maximaliste anti-iranienne, qui peut d’un autre côté, si elle est tout de même conduite soi-disant pour plaire à un électorat juif dont on ne sait plus très bien la position puisque sa fraction libérale est violemment combattue par Netanyahou, se heurter à différents groupes de pouvoir (les militaires, notamment) et à une frange grandissante de l’électorat électrisé par le discours antiguerre de Ron Paul et qui dépasse le cadre républicain. Obama se trouve engagé dans des interrogations extrêmement déstabilisantes et sans aucune assurance réelle. Cela vaut d’autant plus que Netanyahou, emporté par sa haine anti-Obama, ne croit pas que l’actuel président lancera une attaque majeure contre l’Iran et continue à faire fonctionner ses réseaux anti-Obama sur ce point, quelles que soient les positions “short of war” que prend Obama. Ainsi, la volonté d’embargo du pétrole iranien d’Obama n’a absolument pas fait changer la position anti-Obama de Netanyahou et l’a au contraire renforcé dans l’idée qu’Obama ne fera rien de décisif contre l’Iran ; d’où un soutien encore accentué aux candidats establishment républicains dans la confusion qu’on a décrite plus haut.
Là aussi comme ailleurs, le désordre règne…
Mis en ligne le 13 janvier 2012 à 07H02
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