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4433On sait que la crise (Israël contre Hezbollah) commença le 12 juillet. A première vue, la bataille était disproportionnée, non seulement à cause de la puissance de Tsahal, mais surtout à cause de ce que promettait sa gloire passée, qui repose sur des qualités combattantes incomparables. Pourtant, le 10 août, quasiment un mois plus tard, Ze'ev Schiff de Haaretz, pouvait écrire :
« The large number and the location of the casualties that the Israel Defense Forces sustained Wednesday [9 August] indicate that the army does not yet control the narrow strip along the border, although this stage of the ground operation was supposed to have been completed already. »
Le lendemain, 11 août, dans The Guardian, le brigadier général israélien Ido Nehushtan remarquait : « We have to recognise that we will be dealing with new definitions of victory. There will be no white flags being raised on this battlefield. » Plus loin, dans le même article, on pouvait lire ceci :
« Hizbullah's older anti-tank weapons have been effective against armoured personnel carriers and buildings used by soldiers for shelters. Its newer weapons such as the Russian Kornet and US TOW missiles have been highly effective succeeded in piercing the armour of Israel's main battle tank, the Merkava, reputedly one of the best-defended tanks in the world. One member of an Israeli tank crew who had just left Lebanon told the Guardian: ‘It's terrible. You do not fight anti-tank teams with tanks. You use infantry supported by artillery and helicopters. Wide valleys without shelter are the wrong place to use tanks.’ »
Enfin, pour compléter l’image d’une armée en grand désarroi devant une guerre supposée facile et une résistance inattendue, il suffisait d’aller à un texte du journaliste et activiste pacifiste Uri Avnery, en date du 10 août :
« Now everybody already admits that something basic has gone wrong in this war. The proof: the War of the Generals, that previously started only after the conclusion of a war, has now become public while the war is still going on. The Chief-of-Staff, Dan Halutz, has found the culprit: Udi Adam, the chief of the Northern Command. He has practically dismissed him in the middle of the battle. That is the old ploy of the thief shouting ‘Stop thief!’ After all, it is obvious that the person mainly to blame for the failures of the war is Halutz himself, with his foolish belief that Hizbullah could be defeated by aerial bombardment alone. »
Il faut remonter au début octobre 1973 pour rencontrer un tel désarroi dans l’armée israélienne. Mais alors, quelle différence ! Le 4 octobre 1973, Israël avait été attaqué simultanément par la Syrie et l’Egypte. La puissance de l’attaque par surprise, contre une armée manquant totalement sur un de ses fronts (face aux Syriens) de profondeur stratégique et n’ayant évidemment pas eu le temps de mobiliser ses réserves, conduisit à trois folles journées d’une héroïque intensité.
Le désarroi d’alors était celui d’une défaite temporaire par surprise, mais il laissa place aussitôt à une résolution et une alacrité magnifiques. Tsahal fit des prodiges, souvent dans des batailles, notamment des batailles de chars, où elle se retrouvait à 1 contre 5. Finalement, l’équilibre fut rétabli et, en 15 jours, Tsahal se retrouva sur la route de Damas et lancée dans l’aventure (notamment avec les parachutistes du Général Sharon) de l’encerclement de la IIIème Armée égyptienne, sur la rive africaine du Canal. Le chef d’état-major d’alors, David Elazar, paya de son poste l’impréparation de l’armée, mais une fois que la victoire eût été acquise. Tsahal, elle, sortait grandie de l’épreuve la plus terrible qu’ait connue Israël.
L’armée israélienne avait manœuvré dans la grande tradition des grands généraux d’Israël, d’un Moshe Dayan en 1956 ou d’un Bar Lev en 1967. Le revers temporaire de 1973 et la façon dont il fut surmonté restent comme une gloire significative de la valeur militaire de cette armée, autant que la campagne brouillonne et préparée d’une façon aveugle de juillet-août 2006 devrait rester comme le symbole du déclin, de la décadence et de la “bureaucratisation” de la même armée. Mais cette Guerre d’Octobre est aussi un tournant. En trente ans, de 1973 à 2006, Tsahal est passée de la fierté justifiée à l’arrogance aveugle.
Il existe une “légende” de Tsahal des origines. Les trois premières grandes guerres de l’armée israélienne montrèrent qu’elle n’était pas usurpée. Tsahal montra en 1956, en 1967 et en 1973 des qualités de rapidité, de capacités de manœuvre, de capacités d’adaptation comme il y a peu d’exemples dans l’histoire militaire. L’élément humain joua un rôle fondamental, avec ce qu’on pourrait qualifier d’“esprit pionnier”, qui semblait être le même dans l’armée et dans les khibboutz. Il s’agissait d’une armée proche de son peuple, avec ses jeunes soldats pleins d’enthousiasme, ses réservistes capables de se trouver en action en 24-48 heures à partir de leur rappel, ses généraux imaginatifs et résolus dans l’action. Tsahal représentait alors l’archétype de l’“armée populaire”, — l’une des rares armées du camp occidental qui semblait avoir réussi à appliquer ce qu’on jugeait alors être les maximes communistes du succès politico-militaire ; une armée qui se trouvait au milieu de son peuple, comme disait Mao pour les guérillas communistes, “comme un poisson dans l’eau”.
Tsahal était une armée moderne mais qui ne semblait nullement prisonnière de son modernisme. La période correspondait aux liens militaires très forts qu’Israël avait établis avec la France, et qui durèrent jusqu’en 1967. (Les Israéliens furent presque exclusivement équipés de matériels français, notamment aéronautiques, jusqu’en 1967 : les avions Magister, Ouragan, Vautour, Mystère, Mirage, Noratlas, etc. Une coopération plus secrète porta également sur le domaine nucléaire.)
Ces liens n’étaient pas seulement techniques, ils montraient également une certaine communauté d’esprit. Là aussi, il s’agit d’un aspect politique, — mais le modèle est moins communiste que patriotique puisqu’il s’agit de la proximité avec les Français. Comme les Français, les Israéliens n’étaient pas très riches mais ils avaient un très fort esprit communautaire, une affirmation identitaire et un très grand sens de leur souveraineté nationale. Ils utilisaient le matériel français avec une ingénuité et un sens de l’adaptation qui montraient la force de cet esprit national et confirmaient qu’ils n’étaient pas prisonniers de la lourdeur bureaucratique et de la technique. (L’ingénuité israélienne fut évidente dans l’utilisation que firent les Israéliens du Mirage français durant la Guerre de Six-Jours, autant que dans la capacité d’adaptation technique qu’ils montrèrent en développant une version nationale de l’avion, le Kfir.)
Il y a une correspondance d’ordre politique autant que dans les autres domaines dans l’évolution de Tsahal d’une période à l’autre, y compris dans le domaine de l’accroissement du poids militaire aux dépens des capacités de rapidité et d’adaptation. Eric Alterman le définissait en 2005 par l’observation du « change in Israel's geopolitical status from the spirited socialist David of its early years to the pro-American empire, post-1967 military Goliath. »
La campagne de l’été 2006 montre toute la profondeur des changements qui ont affecté Tsahal et la nécessité impérative d’une appréciation critique fondamentale du statut, des structures et de l’état d’esprit de l’armée. Dès le 25 juillet, Ze'ev Schiff, le doyen des commentateurs israéliens qui forment une caste à part dans la presse israélienne, observait froidement, contre toutes les affirmations et assurances des généraux transformés en spin doctors et des ministres du gouvernement Ohmert : « Israel is far from a decisive victory and its main objectives have not been achieved. » Un autre vétéran, Eitan Haber, écrivait parallèlement dans Yediot Aharonot, avec une rage contenue: « This is neither the time nor the place in the middle of serious fighting, but when this is all over the IDF is going to have take a good look at itself. »
On a suivi les péripéties, les changements de tactiques des généraux israéliens ; la confiance aveugle initiale dans l’efficacité de l’offensive aérienne ; les interventions terrestres, d’abord ponctuelles, suivies d’affirmations répétées de l’intention de lancer une grande offensive terrestre ; les difficultés opérationnelles, les pertes humaines, la vulnérabilité du char Merkava, tant vanté pour son invulnérabilité et qui s’est souvent trouvé handicapé par sa lourdeur face à des armes anti-chars maniée très efficacement ; la crise du commandement, ponctuée par le limogeage dissimulé du général Adam, commandant le Front Nord. Il est difficile de faire la part des actions respectives, notamment le rôle de l’efficacité inattendue du Hezbollah, dans ces déboires opérationnels. Cela importe assez peu à côté du constat que l’armée israélienne s’est trouvée brutalement confrontée à une crise interne qui couvait depuis longtemps.
Cette crise de Tsahal a une dimension politique et stratégique évidente. On peut en comprendre les termes avec ces extraits d’un texte publié par Haaretz le 11 août. Les deux auteurs, David B. Rivkin Jr. et Lee A. Casey, sont partenaires du cabinet d’avocat Baker & Hostetler LLP de Washington, et également membres de la sous-commission de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme. Ils ont également occupé diverses fonctions dans le gouvernement américain (administrations Reagan et Bush-père) et certains observateurs estiment que leur commentaire représente une position officieuse de la communauté de sécurité nationale de Washington vis-à-vis d’Israël après un mois de campagne dans le Sud Liban. Bien entendu, il s’agit d’un avertissement à peine dissimulé, dont William Pfaff s’était déjà fait l’écho en tant qu’observateur indépendant dans un texte du 3 Août (« …it is a very serious matter for the Israelis, because their own power in the Middle East, like that of their American ally, has peaked, and is now diminishing. And in the United States, this is beginning to be perceived. »)
Rivkin-Casey écrivent : « Israel has been cautious in Lebanon, fearing not only for the lives of its soldiers, but also that an overly aggressive military campaign will alienate world opinion and force its hand diplomatically at the UN. However, Israeli leaders ought to worry more about a different scenario, one in which American policymakers, analyzing the Israel Defense Forces' failure to defeat Hezbollah after 30 days effort, lose their faith in Israel's ability to ‘get the job done’ on issues of shared strategic interest.
» Should the IDF lose its aura of invincibility in American eyes, Israel's perceived value as an ally could decline sharply. This reassessment in Washington, when combined with a continuing and even heightened determination by Arab states and jihadists to destroy Israel, would be catastrophic for its security. »
Il est frappant de constater que les désillusions révélées par la campagne de Tsahal contre le Hezbollah se révèlent presque en même temps que les désillusions concernant la puissance américaine, à l’occasion de la guerre en Irak. Les caractères de ces désillusions sont à peu près semblables. Il y a une proximité des circonstances, des avatars, des causes de ces avatars.
La proximité existe également au niveau de la conception des opérations. Dans un article aujourd’hui fameux dans The New Yorker (14 août 2006), Seymour Hersh a apporté beaucoup de précisions sur cet aspect des choses.
« The United States and Israel have shared intelligence and enjoyed close military coöperation for decades, but early this spring, according to a former senior intelligence official, high-level planners from the U.S. Air Force — under pressure from the White House to develop a war plan for a decisive strike against Iran’s nuclear facilities — began consulting with their counterparts in the Israeli Air Force. ‘The big question for our Air Force was how to hit a series of hard targets in Iran successfully,’ the former senior intelligence official said. ‘Who is the closest ally of the U.S. Air Force in its planning? It’s not Congo—it’s Israel. Everybody knows that Iranian engineers have been advising Hezbollah on tunnels and underground gun emplacements. And so the Air Force went to the Israelis with some new tactics and said to them, ‘Let’s concentrate on the bombing and share what we have on Iran and what you have on Lebanon.’’ The discussions reached the Joint Chiefs of Staff and Secretary of Defense Donald Rumsfeld, he said. »
Hersh rapporte encore que, « [t]he Israeli plan, according to the former senior intelligence official, was ‘the mirror image of what the United States has been planning for Iran.’ » Le plan israélien portait bien entendu la forte marque du chef d’état-major israélien, le Lieutenant General Halutz, le premier chef d’état-major israélien venu de la Force Aérienne. Halutz, chaud partisan de la puissance aérienne, s’inspire directement de l’école américaine du bombardement massif, telle que le General Curtiss E. LeMay l’a développée entre 1943 et 1965. A l’image de LeMay, Halutz a remplacé les considérations politiques autour de la guerre par la croyance dans la technologie et il l’exprime froidement, sans considération pour les commentaires humanitaires (Alexander Cockburn le décrit de cette façon : « Dan Halutz is in the LeMay tradition, a brutish lout. He raised a storm when he was asked what feelings, what moral tremors he might have had about the dropping of a one-ton bomb in a house in Gaza. Halutz's jaunty reply was to the effect that all he felt was ‘a slight tremor in the wing of the airplane.’ »)
Il est difficile de distinguer ce qui aurait différencié une action militaire américaine de ce que fut l’action de Tsahal au Liban. Le vrai reproche des Américains est sans doute de n’avoir pas frappé assez fort. L’analyse US des performances de Tsahal fut effectivement constamment conduite comme si l’armée israélienne était un détachement avancé des forces armées US. La poussée israélienne contre le Hezbollah « would be a demo for Iran », explique une source de Seymour Hersh. « The key military planner was Lieutenant General Dan Halutz, the I.D.F. chief of staff, who, during a career in the Israeli Air Force, worked on contingency planning for an air war with Iran. »
L’opération israélienne était plus qu’un modèle américain. Elle ressemblait à une partie d’un plan général développé par le Pentagone.
Même en 1982 (première guerre du Liban), à plus forte raison en 1973, une telle proximité entre le Pentagone et l’IDF, jusqu’au mimétisme et à la duplication, était simplement impensable. Entre-temps s’est produit dans l’establishment politico-militaire israélien une transformation de substance telle qu’on peut parler de transmutation (un “changement de nature”).
Nous avons déjà parlé de cette évolution de l’establishment politico-militaire israélien. L’affaire du Lavi, en 1984-85, en fut l’un des tournants. Israël abandonna son projet d’avion de combat IAI Lavi sous la pression du Pentagone. Les Américains voulaient éviter le lancement d’un concurrent du F-16 mais le résultat fut surtout de soumettre complètement l’establishment politico-militaire israélien aux conditions bureaucratiques et technologiques du Pentagone. Moshe Arens considéra, à l’époque, que l’abandon du Lavi était un recul décisif de la souveraineté nationale israélienne. C’est le cas.
Il n’est pas indifférent que cette affaire (Lavi vs F-16) se soit jouée dans le domaine aéronautique, car c’est effectivement ce domaine qui conduisit et orienta l’américanisation de l’IDF. Halutz, avec ses conceptions qui rappellent LeMay, est un des enfants de ce processus ; mais aussi l’équipement de Tsahal, les conceptions de Tsahal, la vision du monde et la stratégie de Tsahal. Il est vrai que le Pentagone offrait aux militaires israéliens quelque chose de tentant : une échappée des implications terrestres de la guerre, une domination incontestée et incontestable par le ciel (et par la technologie qui va avec), une installation de la puissance israélienne dans un domaine intouchable pour aucune puissance arabe, — des armées régulières aux organisations terroristes. Du moins, c’est ce que suggérait la théorie.
Bien sûr, ces conceptions ont envahi tous les domaines et l’organisation des armées israéliennes. Defense News publiait le 17 juillet un article basé sur des interviews auprès d’officiers généraux en activité ou récemment retirés. Il s’agit de critiques modérées, faites par des personnalités qui ont elles-mêmes participé à cette ‘automatisation’ de l’armée israélienne. C’est le cas de Yiftah Ron-Tal, un général chef des forces terrestres récemment retiré : « The Israel Defense Forces (IDF) may be rushing too quickly [into this technology-driven arena]. The concept is correct, as is our doctrine, but the problem is in implementation. It may be that our priorities are not in proper order. »
Le même article décrit les conditions existantes au sein des forces armées, du point de vue des choix et des décisions : « One IDF brigadier general said anyone in uniform would be quickly marginalized if he or she challenged what he called the General Staff’s ‘precipitous rush’ toward remote, networked, virtual control over high-threat areas. » La situation qui s’est installée dans les forces armées est dans la logique de cette atmosphère générale : « With all due credit to technology and the capabilities it provides, we cannot neglect basic soldiering and discipline. But time and again, we’ve seen our training budget gutted to allow for full-bore investment in Tzayad [the IDF’s Digital Army program]. And now we’re seeing the results blowing up in our faces. »
Le site DefenseTech observe dans le même sens (le 20 juillet) : « ‘...security experts and military officers not directly involved in the fighting say there are fundamental flaws in Israel's budget-draining techno-centric defensive strategy,’ and especially reliance on networked sensors as the mainstay of surveillance efforts. These failed rather conspicuously in allowing the surprise kidnapping of 2 Israeli soldiers by Hezbollah. »
On peut élargir toutes ces remarques à toutes les situations des forces armées israéliennes: accent systématique mis sur la technologie et sur les matériels avancés qui en dépendent, négligences au niveau de l’entraînement, des équipements de base, de l’adaptation tactique, etc. Toutes ces appréciations critiques peuvent être reprises mot pour mot et appliquées à l’U.S. Army et au Marine Corps tels qu’ils opèrent aujourd’hui en Irak.
On retrouve même la pratique, courante dans la bureaucratie militaire US, de lancer des opérations militaires dans un seul but de relations publiques. Ce fut le cas de la dernière poussée de Tsahal vers la rivière Litani (qui avait été atteinte en quelques heures après le déclenchement des hostilités en 1982), déclenchée après que le cessez-le-feu ait été voté et accepté. Uri Avnery explique: « The aim was to photograph the victorious soldiers on the bank of the Litani. The operation could only last 48 hours, when the cease-fire would come into force. […] At no point did the army reach the Litani. [… W]hen the cease-fire took effect, all the units taking part had reached villages on the way to the river. There they became sitting ducks, surrounded by Hizbullah fighters, without secure supply lines. From that moment on, the army had only one aim: to get them out of there as quickly as possible, regardless of who might take their place. » L’opération, les 12 et 13 août, avait coûté la vie à 33 soldats de Tsahal.
Dans son superbe livre House of War — The Pentagon and the disastrous rise of the American power, James Carroll définit ainsi ceux que l’on nomma à la fin des années 1990 The Vulcans (Rumsfeld, Cheney, Perle, Wolfowitz, Armitage, Powell, Rice), qui conseillèrent GW Bush durant sa campagne de 2000 et prirent le pouvoir en janvier 2001: « [W]hereas their predecessors, the ‘Wise Men’ and ‘the Best and the Brightest,’ were spawned in the nurturing waters of Wall Street and Harvard, respectively, Rumsfeld’ circle of true believers emerged from the culture, ideology and moralism of the Pentagon itself. The Building, it would seem, was coming at last into its own. »
Dès les années Reagan, ce groupe d’idéologues extrémistes était déjà dans les rouages de l’administration. (On y trouvait notamment Perle et Wolfowitz, tandis que Powell occupait des fonctions politico-militaires. Rumsfeld avait été secrétaire à la défense entre 1975 et 1977.) C’est eux, et avec eux le nouveau courant de pression qu’ils exprimaient, qui instrumentèrent la complète “annexion” d’Israël à ce complexe bureaucratique de puissance qu’est le Pentagone. Ce n’était pas un “complot” dans le sens humain du terme. Ils ne faisaient qu’exprimer la puissance extraordinaire du Pentagone et de sa culture, qui avaient définitivement mis la haute main sur la politique de sécurité nationale des Etats-Unis. En ce sens, c’est bien le Pentagone en tant que tel, en tant que puissance autonome et incontrôlée, qui imposa à Israël, dès les années 1980, une main-mise qui bouleversa complètement les conceptions et les structures de Tsahal, et qui réduisit d’autant, jusqu’à l’inexistence totale, la souveraineté nationale d’Israël.
Le conflit avec le Hezbollah de juillet-août 2006 a confirmé de façon éclatante un état des choses où les capacités guerrières, les équipements, les tactiques, mais aussi la culture fondamentale des forces armées israéliennes se sont révélés comme complètement transformés, — transmutés, sans aucun doute, — par rapport aux conditions originelles de l’Etat d’Israël.
Cette appréciation de la situation militaire israélienne, cette fois étayée par un conflit dont les conséquences catastrophiques se feront sentir longtemps et en profondeur, permet de déboucher sur une autre analyse et sur une autre explication que le sempiternel affrontement entre juifs et arabes proposé depuis un demi-siècle, qui constitue plus un frein décisif mis à la pensée qu’une invitation à mieux comprendre le phénomène des troubles sans fin de cette region. L’appréciation qui place l’establishment militaro-politique israélien à l’ombre énorme du Pentagone (de même que la politique extérieure des USA est “sous influence” du Pentagone), est une explication d’une tout autre envergure, et d’une tout autre cohérence. Elle donne à la crise israélienne une dimension globale en qui fait mieux comprendre l’importance. La crise du Moyen-Orient est aujourd’hui une conséquence de la crise générale et globale qui secoue le monde. En observant la situation de la puissance israélienne par rapport au Pentagone comme on le fait ici, on comprend bien mieux la cohérence de ce schéma, dans la mesure où la puissance du Pentagone est effectivement le centre de la crise mondiale.
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