Une attaque dans une époque nouvelle

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Une attaque dans une époque nouvelle

En un sens, on peut dire que l’attaque israélienne contre le Hamas est une grande nouveauté, malgré les apparences. Certes, elle suit une habitude d’interventions peu préoccupées des lois internationales et autres arrangements qui n’intéressent guère Israël. En cela, bien entendu, rien de nouveau, comme il ne faut rien attendre de nouveau de Netanyahou dans ce domaine. L’attaque a immédiatement été interprétée comme un moyen de renforcer Netanyahou pour ses prochaines élections législatives de janvier 2013. Une autre interprétation manœuvrière, qui peut évidemment compléter la précédente sans la contredire une seconde, au contraire, est que Netanyahou entend ainsi torpiller toute tentative US de négocier directement avec l’Iran ; l'idée est que l’Iran ne pourrait plus envisager, selon ce calcul, une négociation qui semblerait être une façon de pactiser avec un pays (les USA) qui soutient naturellement l’attaque d’Israël contre Hamas et les Palestiniens, à l’égard desquels le même Iran a un devoir de soutien.

Mais l’attaque intervient aussi et surtout dans une situation régionale, stratégique et politique, qui n’a rien à voir avec ce qui a précédé. C’est la première attaque israélienne d’envergure contre les territoires palestiniens, qui se produit alors que le “printemps arabe“ et tout ce qui s’ensuit ont installé une situation complètement nouvelle. En ce sens, elle a un côté historique, qui n’est pas sans la potentialité de réserver des surprises. Pour la première fois depuis longtemps, certainement depuis le 11 septembre 2001, l’attaque ne peut pas être cantonnée au seul binôme Israël-Palestiniens, avec l’avantage pour Israël de l’impunité d’intervenir à volonté contre les Palestiniens, sous l’habituelle approbation des USA. Cette approbation n’est pas absente au rendez-vous, mais elle est plutôt convenue et sans conviction et, de toutes les façons, elle ne suffit plus à garantir l’impunité et à limiter les conséquences et les effets de l’attaque aux seuls deux acteurs concernés.

C’est ce que “b”, l’éditeur de The Moon of Alabama explique en un sens, en détaillant simplement les éléments nouveaux de la situation, des éléments qui n’existaient pas avant courant 2011… (Le 14 novembre 2012.)

«If Egypt were still under Mubarak I would expect that the slaughter would end after about thousand death and nothing would have changed. Unless Israel fully occupies the Gaza strip there would be no lasting strategic effect. But Egypt now has a government that is has to, at least somewhat, answer to its voters. There will soon be new parliamentary elections in Egypt and the Muslim Brotherhood is in a political competion with forces on the left and on the right. Seeing their brokering of a truce sabotaged by Israel and under internal political pressure the Morsi government will have to do more than to just stand by and watch.

»The situation is also different with regard to other players. Hamas has support from Turkey and Qatar. Jordan is very weak as is the Abbas regime in the West Bank. Both could fall. This war on Gaza could thereby have strategic effects which would likely be of the kind that Netanyahoo voters will not like.»

• On renforcera un des éléments de ces remarques par une précision sur un des pays cités, reconnu comme très affaibli mais jusqu’ici sans éléments spectaculaires à cet égard, et qui en a soudain manifestés au moment où avait lieu l’attaque israélienne. Al Akhbar du 14 novembre 2012 signale la violence de l’évolution des troubles civils de ces trois derniers jours en Jordanie.

«Overnight demonstrations over fuel price hikes in Jordan may have spiraled into a nation-wide revolt against the country's regime Wednesday, according to various activist sources. Rioting broke out in several cities and various key routes were reported to have been blocked by protesters, after Jordanian prime minister Abdullah Nsur announced a 53 percent increase in household cost of gas and a 12 percent rise in petrol prices. […] In some of the demonstrations, people were heard chanting: “the people demand the fall of the regime.” The chant is a rhetorical hallmark of the so-called Arab Spring, which was widely seen to have sidestepped Jordan.»

• Le pays arabe le plus concerné dans cette affaire, et dans ce cas également un acteur complètement nouveau, c’est l’Égypte de Morsi. Elle n’a pas beaucoup de moyens d’agir mais elle ne peut absolument pas laisser faire sans réagir. Morsi est peut-être, du point de vue des moyens, dans une attitude proche de celle de Moubarak dans cette sorte de circonstances, mais du point de vue de l’état de l’esprit, des nécessités politiques, des impératifs de son pouvoir et du crédit du nouveau régime, et de son prestige nouveau dans le monde arabe autant que de ses convictions après tout, il est dans une position diamétralement opposée. Moubarak s’en lavait les mains, Morsi ne peut pas s’en laver les mains.

Russia Today, du 15 novembre 2012, annonçait que Morsi avait rappelé son ambassadeur à Tel Aviv, demandé une réunion d’urgence de la Ligue Arabe, convoqué l’ambassadeur israélien au Caire pour lui faire quelques remarques peu amènes… L’article se poursuit et se termine de la sorte :

«The leader of Hamas in the Gaza Strip implored Arab states – Egypt in particular – to come to the defense of the Palestinians. “We call on our Arab brothers, and especially Egypt … and the new Egyptian presidency, to suppress this barbaric campaign in defense of Gaza and its people,” Ismail Haniyeh said in a statement.

»Morsi, a staunch supporter of Palestine on the campaign trail, had been expected to open the blockaded Gaza Strip bordering Egypt, though his government did not follow through. In light of the recent escalation of violence, RT’s Thomas Barton, who is reporting from Tel Aviv, said there is widespread speculation that Egypt might open the Rafah border crossing so that Palestinian civilians could get out of Gaza and Muslim Brotherhood fighters could get in.»

La position du gouvernement égyptien,– nécessité de faire quelque chose, guère de moyens de faire quelque chose, – est résumée par le site The Arabist.net, du Caire, ce 15 novembre 2012  : «Egypt's response will be telling, since not 24 hours ago it was trying to broker a ceasefire. As Issandr noted, the Brotherhood is now in the same predicament Mubarak was: the Egyptian public and the ruling party's critics want “action,” but the ruling party is bound by the peace treaty. Joseph Dana's succinct summation is that with this action, Israel is saying to Egypt: “F* You.” Already, Cairo has recalled its ambassador from Tel Aviv and called for a UN Security Council meeting, but there is relatively little else Morsi can do…»

• Mais tout cela ne suffit pas à décrire toute la situation, tant s’en faut. Le “Israel is saying… ‘F* You’” (ou “Fuck you” pour les amis) vaut aussi bien pour le Qatar. Il y a quelques semaines, l’Émir, dans la logique de son ambitieuse politique étrangère, était venu à Gaza saluer le Hamas, et tout le monde s’était exclamé devant cette audacieuse avancée expansionniste. Que fait le Qatar aujourd’hui ? Bouge-t-il le petit doigt, ou le plus petit milliard de dollars en équipements de guerre et en “combattants de liberté” ? Va-t-il songer à aider Hama comme il aide la fameuse “résistance” syrienne constituée à coups de knout, à Doha, ce week-end ?

• Le même “Israel is saying… ‘F* You’” ne vaut-il pas également pour Erdogan, qu’on attendait en visite à Gaza, où il entendait affirmer la préoccupation turque pour la défense et l’intégrité des pauvres Palestiniens ? Que va faire Erdogan ? Va-t-il ménager une base arrière pour des “combattants de la liberté” volant au secours des Palestiniens ? Va-t-il affréter une “flottille de la liberté”, comme celle du printemps 2010, pour se rendre à Gaza, sous les bombes israéliennes ? Va-t-il menacer d’envahir Israël comme il menace d’attaquer la Syrie ?

• La Syrie, justement : qui va y retrouver ses repères et ses références ? En théorie, les Israéliens ne vouent-ils pas aux gémonies Assad, aux côtés des Turcs et des Qataris, quasiment alliés sinon amis sous la houlette et l’inspiration du bloc BAO en général ? Que faire de cette situation, alors qu’ils se retrouvent, les uns et les autres, en position si antagoniste à propos de l’attaque israélienne ? Et les “rebelles syriens” ? Certains ne devraient-ils pas se sentir solidaires des Palestiniens attaqués par Israël ? Est-ce indifférent, dans l’atmosphère actuelle, le déchaînement d’interventionnisme, les démarches guerrières et ainsi de suite ?

La situation est ainsi pleine de questions et de supputations complexes et inquiètes. La différence est étonnante avec ce qui a précédé, lorsque les affrontements israélo-palestiniens se déroulaient en champ clos, sous le regard souvent indifférent des autres, ou sous pas de regard du tout. Aujourd’hui, le bouillonnement israélo-palestiniens, déclenché pour des raisons qui relèvent souvent de calculs cyniques, ne peut plus être séparé du reste de la région, qui est également un bouillonnement lui-même.

Ce constat ne signifie rien de plus que ce qu’il dit et ne prétend certainement pas suggérer des prolongements de rupture ou des orientations brutales. Simplement, il dit que toute la région, en deux ans, s’est complètement intégrée, non pas en un ensemble d’équilibre et de bonnes ententes comme on attend d’habitude d’une intégration régionale, mais dans un ensemble de fureurs, d’affrontements, de désordres et de dynamiques de rupture, qui se résument en une logique de déstabilisation. Il n’est pas assuré que les Israéliens aient précisément mesuré cela ; ni, d’ailleurs, les autres acteurs. Cela fait que l’opération engagée par les Israéliens, et qui a soulevé des réactions nécessairement vives, fait partie du domaine de l’incontrôlabilité d’où peuvent sortir des situations inédites.


Mis en ligne le 15 novembre 2012 à 18H45