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2652L’évaluation générale du renseignement US que vient de donner le bureau du DCI (Director of Central Intelligence) sur les capacités nucléaires militaires de l’Iran constitue un événement important par ses implications diverses. La NIE 2007 (ou National Intelligence Estimate) met en évidence que l’Iran avait arrêté son programme de développement d’armes nucléaires en 2003, et, qu’au mieux (en cas où il reprendrait un tel programme) il ne disposerait pas d’assez d’uranium enrichi pour commencer à le mener à bien avant au moins 2015.
Parmi beaucoup d’autres, le Guardian d’aujourd’hui juge aussitôt que c’est un très rude coup pour l’administration GW Bush :
«US intelligence agencies undercut the White House yesterday by disclosing for the first time that Iran has not been pursuing a nuclear weapons development programme for the past four years. The secret report, which was declassified yesterday and published, marked a significant shift from previous estimates. “Tehran's decision to halt its nuclear weapons programme suggests it is less determined to develop nuclear weapons than we have been judging since 2005,” it said.
»The disclosure makes it harder for President George Bush, to justify a military strike against Iran before he leaves office next year. It also makes it more difficult to persuade Russia and China to join the US, Britain and France in imposing a new round of sanctions on Tehran.»
Le même Guardian précise que la décision iranienne d’arrêter son programme de dévloppement d’armes nucléaires date à peu près du début de l’initiative politique européenne à cet égard, en octobre 2003 (« The weapons halt roughly coincided with a visit by British, French and German foreign ministers to Tehran in October 2003»). Le rapport justifie ce jugement implicite de l'efficacité de l'intervention européenne en notant que l’arrêt du programme nucléaire militaire fut imposé à l’Iran «primarily in response to increasing international scrutiny and pressure» Il s’agit d’un très sérieux argument en faveur 1) de la méthode diplomatique pour obtenir des concessions de l’Iran, et 2) de l’absence des USA dans l’application de cette méthode puisque c’est l’intrusion indirecte de ce pays dans ces négociations (fin 2004-début-2005), par pressions sur les pays européens pour une attitude plus ferme, qui a fait surgir la possibilité d’une attaque contre l’Iran.
Le New York Times, d’aujourd’hui également, évoque notamment les interrogations qui entourent la politique de l’administration Bush, par la voix du chef de la majorité démocrate au Sénat, et les réactions de l’administration. L’une des critiques implicites de l’administration est que les agences de renseignement (les 16 agences dont la NIE est la synthèse de leurs estimations) semblent juger l’Iran comme un état rationnel, et non pas l’“état-voyou” tel que représenté par GW Bush depuis son discours sur “l’axe du mal” de janvier 2002, – bref, le reproche est celui de ne pas adhérer aux phantasmes de la direction américaniste:
«Senator Harry Reid, Democrat of Nevada and the Senate majority leader, portrayed the assessment as “directly challenging some of this administration’s alarming rhetoric about the threat posed by Iran” and called for enhanced diplomatic efforts toward Tehran. Democratic presidential candidates mostly echoed Senator Reid, but also emphasized that Iran’s long-term ambitions were still a great concern to the United States.
»In interviews on Monday, some administration officials expressed skepticism about the conclusions reached in the new report, saying they doubted that American intelligence agencies had a firm grasp of the Iranian government’s intentions.
»The administration officials also said the intelligence findings would not lessen the White House’s concern about the prospect of a nuclear-armed Iran. The fact that Iran continues to refine its abilities to enrich uranium, they said, means that any decision in the future to restart a nuclear weapons program could lead Iran to a bomb in relatively short order. While the new report does not contrast sharply with earlier assessments about Iran’s capabilities, it does make new judgments about the intentions of its government.
»Rather than portraying Iran as a rogue, irrational country determined to join the club of nations that possess a nuclear bomb, the estimate says Iran’s “decisions are guided by a cost-benefit approach rather than a rush to a weapon irrespective of the political, economic and military costs.”»
On pourra également se demander comment cette NIE 2007 a pu être réalisée et publiée, sinon par l’explication de bon sens, qui corrobore tant d’autres faits du même genre, que le pouvoir n’existe plus aujourd’hui à Washington. Chaque centre de pouvoir joue son propre jeu et la communauté de renseignement semble avoir estimé qu’il était temps pour elle d’affirmer son autonomie vis-à-vis de la partie du pouvoir législatif qui continue à être conduite par l’irrationalité guerrière de quelques-uns, – notamment en ne corroborant pas l'analyse des dirigeants US fondée sur un procès d'intention fait à un Iran déclaré coupable avant d'être jugé sur les faits.
Dans tous les cas, la NIE 2007 doit mettre en évidence la crise fondamentale de la direction occidentale dans son ensemble. C’est en effet au son d’une évaluation absolument contraire dans son esprit et dans sa méthodologie à celle de la NIE que, depuis deux ans, la plupart des gouvernements occidentaux raisonnent. Leur seul point de référence n’est plus de savoir ce qui se passe en Iran mais cette simple question, relevant d’une déraison barbare: attaque-t-on ou n’attaque-t-on pas l’Iran ?
La NIE 2007 met en évidence, volontairement ou pas qu’importe, la complète perversion de l’état d’esprit de ces gouvernements occidentaux, — tous, en effet, y compris ceux qui sont en désaccord avec les USA et qui n’osent pas dénoncer comme une folie irrationnelle cette référence à l’option de l’attaque de l’Iran.
La NIE 2007 met en cause, volontairement ou pas qu’importe, la crise fondamentale de toutes les directions occidentales dans la pratique de la diplomatie, ou de ce qui en tient lieu. Si l’on parle de ceux qui jugeaient secrètement que les intentions US d’attaquer l’Iran étaient une folie, on avait largement dépassé le stade où la logique politique était d’abandonner toute espèce de diplomatie pour rendre public ce jugement. L’absence d’une telle prise de position de ces pays de la dénonciation de la référence à l’option de l’attaque est une autre illustration de la crise occidentale. Cela dépasse très largement la question de savoir si tel ou tel pays dispose ou disposera d’armes nucléaires.
La NIE 2007 met en lumière, volontairement ou pas qu’importe mais d’une façon irréfutable, que la véritable crise du monde se trouve, aujourd’hui, chez ceux qui prétendent en être les victimes et qui se jugent fondés d’avoir le droit moral et le pouvoir politique, en plus de la puissance, de les résoudre. Ce rapport est pire qu’une débâcle militaire dont, pourtant, nos pays sont désormais coutumiers, sur tous les fronts qu’ils prétendent ouvrir.
La NIE 2007 nous avertit, volontairement ou pas qu’importe, que nous sommes nous-mêmes la cause centrale de la crise de la civilisation occidentale. La phrase de Paul Craig Roberts sur l’Amérique que nous citions récemment vaut pour l’Occident : «La Superpuissance [occidentale] est une nef de fous qui nient leur destin catastrophique».
Mis en ligne le 4 décembre 2007 à 14H15