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1010…Encore, soyons juste: nous écrivons CIA dans le titre mais il s’agit en fait de tout l’appareil de renseignement US, qui est secoué par deux événements presque chronologiquement parallèles: l’affaire du vol 253 et l’attaque contre un camp de la CIA en Afghanistan, à la frontière pakistanaise.
• Dans le premier cas, Antiwar.com fait, ce 2 janvier 2009, une rapide synthèse de la situation du renseignement US à la lumière de l’affaire du vol 253. La synthèse, en quelques paragraphes, remonte à 1955, pour retrouver toujours les mêmes faiblesses, les mêmes erreurs, les mêmes tentatives de réforme, les mêmes échecs des réformes. Il aurait pu remonter plus loin.
«In 1955, Congress recommended that the CIA’s director take charge of all intelligence for the US. They didn’t. After several other failed efforts, the creation of the National Counterterrorism Center in the wake of 9/11 was supposed to finally accomplish this goal.
»But as the failed Christmas bombing in Detroit showed, they simply didn’t. After 55 years of struggle, the nation has 16 distinct spy agencies, and information flows slowly between them, if at all…»
• L’attaque contre la base de la CIA en Afghanistan est qualifiée de “Pearl Harbor de la CIA” par un officiel (second “Pearl Harbor” de la période, avec l’attentat non détecté du vol 253), selon la station de radio KSFY.com, en date du 31 décembre 2009: «One CIA official is calling yesterday's attack the agency's Pearl Harbor, the single worst day for the CIA since 1983 when the Beirut embassy was bombed killing eight CIA officials.. Everyone is asking how did this bomber pass three layers of the security, all the way to the gym where he not only killed CIA officials but also wounded 6 more.»
• Une thèse nouvelle est apparue pour l’attaque en Afghanistan. Reprise en partie du New York Times, elle est présentée le 2 janvier 2010 par The Independent. L’organisateur de l’attaque serait Jalaluddin Haqqani, un chef islamiste afghan et un ancien collaborateur de la CIA, du temps où l’agence soutenait et armait les moudjahiddines contre l’armée soviétique, à partir d’une initiative développée en 1979 par ZbigniewBrzezinski. L’auteur Chalmers Johnson a intitulé un de ses livres sur l’interventionnisme US, notamment par les actions de la CIA, Blowback, signifiant par là les effets indirects négatifs inattendus des interventions de la CIA. Si la thèse est bonne, c’est le parfait exemple de blowback.
«Was the suicide bombing that killed seven CIA employees in eastern Afghanistan this week, sending shock waves through the US spy agency, masterminded by a warlord who was once one of the CIA's key allies? Jalaluddin Haqqani, who visited the Reagan White House and was once described by Texas politician Charlie Wilson as “goodness personified”, is believed by some US officials to have ordered the attack from his hideout in neighbouring Pakistan.
»His suspected role in the deadliest incident for CIA forces in 25 years highlights both the shifting nature of alliances forged by Western involvement in the region, and the difficulty of telling friend from foe in today's conflict.
»The Pakistani Taliban yesterday made the astonishing claim that it was behind the bombing in a bid to harm the CIA's ability to launch missile strikes inside Pakistan. But Pentagon officials quoted by The New York Times suggested that the suicide bombing in Khost Province was a revenge strike for counter-insurgency operations led by the CIA against the so-called Haqqani network. “Those guys have recently been on a big Haqqani binge,” said one Pentagon consultant. “I would be shocked if the bombing on Wednesday was not some kind of retaliation.”»
@PAYANT
Complot? Pas complot? (Cela pour l’affaire du vol 253, s’entend.) Tous les arguments donnés sont bons pour croire à un complot, de même qu’ils sont aussi bons pour démontrer l’extraordinaire incompétence de la fameuse puissance militaire et de renseignement, y compris les actions clandestines, des USA. Décidément, nous sommes conduits, au plus les renseignements sur cette affaire s’accumulent, à plus nous tourner vers la thèse des erreurs des services de renseignement, tant cette thèse rencontre une réalité intangible des USA. D’autre part, elle recoupe le “Pearl Harbor” de la CIA en Afghanistan, qui est un autre aspect de l’extraordinaire incurie dans les domaines de l’expérience, de la finesse des psychologies à traiter, de l’habileté des manipulations nuancées de complicité des comportements humains. L’extraordinaire nullité de l’“Human Intelligence” (HumInt) du renseignement US, qu’il s’agisse de la coopération à l’intérieur de l’énorme apparatus du renseignement US, que ce soit dans les rapports avec les collaborateurs extérieurs ou les groupes extérieurs d’intérêts convergents des régions lointaines et exotiques, constitue un fait structurel qui ne doit cesser de fasciner notre goût de l’analyse. Encore faut-il employer le mot “intelligence”/“intelligence” dans tous ses sens possibles, que ce soit le renseignement, la capacité intellectuelle, voire l’art des bonnes relations (vivre “en bonne intelligence”).
Tout cela est totalement étranger au renseignement US parce que tout ce qui est humain, en vérité, est totalement étranger au renseignement US. Pour le renseignement US, ce qui importe, c’est le fait, la chose, l’information, la formule, la localisation, etc., bref tout ce qui dépend du monde extérieur à l’humain. La psychologie US a bien du mal à mesurer que tous ces facteurs (“le fait, la chose, l’information, la formule, la localisation, etc.”) dépendent d’abord à un degré ou l’autre du “facteur humain” et que c’est ce dernier qu’il faut chercher à conquérir, à séduire, à retourner, etc., pour parvenir au renseignement par la source elle-même. La psychologie US, qui est formée par le système pour fonctionner selon le mode du cloisonnement, a bien du mal à comprendre que le “facteur humain”, facteur intégrateur par définition de toutes les activités humaines productrices de tous les renseignements, doit être la cible prioritaire et qu’il faut pour cela une approche psychologique intégratrice et non cloisonnée. Ainsi, dans le cas de l’hypothèse évoquée, un “facteur humain” serait utilisé dans une période (Jalaluddin Haqqani, lorsqu’il s’agissait de la lutte contre l’armée soviétique) parce qu’il est producteur de faits favorables à la politique US, et deviendrait une cible sans aucune autre considération lorsque les temps et les politiques ont changé; et la cible, qui connaît la musique avec la CIA, se vengerait-elle comme il semblerait qu’elle l’ait fait.
Cette approche est évidemment renforcée par la tendance naturelle de la psychologie américaniste à rejeter la différence, notamment culturelle, et à tout ramener à la conception et à la vision américanistes. Le renseignement US ne cherche pas à s’adapter au “facteur humain” non-US, pour gagner sa confiance, le comprendre et arriver aux renseignement et à contrôler la manipulation. Au contraire, il attend du “facteur humain” non-US qu’il s’américanise et s’adapte aux normes américanistes; soit le “facteur humain” s’adapte et perd ses qualités et son intérêt initiaux, soit il ne s’adapte pas et trompe ses traitants du renseignement US en leur dissimulant une partie de lui-même, souvent la plus intéressante.
Les mêmes principes et la même approche sont utilisés dans ce qu’on a bien de la peine nommer une “coopération” entre les divers services et agences de renseignement US (16 au moins – déjà, ce saucissonnage, correspondant à autant d’intérêts parcellaires et sectoriels, donne-t-il une idée des concurrences, des jalousies, des affrontements et des tromperies entre les agences et services US). Un facteur supplémentaire renforce cette situation, qui est l’absence d’une dimension régalienne fédératrice, plaçant l’intérêt national, ou le bien public, au-dessus de tout, mais favorisant au contraire les intérêts sectoriels. Le renseignement US, qui n’a acquis que très tardivement une dimension “fédérale” officielle, a d’abord été développé selon des intérêts privés, voire des personnes privées. Franklin Delano Roosevelt entretenait un réseau privé de renseignement, mi-professionnel, mi-relationnel, avant qu’il soit président, notamment avec ses liens avec la puissante famille anglo-américaniste des Astor. William “Wild Bill” Donovan, avocat puis “colonel”, fondateur du premier grand service de renseignement US — l’Office of Strategic Services, ou OSS, fondé le 13 juin 1942 –, était un proche de FDR, qui travaillait personnellement pour lui avant l’entrée en guerre des USA en 1941, selon un statut privé dans les années 1920 et 1930. Ces racines “privatisées” ont laissé de fortes traces dans le renseignement US et ont été relayées par les groupes de pression ou les groupes sociaux, s’exprimant dans des bureaucraties puissantes qui ont leurs intérêts, leurs conceptions, et agissent en fonction de tout cela. Dans cette situation, les intérêts corporatistes l’emportent évidemment sur la chose nommée “intérêt national”.
Parvenir à une réforme de tout cela est une illusion, un but complètement factice. Ce n’est pas le renseignement US qui doit être réformé, c’est l’américanisme lui-même, en commençant par sa psychologie… Bonne chance.
Mis en ligne le 2 janvier 2010 à 16H53