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1015La crise grecque est devenue à nouveau un point central de rupture dans l’organisation générale du Système. Le pays est dans une situation “à nouveau” désespérée, qui se marque dans plusieurs domaines. (Le “à nouveau” signifie la répétition, parce que la Grèce a déjà connu des situations “désespérées”. Mais la répétition ne signifie ni la normalisation ni la banalisation, ni même le goût du sensationnel infondé, mais au contraire l’aggravation constante par à-coups successifs.)
• Aljazeera consacre un texte à la situation générale, sur place, avec le Premier ministre formant un nouveau gouvernement après avoir vu son offre de gouvernement d’unité nationale repoussée par l’opposition qui veut de nouvelles élections. Dans la rue, le désordre continue à s’organiser en insurrection violente, qui semble avoir les caractères tactiques d’un Intifada palestinien. Un texte d’Alan Fisher, ce 15 juin 2011, décrit cette organisation de la révolte en cours de transformation en insurrection.
«I saw them getting ready. Dressed in black, they pulled goggles and scarves from their bags, they talked and pointed. Perhaps no more than 10, but organised and clearly determined. I watched as they made their way to the front of the crowd. In front of them, police guarding the parliament building, a long protective line with white helmets and riot shields.
»First they threw stones. One or two to begin with, then more. The police fired back with thunder flashes – loud and frightening. Then tear gas. The thick white choking smoke hanging in the air, biting into the eyes and the throat.
»The ones in black, men and women, knew what to do. They tried to kick the capsules back, push them away. Some even wore gasmasks. Flares were thrown. Quickly followed by petrol bombs. Only two or three, but it proved to the police the violence was pre-meditated and designed to cause damage.»
Un texte plus général, également du 15 juin 2011, décrit l’évolution de la situation politique et l’évolution de la situation du désordre évoluant vers l’insurrection.
«The day's political developments came as the government debated fresh austerity measures that would extend beyond its term in office amid violence on the streets of capital. Protesters rallied outside parliament chanting “thieves, traitors” and asked “where did the money go?” as they demonstrated amid a 24-hour national strike organised by major labour unions which saw hospitals, transport and other public services crippled.
»Small groups of youths threw stones and petrol bombs at police cordons, and smashed the windows of a luxury hotel on Syntagma square, outside the parliament building. Police responded to the violence with tear gas.
»“I feel rage and disgust,” Maria Georgila, a 45-year old public sector workers and mother of two, told the Reuters news agency. “These are very tough measures and they won't get us out of the crisis. I can't believe they have no alternative.” Alan Fisher, Al Jazeera's correspondent in Athens, said: “There is undoubtedly anger on the streets ... we've also seen people wearing entirely black, putting on masks and goggles.”»
• Au niveau financier et des conséquences du point de vue de la situation financière et budgétaire générale, notamment avec les enchaînements à mesure, la Grèce occupe à nouveau une place centrale. Dans une description chargée des expressions habituelles, Nils Pratley, du Guardian, ce 15 juin 2011, parle d’un “Lehman Moment” (le 15 septembre 2008 et l’effondrement de la banque Lehman Brothers) et du “point de non retour”.
«Greeks rioted , the country's prime minister offered to resign and the yield on Greek two-year sovereign bonds hit 28%. Meanwhile, the Dow Jones industrial average fell 190 points at one stage. Markets are carrying a simple message: we fear politicians and policymakers are losing control of the plot. The long-feared "Lehman moment" – an uncontrolled debt default by Greece, with the impact being felt across the eurozone banking system – suddenly seems a horrible possibility. […]
»A unity administration in Athens might allow bailout talks to resume, but by then investors might have zero faith that the next package of loans could succeed where the last one failed. More austerity, even if the Greeks could be coerced into accepting more pay cuts and more state sell-offs, might simply damage the economy further.
»Default, then, seems to be looming one way or another. The best policy would be to try control the damage by ensuring the impact of the rest of the eurozone banking system is as soft as possible. That assumes, of course, that damage-control is still an option. The point of no return is fast approaching.»
• Le même article d’Aljazeera signalé plus haut mentionne également le “classement” donné par les agence de cotation US, qui place la Grèce au dernier rang, offrant ainsi un élément de plus pour faire de ce pays un “modèle” de l’effondrement violent dans l’actuelle crise terminale du Système. Cette cotation contribue elle-même à l’aggravation de la crise, psychologiquement autant que financièrement.
«US-based financial services company, Standard & Poor's, slashed Greece's rating to CCC on Monday, dropping it to the lowest of 131 states that have a sovereign debt rating. This indicates that Greece's creditors may have less chance than Pakistan, Ecuador or Jamaica of getting their money back. This is a surprising low for Greece as the country still had a stellar A-rating despite a hefty debt burden in January 2009.»
La situation en Grèce rassemble divers éléments jusqu’alors potentiellement explosifs, ou qui se sont manifesté déjà mais d’une manière non simultanée, et qui sont actuellement en cours d’explosion simultanée. Cette situation peut alors être effectivement considérée comme un “modèle” de l’effondrement violent du Système, à cause de cette simultanéité. Le lien est directement fait entre une situation financière au point de rupture, une situation politique en cours de crise de rupture, une situation sociale d’ores et déjà rompue avec une révolte s’organisant en une insurrection concertée dans la violence coordonnée et efficace.
Une sorte de “compétition” semble engagée, fondée sur l’émulation des psychologies et les automatismes et mécanismes divers des structures financières, pour faire évoluer de concert les divers courants d’aggravation de la situation avec comme destin la course vers l’effondrement. La question d’une des manifestantes citées par Aljazerra, qui concerne l’action des directions politiques, peut tout aussi bien s’appliquer à ce sort d’un effondrement suscité par la conjonction des divers éléments observés : «I can't believe they have no alternative…» Ce serait alors le fameux acronyme TINA (“There Is No Alternative”) qui serait retourné contre le Système qui a toujours présenté sa propre organisation et idéologie économiques comme la seule voie possible, – TINA pour la situation grecque : il n’y a pas d’alternative à l’effondrement. Cette idée d’“effondrement” ici envisagée du point de vue politique et financier, est évidemment dramatiquement renforcée par la situation sociale proche d’être insurrectionnelle, qui suggère que la possibilité de l’effondrement implique de plus en plus une situation quasiment hermétique, sans échappatoire possible.
Cette voie vers l’effondrement de la Grèce est effectivement agrémentée de plusieurs mécanismes qui rendent le sort de ce pays particulièrement important pour le sort général du Système. Ces mécanismes sont également des inconnues dans leur chronologie et leur manifestation, ce qui contribue à aggraver la situation pour la phase actuelle.
• Le premier facteur est le fait de l’“effondrement” lui-même. Nul ne peut définir ce qu’est un “effondrement” complet de la Grèce, même si divers exemples de cette sorte de situation peuvent être avancés comme approximativement illustratifs mais chacun avec des spécificités très marquées. Cette perspective inconnue et son extrême importance illustrent effectivement, encore plus, le cas pour la Grèce dans la mesure où ce pays ne peut être détaché du reste du Système et relégué simplement dans le trou noir des “Etats faillis” et autres joyeusetés du Système. En d’autres mots, la Grèce n’est pas perdue au fin fond de l’Afrique et son effondrement possible n’est pas indiffèrent au reste.
• Le second facteur poursuit et aggrave le précédent. Il est connu, puisqu’il est disséqué depuis des années par une myriade de spécialistes et de dirigeants au diagnostic prompt et avisé. La Grèce fait partie de l’UE, de l’OTAN, elle est dans l’euro, etc. Elle occupe sa place dans la chaîne des mécanismes de solidarité automatique dans la structure générale du Système (dans la “globalisation”, si l'on veut) et, par conséquent, dans son processus général d’effondrement du Système. Son “effondrement personnel” ne peut être sans conséquences majeures techniques et mécaniques d’enchaînement, qu’on nomme cela “effets de domino” ou n’importe quoi d’autre.
• La Grèce occupe une place géographique et politico-stratégique très particulière, qui la place également au cœur du Système. Elle fait partie de l’Europe et du système américaniste-occidentaliste, et de toutes leurs institutions. C’est un pays méditerranéen, et c’est un pays avec des liens importants avec le Moyen-Orient, – fussent-ils des liens antagonistes, comme avec la Turquie. C’est aussi un pays proche de l’Europe de l’Est, ou ouvert sur cette zone, avec des frontières et des proximités communes. C’est un pays orthodoxe, donc avec des liens naturels aussi bien avec la Serbie qu’avec la Russie. Beaucoup plus qu’à des enchaînements stratégiques, qui nous semblent peu importants dans la mesure où la situation stratégique est largement dépassée par la question du désordre du Système, nous pensons à des effets psychologiques fondamentaux, pouvant entrainer des effets politiques et politico-stratégiques non pas par des mécanismes d’intérêt de type géopolitique, mais par des mécanismes de désordre suscités justement par la perception psychologique de l’effondrement.
...Une question et des sous-questions intéressantes : que se passerait-il si les événements insurrectionnels, sous la pression de l'effondrement dans les autres domaines, prenaient le dessus en gravité et en urgence et s'orientaient vers un affrontement majeur ? Les spécialistes du genre, rassemblés justement au sein du bloc américaniste-occidentaliste, parleraient-ils d'intervention ? De regime change?
Mis en ligne le 16 juin 2011 à 08H19
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