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2518Le sénateur républicain John McCain est un personnage parfois décrit comme fantasque, souvent qualifié par lui-même de “maverick”, au caractère instable, aux choix parfois emportés et bien peu cohérents, ne reculant devant aucune contradiction, à la fois profiteur du Système et pourfendeur du Système, à la fois intéressé par l’écologie et super faucon proche des néo-conservateurs, etc… (Nous avons consacré l’un ou l’autre texte à cet aspect de la personnalité de McCain, notamment le 4 avril 2004 et le 30 janvier 2007.)
Parmi les champs des activités contradictoires de McCain, les forces armées et leurs équipements, dont cet ancien pilote de guerre (U.S. Navy, abattu et fait prisonnier au Vietnam) se targue d’être un spécialiste. McCain est partisan d’une défense très puissante, avec ses extensions bellicistes diverses qui forment le fond de commerce de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” inaugurée par GW Bush et poursuivie par Obama. A côté de cela, il cherche sans trêve à dessiner pour le caractériser une image de censeur intraitable des gabegies et gaspillages divers du Pentagone. Il réussit parfois des exploits inattendus, comme, en 2002-2004, celui d’avoir complètement pulvérisé la première tentative de Boeing d’obtenir, sans concurrence et avec des avantages financiers considérables, cela avec un train de corruption qui fit un beau scandale, un contrat pour le ravitailleur en vol successeur du KC-135. On a vu, depuis deux ans, se dessiner une voie nouvelle pour McCain, recyclé d’une tentative sans grand panache aux présidentielles de 2008 : celle de pourfendeur du JSF. On a eu, la semaine dernière, une éclatante confirmation de la chose : McCain est le porte-drapeau de la contestation anti-JSF au Congrès.
Il ne s’agit certainement pas d’un renversement de situation, d’une évolution décisive de l’un ou l’autre, de telle ou telle personnalité, mais bien de la transmutation générale d’une situation, par la simple confrontation des diverses tensions entretenues par le Système en pleine crise et du désordre qui s’ensuit. Les conséquences indirectes se répandent au sein de divers réseaux et touchent divers personnages, recomposant un paysage sans aucune logique de continuité par rapport à une politique ou l’autre, mais qui produit des effets inattendus et parfois radicaux. Pour la scène qui nous importe, en son centre apparaît, pour y trôner effectivement, le sénateur John McCain, avec, par conséquent, sa propre transmutation par effets indirects, en “système antiSystème”. McCain a suivi, dans cette affaire, des logiques “populistes” et réformistes qu’il affectionne, sans prêter la moindre attention aux effets de son action sur le socle de puissance du Pentagone et du complexe militaro-industriels, qui constituent le fondement de la politique interventionniste et belliciste qu’affectionnent, entre de nombreux autres, les néo-conservateurs et leur ami… John McCain.
McCain s’est engagé contre le JSF comme il s’est engagé contre le ravitailleur de Boeing en 2002-2004, c’est-à-dire en envisageant son expédition du simple point de vue intérieur, budgétaire et populaire, en ne doutant pas une seconde qu’en attaquant certaines forces du Pentagone et de l’establishment, il en rencontrerait d’autre, également du Pentagone et de l’establishment, qui partageraient évidemment ses conceptions et les intérêts qui s’y rattachent nécessairement. McCain n’a pas mesuré les dimensions exactes du programme JSF, ses implications formidables sur la stabilité du Pentagone et donc sur l’axe de la puissance US, sa position fondamentale de “tout ou rien” justement caractérisée par l’absence d’alternative (alors que lui, McCain, demande une alternative, à un moment où l’argent manque, alors que d’énormes sommes ont été engouffrées dans le programme JSF, compromettant effectivement d’une façon radicale le développement d’une alternative). L’attaque de McCain se place effectivement au moment où le programme JSF semble à la fois irréversible et inarrêtable, et à la fois extraordinairement vulnérable et menacé d’effondrement ou de chaos si de trop fortes pressions sont appliqués sur lui ; tout cela, dans une situation où, sans le programme JSF, le Pentagone se découvre dans une situation où il est privé de l’essentiel de ses perspectives de puissance aérienne. D’autre part, l’attaque de McCain est si vigoureuse qu’elle déstabilise la commission sénatoriale des forces armées et l’entraîne sur la voie de la mise en cause du JSF, sans qu’aucun sénateur ne soit capable d’effectivement opposer à l’action de McCain les intérêts du Système, justement parce qu’il est impensable pour tous ces sénateurs que McCain en arrive à instrumentaliser une action qui soit contre les intérêts du Système.
Mais certes, – puisque personne, y compris McCain, ne comprend l’importance fondamentale du JSF pour le Système, personne ne comprend, personne ne peut comprendre comment l’action de McCain peut arriver à être antiSystème sans que même son auteur ne s’en soit aperçu, – par conséquent, personne ne distingue le caractère antiSystème qu’elle a, à l’insu de son auteur lui-même d’ailleurs… John McCain devient un pilier de l’action antiSystème sans que personne ne puisse l’imaginer, et sans que lui-même ne l’imagine un instant. Ceux qui, au Pentagone et ailleurs, viennent défendre le JSF devant McCain, ne se doutent non plus de rien. Ils n’imaginent pas qu’on puisse mettre en cause le JSF bien longtemps, comme ils n’imaginent pas que le JSF puisse effectivement chuter, et entraîner avec lui le reste de l’architecture systémique du Pentagone. Tout cela se passe hors du champ de la conscience des acteurs sapiens de la pièce.
C’est une situation étrange, dont personne ne prend la mesure. Il y a chez McCain un mélange de vanité, d’irresponsabilité, de démagogie, d'énergie provocatrice, un désir de se distinguer et d’effectivement affirmer une réputation d’originalité, qui conduisent cet homme à embrasser des causes qui lui paraissent originales et avantageuses, et qui s’avèrent en réalité explosives. McCain est, potentiellement, un formidable déstabilisateur du programme JSF, avec des effets déstructurants au Pentagone et dans tout le Système, sans l’avoir précisément voulu, sans même avoir imaginé qu’il pourrait l’être. Son action peut donner une telle impulsion aux événements, notamment par le pouvoir budgétaire du Congrès et par les exigences de contrôle sur l’activité du Pentagone, que McCain pourrait arriver à paralyser dans cette affaire un Pentagone qui continuerait à développer le programme JSF, – le paralyser totalement en exigeant des garanties, des modifications, des sécurités, des prospectives à tenir, des régulations à respecter, etc., par conséquent en l’enfermant dans un programme proclamé indestructible et qui ne pourrait se poursuivre que selon des exigences impossibles à atteindre. Ainsi se serait développé et mis en place un système antiSystème original, capable de mettre en danger l’équilibre de l’ensemble de la machine de guerre US : le système AntiSystème John McCain.
Mis en ligne le 23 mai 2011 à 19H03