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32375 mars 2012 – Dans notre dde.crisis du 10 décembre 2011 (voir aussi le 19 décembre 2011), nous nous attachions à un exercice d’“analyse intuitive” de l’année 2012, que nous baptisions “année métaphysique”. Nous constations en effet qu’il y avait la conjonction, d’une part d’une crise qui ne cessait plus de s’affirmer comme la “crise centrale”, la “crise d’effondrement du Système” (puis, plus tard, “crise haute”) ; d’autre part, d’une succession d’évènements institutionnalisés importants, de changements de direction impliquant une intervention de forces politiques classiques extérieures (élections) aux structures normales de direction (en Russie, en France, au Mexique, aux USA, en Chine). Nous remarquions que ces “évènements institutionnalisés” n’avaient nullement été perçus comme un processus de re-légitimation du Système pour les directions qui en sont proches, figurant une sorte de reprise en main des affaires au profit du Système, mais plutôt comme un processus actant la crise dans le chef de toutes les directions concernées, et présentant leur renouvellement comme une sorte de confirmation de la crise, nécessairement en mode plutôt “défensif”… Nous écrivions effectivement :
«Ce qui est remarquable, c’est cet état d’esprit défensif, cette absence d’utilisation tactique des rendez-vous démocratiques (avec la perspective habituelle d’affirmation de re-légitimisation), cette absence d’interprétation de la crise comme un incident passager qui sera vite résolu, cette absence de solidarité des directions politiques dans le procédé-Système qu’est l’utilisation du virtualisme. Bien évidemment, le propos doit être considérablement nuancé lorsqu’il s’agit de la Russie et de la Chine, mais il reste valable parce que ces deux pays dépendent tout de même du Système même s’ils ne l’aiment pas et même si, secrètement ou pas, ils lui prédisent un sort catastrophique. (Nous avons déjà conjecturé que l’accord Medvedev-Poutine pour un retour de Poutine à la présidence avait comme raison d’assurer une transition rapide, avec la même équipe à rôles inversés, pour se préparer au pire.)»
…Certes, nous parlons pour l’instant de la Russie, dont le cas est, avec celui de la Chine, notablement différent, si pas antagoniste, de ceux de la France et des USA. Notre idée du “se préparer au pire” (pour la direction russe) est largement confirmée, autant que le tournant (voir le 25 février 2012) que nous avions suggéré, à partir des élections de décembre 2011, vers les questions fondamentales de politique extérieure et de sécurité nationale et internationale. Pour des raisons diverses dont certaines pourraient être tenues pour conjoncturelles et hasardeuses mais dont l’essentiel est fortement significatif, la Russie est entrée dans la campagne présidentielle et a évolué jusqu’à l’élection, dans une atmosphère sans cesse grandissante de mobilisation face au danger extérieur. Le paradoxe des tentatives intérieures (dont une part machinée à partir des courroies de transmission du bloc BAO type-ONG) est qu’elles ont abouti au contraire de ce qu’elles visaient. Il y a là une confrontation des actes habituels de subversion et d’une tendance plus haute suscitant une inversion vertueuse, qui a abouti à l’activation de cette tendance haute.
Poutine a évidemment servi d’instrument conscient à cette inversion vertueuse, et sa victoire doit être perçue, et le sera de plus au plus, comme justifiée par une urgence de sécurité nationale et internationale, au nom du danger général de la “crise haute” contre laquelle il est apparu rapidement comme le seul rempart possible. Nous observions ce phénomène le 25 février 2012, tel que l’expliquait Dmitry Polikanov le 21 février 2012, jugeant sur l’instant cette orientation comme inhabituelle : «The election campaign in Russia has eventually reached a stage at which national security issues are on the agenda. Normally they are not the utmost priority for the majority of Russians and are resorted to at times when some mobilization of the general public is needed…» Mais il se trouve que, forcé par les circonstances et finalement rencontrant la vérité de la situation, le parcours du “candidat-élu-d’avance” (dans des “élections-truquées-d’avance”, interprétations-Système standard du bloc BAO) a amené une complète transmutation de la situation. La réalisation s’est imposée que cette “mobilisation” qui semblait sollicitée pour les besoins d’une rhétorique électorale, était en fait devenue évidente et reflétait justement cette vérité…
La vision de Poutine d’un énorme défi au niveau de la sécurité, estime Polikanov, est «a reflection of fundamental perceptions shared by the majority of Russians. There are a few of them. One is a profound belief in the inevitability of Russia’s greatness – the country is doomed to strive for power and authority in global affairs. Without such muscle-flexing, weak Russia would immediately fall victim to foreign hawks who seek its disintegration…»
Ainsi, l’élection présidentielle, malgré un résultat qu’on estime aujourd’hui comme ayant été acquis par avance, estimation saupoudrée massivement du côté du bloc BAO par la constante haineuse du commentaire anti-Poutine et la condamnation sans procès d’une élection inévitablement dénoncée comme truquée, – les billevesées habituelles, quelle que soit la réalité de la charge qui ressort de la bassesse du moralisme-Système, – l’élection présidentielle russe est tout de même une complète surprise. A côté des commentaires classiques et d’une inconsistance pesante, il reste ce fait non encore pleinement réalisé que, ce matin, la Russie se réveille sur un “pied de guerre”, et d’une “guerre” sans équivalent, qui se définit dans cette situation où ce pays réalise qu’il se trouve face à la monstrueuse crise qui secoue l’univers. La Russie est le premier pays à appréhender d’une façon si institutionnelle cette terrible vérité pour ce qu’elle est.
En effet, c’est la surprise de cette élection… Le voile s’est déchiré et la réalisation, – qui doit encore pénétrer les psychologies mais cela se fera très vite, – a été complète du formidable danger qui pèse désormais sur la Russie comme sur le monde. Observant cela, nous décrivons implicitement une stratégie et une tactique d’une “guerre” qu’on retrouvera décrite plus bas, plus largement, chez Igor Panarine, donnant la clef de l’opérationnalité du discours extrêmement grave et alarmiste de sécurité nationale et de sécurité internationale développé par Poutine durant les trois à quatre dernières semaines avant son élection. L’intérêt dans les déclarations de Poutine, pour notre propos, c’est sa propension à mettre l’accent sur l’aspect chaotique, imprévisible, souvent contreproductif par conséquent, de la politique US et, par conséquent, du bloc BAO, qui représente la principale manifestation déstructurante et dissolvante du Système. (Extrait de déclarations du 25 février 2012, à Sarov) : «“Under the guise of trying to prevent the spread of weapons of mass destruction they [the US] are attempting something else entirely and setting different goals – regime change,” news agencies quote Putin as saying. The Russian PM pointed out that US foreign policy, including that in the Middle East, was expensive, inefficient and largely unpredictable. Putin also added that, among other things, it may eventually disserve Israel. “They changed regimes in North Africa. What will they do next? In the end, Israel may find itself between the devil and the deep blue sea”" he said.»
D’une façon générale, ce type de déclaration implique la représentation de la politique US comme une politique-Système bien plus que comme un avatar expansionniste et belliciste, un exemple de ce que nous sommes conduits à nommer le “chaos destructeur” de la politique US (et, par conséquent, du bloc BAO), pour la différencier de la définition hollywoodienne de “chaos créateur”. Poutine suit cette même ligne de considérer la crise non pas comme une crise classique due à l’expansionnisme belliciste, mais bien comme une crise du Système entré dans une phase chaotique autodestructrice, ce que nous soulignions également dans le propos de Panarine qu’on retrouve plus bas. (Chez Poutine, l’on retrouve cette dualité de condamner les politiques du bloc BAO, dont l’Europe est partie prenante, en Syrie et en Europe, et, en même temps de faire appel à l’Europe pour qu’elle s’extraie de cet enchaînement fatal) :
«Il s’agit de la prise de conscience de l’universalité de la crise, du caractère d’inéluctable effondrement qui la caractérise (autodestruction), notamment avec l’identification très correcte du fondement de la politique d’agression expansionniste (Libye, Syrie) comme politique d’“activation du chaos” sans autre but que ce chaos comme facteur d’autodestruction du Système, effectivement “chaos destructeur”. (Cela justifie, par exemple, que Panarine, tout en identifiant implicitement l’Europe comme un des moteurs de cette politique d’activation du chaos, fasse appel à cette même Europe pour le projet eurasien : il comprend bien que la mécanique en marche est une production du Système, dont l’Europe est dans ce cas la prisonnière, et le projet eurasien devient alors une proposition de libération faite à l’Europe.)»
En effet, il ne doit faire aucun doute que c’est bien l’intervention d’Igor Panarine, telle que nous l’avons rapportée et commentée le 3 mars 2012 (le passage ci-dessus en est extrait), qui nous permet d’asseoir notre hypothèse développée ici. La personnalité et le rôle du personnage, au sein même du pouvoir russe dans ses canaux de soutien et de réflexion, nous paraît en effet fixer très précisément cette évolution du climat que nous ressentions depuis trois ou quatre semaines dans les positions de plus en plus affirmées du futur vainqueur des élections et, plus généralement, dans les structures de la direction russe. (C’est d’ailleurs une indication que le site Russia Today conserve ce jour, dans son rangement de mise en page, ce texte du 2 mars 2012 de Panarine comme commentaire principal de l’élection de Poutine.) Le texte de Panarine a le mérite d’éclairer ce phénomène encore insaisissable de jugements assez précis et de conceptions assez inhabituelles pour effectivement substantiver l’idée qu’il y a la réalisation, dans cette même direction russe, de l’ampleur générale de la crise et de ses caractères fondamentalement menaçants pour tout l’équilibre du Système, pour le Système lui-même, donc avec des effets à mesure pour toutes les structures existantes, y compris celles qui sont antiSystème, et pour la Russie évidemment.
L’essentiel, chez Panarine, bien entendu, c’est l’introduction d’éléments complètement nouveaux dans l’équation de la crise et des positions à tenir vis-à-vis d’elle, notamment le rôle-Système du système de la communication en mode d’agression systématique contre la Russie et l’appel à la spiritualité comme valeur fondamentale à ériger dans la position à tenir face à cette crise, ou dans l’ouragan de cette crise qui emporte tout le monde. (Cela rejoint notre remarque spéculative extraite de dde.crisis, concernant le jeu Medvedev-Poutine, présenté comme ayant été orchestré pour garder une direction expérimentée, ainsi mieux capable de “se préparer au pire”. Le “pire”, dans ce cas, ne se résume pas à une crise syrienne ni à une crise autour des systèmes anti-missiles BMDE, ni même à une guerre en Iran, mais bien à la crise haute du Système dans toute sa puissance, sa complexité, ses multiples inconnues, sa dimension hors des normes, – bref, son caractère eschatologique.)
• Le système de la communication, sous la forme de l’exhortation à lutter contre l’“agression des médias occidentaux contre la Russie”, représente un appel à se saisir du champ de la perception et de la psychologie, reconnaissant de facto que le nœud central de la puissance se trouve sur ce terrain. C’est faire évoluer la grande question politique des relations internationales vers des domaines essentiels mais nouveaux selon des conceptions “classiques” dépassées, type géopolitique, des domaines où la psychologie joue le rôle principal.
• Il s’ensuit logiquement que la meilleure arme dans cette guerre de perception et des psychologies, c’est une affirmation assez forte pour bouleverser les perceptions et influencer les psychologies à mesure. C’est le fameux appel à la “spiritualité”, représentant sans aucun doute une nouveauté décisive, qui s’imbrique d’ailleurs parfaitement au fait russe (l’“âme russe”) à laquelle il est fait appel, non seulement pour lutter contre l’agression occidentale de communication, mais pour lancer une contre-attaque sur ce même terrain… Mais cette contre-attaque porte en elle le potentiel de forcer la conception de la politique nécessaire dans ces temps de crise haute à chercher à se hausser à un niveau nécessairement supérieur. Cela concerne, dans ce cas, aussi bien les adversaires des Russes que les Russes eux-mêmes, parce que la crise haute affecte tout le monde, d’une façon ou d’une autre.
Il est évident que ce schéma suggéré par Panarine, et sans nul doute partagé par la direction russe et par Poutine, constitue un pas de géant dans la perception des forces politiques de la crise générale, – qui peut désormais se trouver confirmée dans sa dénomination de “crise haute”. Il est évident également que nous n’intervenons pas ici en référence au point de vue russe, qui serait nécessairement, selon l'entendement courant, un point de vue géopolitique, lui-même complètement dépassé.
Nous avons déjà dit souvent, d’une façon éparse, pourquoi les Russes nous paraissent particulièrement désignés pour prendre conscience de l’essence eschatologique de la crise (ce qui est le cas avec tous les indices qui se trouvent rassemblés). La Russie est un pays qui a subi lui-même les ravages de deux “crises de système” dues à la modernité au XXème siècle, celle de la chute de l’URSS et celle du capitalisme destructeur, déstructurant et dissolvant, qui lui fut imposé par la contre-civilisation américaniste-occidentaliste dans les années 1990. Elle est en dehors du bloc BAO et donc étrangère à ses entreprises virtualistes et assez instruites et méfiantes à l’égard de l’influence du Système ; elle est néanmoins trop puissante (son armement nucléaire, sa diplomatie, ses ressources en matières premières, sa position et son poids géographiques, etc.) pour être ignorée de quelque façon que ce soit. Elle occupe une place d’influence importante, à la fois à cause du poids stratégique qu’elle fait peser sur l’Europe du bloc BAO, à la fois par ses liens avec le monde dit “émergent” dont elle fait partie par son appartenance au groupement BRICS et à l’Organisation de Coopération de Shanghai. Elle possède une position importante du point de vue de la technologie mais conserve une attitude critique vis-à-vis du système du technologisme. Enfin, ce pays est d’abord, du point de vue culturel et historique, une nation à très forte spiritualité collective (l’“âme russe”), cela qui l’ouvre à des possibilités autres, et évidemment mortellement antagonistes du strict machinisme dissimulé par les faux nez du moralisme et de l’idéologie qui enferme le bloc BAO dans l’emprise du Système. Ce sont toutes ces raisons, et particulièrement la dernière bien entendu, qui expliquent l’importance que nous avons accordée à l’apparition du mot “spiritualité” comme un facteur central de la prospective exposée par Panarine, et facteur inhabituellement considéré d’un point de vue “opérationnel” comme pouvant jouer un rôle important dans les évènements qui se préparent.
Il ne s’agit pas, ici, du seul symbolisme du mot. Le mot “spiritualité” mesure, a contrario, l’emprisonnement de la politique du bloc BAO dans un Système fondé sur le refus de tout produit et attribut direct autres que ceux de la puissance matérielle avec ses faux nez de “valeurs” (moralisme, idéologie) devenues des couvertures adaptée à la dissimulation de ce déchaînement de puissance matérielle. Les dirigeants russes ont montré qu’ils mesuraient effectivement cette chute de la politique du bloc BAO d’un reste de cohérence impérialiste et belliciste en une incohérence totale de recherche nihiliste du “chaos destructeur” directement issue des pressions du Système en mode d’autodestruction. En août 2008, Rogozine développait une critique de l’OTAN qui allait dans ce sens, même s’il n’allait pas encore au terme de la logique. (Il fut tout de même le premier à employer le terme de “technologisme” pour définir l’évolution de l’OTAN.) Aujourd’hui, on voit combien la critique de Poutine porte effectivement, cette fois d’une façon affirmée, sur cet aspect-Système de la politique du bloc BAO, et non plus sur le thème désormais dépassé de l’impérialisme belliciste (ce qui était encore le cas dans son fameux discours de février 2007 à Munich). Ainsi distingue-t-on une cohérence importante dans l’évolution de l’attitude russe, qui va être activée grâce à la rupture conceptuelle que constitue l’élection de Poutine.
Encore une fois, il ne s’agit pas de juger d’une politique spécifique (celle de la Russie) mais bien d’une perception nouvelle, adaptée aux circonstances eschatologiques de la crise haute. Les Russes introduisent un élément nouveau, qui est celui qui ouvre la voie à une compréhension véridique des évènements en cours. Il n’est plus question de concurrences entre les nations, d’idéologies antagonistes, mais bien de l’apparition d’une dimension nouvelle de la politique. Il s’agit d’une interrogation sur le sens (de la politique, de la civilisation, etc.), dont la politique du bloc BAO est devenue l'expression de la négation absolue, absolument nihiliste et absolument entropique. L’emploi du mot “spiritualité” est donc l’indication qu’une politique, aujourd’hui, ne se suffit plus dans les données habituelles de la chose, toutes contaminées, perverties et dissoutes dans l’influence autodestructrice du Système.
Dans ce cadre, la haine extraordinaire qui affecte le personnage de Poutine de la part des commentateurs-Système du bloc BAO, mises à part toutes les explications “objectives” ou informées” qu’on peut avancer et quoi qu’il en soit de leur réalité, est littéralement une haine-Système. C’est le Système qui parle en eux ; et il parle de cette façon, non parce que le personnage visé est exceptionnel (même s’il l’est, même s’il ne l’est pas, peu importe dans ce cas), mais parce que le personnage visé représente, selon la perception qu’en a le Système lui-même, la concrétisation d’une résistance antiSystème majeure, la mise en place pour la première fois institutionnalisée en tant que tel d’un système antiSystème, qui met en évidence le propre caractère autodestructeur et nihiliste du Système.