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129816 septembre 2010 — Le titre de ThinkProgress.org du 15 septembre 2010 nous aurait bien plus, – “A cup of tea” devenant “A Coup of Tea”, – ce qui nous rapproche évidemment de notre sujet, Tea Party et son “Coup” (de “coup d’Etat”) réussi le 14 septembre 2010. Restons-en au zeste de citron pour relever d’une pointe d’acidité ce thé qui, décidément, ne cesse de faire parler de lui.
L’écho, aux USA, est celui d’un coup de tonnerre, car tel est le bruit roulant que suscite le “Coup of Tea” du 14 septembre. La compilation de ThinkProgress.org est, comme d’habitude, fort bien faite, avec nombre de liens très utiles ; pour une fois, elle ne s’attarde pas trop à l’aspect idéologique supposé (Tea Party d’extrême droite, etc.) et va à l’essentiel qui est l’affrontement de Tea Party et de l’establishment, – en l’occurrence le parti républicain. Une simple observation pour situer la chaleur terrible de l’affrontement : l’hypothèse que le républicain de l’establishment battu par Christine O’Donnell, le très honorable Mike Castle (vingt ans de Chambre des Représentants, deux termes comme gouverneur du Delaware), pourrait faire campagne pour l’adversaire démocrate de O’Donnell… Ce serait jouer avec le feu, car si O’Donnell l’emportait en déchaînant sa rhétorique anti-establishment plutôt qu'en dissertant sur l’avenir de la masturbation, – imaginez ce que l’on apprécierait du sort et de la popularité de l’establishment ainsi coalisé ! Tout cela ressemble bien à l’“union sacrée” des marchands du temple (l’establishment) pris la main dans le sac et précipités dans une panique significative… (A noter que Castle ne peut se présenter en “indépendant”, ce qu’il aurait fait sans doute, parce que les “inscriptions” pour la course au Sénat sont closes depuis le 1er septembre.)
D’un point de vue quantitatif, le “coup” de Tea Party n’est pas une victoire massive, et encore n’est-ce qu’une révolte à l’intérieur d’un parti. Mais nous sommes fidèles à nos engagements, et c’est bien l’aspect qualitatif qui nous attache. Il s’agit d’ailleurs d’une réalité indéniable, cet aspect qualitatif, – si on mesure son effet, ou son “écho”, en nous référant à ce que nous en avons dit plus haut. Cela est déjà la confirmation d’une chose, qui est l’extraordinaire fragilité du “ventre mou” du système, son personnel politique à la psychologie corrompue jusqu’à l’extrême (et le reste, cela va sans dire). Le personnel politique est placée par Tea Party devant l’image de son impuissance et de sa paralysie, c’est-à-dire de son illégitimité, c’est-à-dire de l’imposture déstructurante qu’il est devenu.
…Mais s’agit-il d’ailleurs de Tea Party lui-même ? En d’autres termes, de quel Tea Party parle-t-on ? Cela pour montrer l’imbroglio kafkaïen et monstrueux que devient la vie politique US, où les étiquettes et les identités s’entrechoquent et deviennent insaisissables… Ainsi le site HotAir.com expliquait-il, le 13 septembre 2010, que l’organisation FreedomWork, un des piliers de Tea Party, avait refusé de soutenir O’Donnell ; laquelle O’Donnell serait plutôt de Tea Party Express, sous-organisation qui a été exclue en juin 2010 de la fédération Tea Party… De ce côté-là, également, le désordre règne. Mais peu importe pour ce cas puisque le désordre est le mot d’ordre de Tea Party.
Ainsi trouve-t-on aujourd’hui une situation complètement surréaliste, au milieu d’un désordre chaotique qui ne l’est pas moins. Le parti républicain, partout en tête dans les sondages, promis à une écrasante victoire en novembre prochain, qui balaierait toute velléité d’action du gouvernement, confronté à une pathologie interne, une métastase de son point de vue, nommée Tea Party. La panique est irrésistible, à mesure de la fragilité des psychologies. Le parti républicain est en train de découvrir que cette métastase est pour lui-même plus grave que l’administration Obama… ThinkProgress.org parle d’une véritable “guerre civile” au sein du parti républicain : «The intra-party battle over O'Donnell reflects a much larger civil war within the conservative movement about the future of the Republican party…» Suit une multitude de cas où ont lieu des affrontements internes, entre l’establishment et les insurgés de Tea Party. La liste est éloquente.
Et il ne faut pas croire que l’on en reste à l’invective gratuite. Dans les derniers jours de campagne dans le Delaware, alors que les insultes et les calomnies fusaient entre Castle et O’Donnell, on a même enregistré des menaces de mort contre Castle. La bataille est engagée et elle est formidable, – et surtout, elle est bien peu conventionnelle, car rien ne sera tranché avec les élections, quel que soit leur résultat. C’est maintenant, plus que jamais, qu’il faut fixer l’alternative qui se dessine : ou bien un Congrès républicain, avec la métastase en son sein, qui a déjà une structure puisque la charmante Michelle Bachmann a lancé un “Tea Party caucus” à partir de son siège à la Chambre des Représentants. (Les républicains sont en train de découvrir que la métastase est diablement bien organisée, et c’est bien là une surprise tactique de taille concernant ce Tea Party qu’on appréciait comme une mouvement informe caractérisé par le désordre…)
L’autre terme de l’alternative, c'est un mauvais résultat républicain par rapport aux sondages, qui se concrétiserait sous la forme d’une victoire partielle (avec une majorité à la Chambre et le Sénat restant démocrate), tout cela à cause des divisions du parti, – et l’on en revient à l’idée qui est de plus en plus dans les esprits. Il s’agit de l’intention de plus en plus affichée des milieux proches de Tea Party d’organiser une “insurrection civile” (voir le 14 septembre 2010) si le Congrès ne passe pas aux mains des républicains à la sauce Tea Party. On comprend que c'est un point si peu négligeable qu’il en est essentiel, bien qu’il soit fort peu noté comme tel par les commentateurs en général qui en restent à la logique électorale reflétant l’idée que les USA sont toujours sous l’empire d’un système contrôlant la situation. Il semble que nous soyons dans une période où ce principe cardinal correspondant à l’idée de l’American Dream, qui présuppose dans ce cas l’existence d’un système politique exceptionnel de stabilité et de capacité de contrôle des forces hors système, doive commencer à être sérieusement révisé. Comme Louis-Ferdinand Céline disait de Dieu Lui-même, l’American Dream dans sa forme du contrôle du système est en réparation d’urgence ; la panne s’avère carabinée, peut-être irréparable...
Le constat général que nous ferions, en ce qui concerne la situation électorale, du simple point de vue de la tactique, est que Tea Party est en train de bouleverser avec sa tactique la stratégie du système. Il refuse absolument le principe, également cardinal et correspondant lui aussi à l’état d’esprit de l’American Dream, de l’arrangement politique, éventuellement bipartisan, au nom de l’intérêt commun de la subsistance du système (l’American Dream, version politicienne). Tea Party, avec tous ses défauts et malgré tous les anathèmes dont on le charge, ou à cause de ceci et cela, n’a rien à faire de cet American Dream-là. Sa tactique naturelle, peut-être (sans doute ?) inconsciente, est celle de la rupture et du désordre. Elle est donc également non conforme, dans le sens très spécifique du non-conformisme par rapport à un système dont l’armure principale est le conformisme des pensées. Dans l’esprit, on dirait qu’elle est asymétrique, correspondant à l’esprit de la “guerre asymétrique”, si en vogue chez nos théoriciens militaires (vogue de la guerre asymétrique, en général, de notre part, pour surtout n’en rien comprendre et la perdre). Le but de Tea Party n’est pas vraiment de gagner mais de détruire un processus, de briser une logique déstructurante, – logique et action déstructurantes de Tea Party contre une structure jusqu’ici si efficace dans sa capacité de recycler, d’une façon déstructurante, toute contestation fondamentale en une bouillie pour les chats dont le système ne fait qu’une bouché, – par conséquent, avec l’acte de l’attaque déstructurante (de Tea Party) d’un système déstructurant, action structurante en soi.
Cela nous conduit naturellement, logiquement si l’on veut, à constater que l’action de Tea Party relève, sans construction théorique ni volonté planificatrice mais par nature en vérité, de la fameuse “Guerre de 4ème Génération” (G4G). Il s’agit du concept élargi considérablement au champ de bataille aux circonstances diverses qu’est en train de devenir la situation mondiale, et la situation aux USA plus précisément, d’une bataille fondamentale entre le système monstrueux de puissance exclusive de toute autre mais profondément en crise, et les forces contestatrices qu’il suscite contre lui. Il n’est pas question dans notre propos du concept G4G réduit à la seule action guerrière, mais d’une immense bataille où la guerre selon l’emploi des armes a sa place, mais où de très nombreuses autres formes d’action ont aussi la leur, et de plus en plus importante. Et nous ne parlons pas de possibles troubles à venir, “pas encore” éventuellement, mais bien de l’action intrusive et déstructurante de Tea Party contre le processus électoral du système, qui est (était) la garantie du maintien du contrôle de ce système derrière une apparence de légitimité, donc la garantie de la poursuite de son imposture.
Dans une de ses dernières interventions disponibles (il n’a plus publié depuis son billet du 15 décembre 2009, où il annonce un retrait inattendu du commentaire stratégique), William S. Lind s’intéressait au problème de certains aspects d’actions violentes et déstructurantes aux USA même. Bien qu’il ne s’agissait nullement de Tea Party et de la forme d’action (non militaire) que nous identifions à propos de ce mouvement, un constat de Lind, du 24 novembre 2009, reste valable, – ô combien, – effectivement en écartant l’aspect militaire, donc dans son esprit essentiellement : «As I have said time and again, the main Fourth Generation threat we will face will be on our own soil, not halfway around the world, where we are currently pouring our strength out into the sand. We will come to regret that waste bitterly.»
Rupert Cornwell écrit dans The Independent de ce 16 septembre 2010, à propos des mésaventures du parti républicain et de Tea Party : «The Republican Party has got what it asked for: civil war…» C’est juste sur le fait brut, bien moins sur les considérations, bien trop électoralistes et conventionnelles qui l’accompagnent. Déplorer la fin du bipartisanship, de la “bonne gouvernance” US (quel étrange oxymore) etc., c’est bien et sans surprise s’affirmer comme soutien de ce système monstrueux de puissance et plongé dans un crise monstrueuse de désordre… «The biggest damage however will be to the good governance of America. The country faces huge structural challenges – reducing the deficit, reshaping energy policy and seeing through healthcare reform to name but three. In the end, under the finely calibrated US political system, such challenges are best settled by compromise and bipartisanship.»
Non, “the biggest damage” concerne moins la “bonne gouvernance” qui n’est plus qu’un souvenir nostalgique des temps disparus, que la psychologie ; “the biggest damage” est causé à la psychologie subvertie, qui est emprisonnée par le système, conduite d’une façon totalitaire à alimenter une pensée qui débite mécaniquement les appréciations louangeuses du système de l’American Dream. Par bonheur, le “biggest damage” a été causé, ce 14 septembre, à cette psychologie emprisonnée et la chose prend ainsi sa place dans le formidable travail de déstructuration des vertus du système, dans la perception de cette psychologie.
Peu nous importe, on le comprend, les résultats qui comme on dit, sortiront des urnes, comme si les urnes régulièrement tronquées et truquées avaient encore quelque vertu de légitimation que ce soit. (Ces résultats nous importeront, lorsqu’il sera temps de les décompter et de les interpréter, s’ils confirment et accélèrent encore la tendance formidable au désordre que les votes du 14 septembre ont déjà eux-mêmes confirmée. Ce qu’ils feront d’ailleurs, – confirmation et accélération, – à coup sûr.) Nous importe essentiellement l’immense choc psychologique qui a secoué le système le 14 septembre, et la fragilité extraordinaire de cette psychologie ainsi mise en évidence. Aujourd’hui, leur psychologie corrompue tremble en entendant et en entendant répéter ces mots : “civil war”, car c’est bien la guerre civile qui aujourd’hui s’introduit désormais en son cœur, dans cette psychologie corrompue, y entrant comme dans du beurre rance.
Il n’y a pas de spectacle plus affligeant (et roboratif pour notre parti pris) que de voir le parti démocrate sortir ses calculettes et ses stratèges de fortune, et supputer sur sa propre bonne fortune électorale qu’implique peut-être la “discorde chez l’ennemi”, – alors que, républicains ou démocrates, c’est la même boutique. L’éventuelle “victoire” démocrate dans ce sens serait une défaite honteuse maintenue dans les bornes du convenable, pour permettre au parti démocrate de continuer à habiller de quelques formules ronflantes, progressistes et convenable qui rassurent sa bonne conscience moderniste, la pérennisation de l’impuissance et de la paralysie. Le parti démocrate, avec ou sans majorité, c’est toujours la même impuissance et la même paralysie, clone à peine grimé du parti républicain et aile soi-disant de gauche du “parti unique”.
Par conséquent, la psychologie du système de l’américanisme plus que jamais, terriblement touchée de plein fouet, encore un peu plus déstructurée, avec l’écho outrancier et formidable que le système de la communication transporte et répand comme une pluie diluvienne et une traînée de poudre. La “discorde chez l’ennemi” est bien réelle, mais elle le cède de plus en plus à “la confusion chez l’ennemi”, le système plongé dans la nuit de son incompréhension de la situation, de la panique devant la situation, de l’impuissance et de la paralysie face à la situation…Pourtant, la situation politique n’est pas si grave à s’en tenir aux faits, et il suffirait d’une grande voix, à-la-Roosevelt ou à-la-Gorbatchev, pour tenter un coup qui rétablirait l’ordre par le biais de la mobilisation face aux menaces qui écrasent l’Amérique, venues d’elles-mêmes, des termites qui la rongent sans pitié. Mais oublions cela ; BHO le faux illusionniste n’a rien d’un FDR ni d’un Gorbatchev. Tout juste pourrait-il être, comme il le rêve, un Lincoln, – mais ce Lincoln dans la partie initiale de sa carrière présidentielle, celle qui n’est pas la plus glorieuse, le Lincoln qui mit en marche les mécanismes de la Guerre Civile… Alors, l’on verrait bien que les Français ont raison de donner à cette Civil War américaniste, le nom bien plus juste de Guerre de Sécession américaine, – seconde du nom cette fois, et la bonne. Par conséquent la situation “n’est pas si grave”, elle est simplement extrêmement grave.