Une mission par tous les temps

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Une mission par tous les temps

L’intervention du ministre français de la défense, le 11 septembre 2007 à Toulouse, a soulevé officiellement la question importante de l’utilité des systèmes de hautes technologies. Nous avons fait un premier écho à cette intervention, dans notre rubrique Journal, dans notre numéro du 25 septembre. On sait que le ministre mettait en cause le développement systématique des hautes technologies en prenant comme exemple l’avion de combat Rafale.

Le ministre Morin expliquait que le Rafale est un «avion très sophistiqué et difficile à vendre»; il disait: «Je souhaite qu’on propose aux politiques la possibilité de choisir un équipement un peu moins sophistiqué»; il disait encore: «[Q]uand les Américains emportent des contrats, c’est souvent avec des F-16 d’occasion.»

Nous rappelions dans notre numéro du 25 septembre que ce n’était pas la première fois qu’on enregistrait une intervention de cette sorte d’un ministre français. (Nous citions les remarques radiodiffusées du Premier ministre Michel Rocard, en septembre 1988, sur le Rafale, «dossier sinistré», qui contribuèrent notablement à l’échec de l’entrée de la Belgique dans le programme Rafale.) Les hommes politiques français ont un peu en commun cette tendance, à l’image du monde intellectuel français auquel ils sont fort sensibles, à l’image d’un certain esprit français auquel ils sacrifient beaucoup, d’un penchant au dénigrement de leur propre pays.

Les circonstances fâcheuses et l’inconséquence étonnante des hommes politiques français n’empêchent pas que cette déclaration concerne un problème existant, très actuel et pressant. Il s’agit du rôle et de la place des hautes technologies dans les systèmes d’arme. C’est un problème auquel nous sommes nous-mêmes fort sensibles, que nous avons évoqué souvent. Nous prenons l’argument de ces déclarations pour y revenir, mais dans un sens nouveau, comme nous y invite le ministre, — peut-être involontairement, peut-être pas, — qui sait...

De l’impossibilité d’évaluer l’intérêt des hautes technologies depuis 9/11

Depuis le 11 septembre 2001, les conditions de la sécurité internationale ont changé de façon radicale. Ou bien, disons-le différemment: nous avons effectivement acté que les conditions de la sécurité internationale sont bien plus complexes que les stratèges le pensaient précédemment. La G4G (Guerre de 4ème Génération) a fait irruption sur la scène de la pensée stratégique. Pourtant, la G4G n’a finalement rien de bien nouveau puisqu’elle est le label appliqué au conflit vieux comme le monde entre fort et faible. La G4G implique évidemment l’emploi, entre les belligérants, de moyens dits “asymétriques”. Là également, rien de bien nouveau

La G4G d’aujourd’hui a une forme très spécifique comme c’est la logique même, puisque chaque époque donne une forme différente à ce type de conflit. La guerre du faible contre le fort change de figure à chaque époque, avec l’évolution des moyens du fort et l’adaptation du faible à ces nouveaux moyens.

Deux caractéristiques sont propres à cette “guerre du faible contre le fort” telle qu’elle s’est imposée depuis le 11 septembre 2001.

• Une première nouveauté spécifique, c’est le fait que la G4G fait appel à un très grand nombre d’éléments non militaires, ce qui correspond à la diversité de la situation politique. Des facteurs tels que la culture, la souveraineté, la transnationalité, les communications au sens de la circulation de l’information, c’est-à-dire au sens social le plus large, jouent un rôle fondamental.

• Une seconde nouveauté, de non moindre importance sans doute, c’est que l’existence de la G4G est actée et considérée comme un élément fondamental de la situation stratégique, voire même comme la seule forme de conflit probable dans les circonstances actuelles. (La cause principale de cette situation est la crainte des destructions qu’engendrerait un conflit classique de haut niveau, incluant probablement l’emploi du nucléaire dont l’emploi est fortement “banalisé” par la doctrine de frappe préventive des USA. Toutes les puissances militaires, — sauf peut-être les USA, — ont la ferme intention d’éviter un tel conflit. Il en résulte que l’essentiel des conflits se résume à des guerres de type G4G. On ne voit pas, dans la prévision raisonnable, quelque élément que ce soit qui modifie cette situation fondamentalement.)

La G4G occupe donc l’essentiel de la scène stratégique. Cette situation conduit à des questions également essentielles. On mesure de plus en plus précisément combien les systèmes de hautes technologies sont souvent peu à leur place dans un tel type de conflits, souvent inefficaces, parfois contre-performants. Pire encore, la possession de ces systèmes entraîne des tactiques peu adaptées à la G4G et, surtout, influe fâcheusement sur les psychologies. Le conflit du Liban de l’été 2006, où Israël a été humilié par le Hezbollah, est là pour nous rappeler d’une façon spectaculaire cette réalité expérimentée chaque jour en Irak et en Afghanistan. Par ailleurs et pour empêcher toute conclusion hâtive, on sait que si le Hezbollah a fait “sa” G4G en utilisant des moyens et des tactiques souvent jugés dépassés mais bien réadaptés, ou des tactiques et des moyens de conflits “de basse intensité”, il a également utilisé quand c’était opportun des systèmes de hautes technologies. Ce dernier point nous interdit de proclamer la fin de l’utilité des hautes technologies, notamment pour faire ce qui paraît aujourd’hui être la forme de conflit qui lui serait la plus étrangère. Le problème se complique.

Il se complique d’autant plus qu’il est, à notre sens, singulièrement transformé par l’aspect psychologique. Le plus important, nous semble-t-il, dans les hautes technologies, c’est leur effet sur les psychologies de ceux qui les utilisent. L’usage des hautes technologies constitue un phénomène non seulement technique (technologique) et militaire, mais également psychologique. Il nourrit un état d’esprit fait de certitudes souvent déraisonnables, appuyées sur une appréciation générale de l’absolue supériorité de ce moyen. Ainsi doit-on remarquer que c’est également dans l’emploi qu’on fait des hautes technologies que se pose un grave problème d’interférence dans leur éventuel bon usage.

A côté de cela, l’apparition de la G4G n’a pas freiné le développement d’un aspect des hautes technologies lié à la communication. Il s’agit de l’aspect de démonstration, qui est en général beaucoup plus destiné à des “concurrents” dont on est souvent plus les alliés que les adversaires. Ainsi les pays disposant de matériels de hautes technologies ont-ils tendance à déployer dès qu’ils sont disponibles leurs systèmes de hautes technologies, à des fins démonstratives, pour marquer leur différence avec d’autres pays alliés et impressionner éventuellement des acheteurs potentiels. C’est l’aspect “war-proven” qui donne au système une sorte de label de “bonne utilisation”. Cela explique que les Français aient déployé leur Rafale en Afghanistan, suivis deux ans plus tard par les Britanniques avec leur Typhoon. Ces avions réussissent plus ou moins bien leurs missions, parfois au prix d’affirmations bien imprudentes. Il est effectivement imprudent de dire, comme le fait le colonel Parker du IX Squadron de la RAF en partance en août en Afghanistan, que «the Typhoon [will be] a fantastic close air support machine». Quoi qu’il en soit, il semble évident que la volonté de démontrer l’efficacité, la valeur et la puissance des hautes technologies joue un rôle déterminant.

Cet aspect de l’utilisation des systèmes de hautes technologies élargit brusquement, et d’une façon extrêmement bienvenue, le champ de nos réflexions. Il permet de nous échapper du cadre restreint des questions militaires, pour mieux envisager la problématique des hautes technologies et aborder d’une façon plus complète la question soulevée par les remarques du ministre Morin.

Les hautes technologies et la signification politique de la mission de guerre

Cette approche nous invite à considérer les hautes technologies dans un champ plus large qu’à l’habitude et, surtout, différent. Il s’agit d’apprécier ces systèmes de hautes technologies hors de leur référence utile (qu’est-ce que ces hautes technologies sont capables de faire?) et plutôt en fonction de leur référence représentative (quel poids de puissance et de niveau d’expertise représentent-elles?). Notre propos est également d’adopter ce point de vue en fonction de la plate-forme considérée et en fonction de la mission et de la signification politique de cette mission. Ce dernier point est effectivement l’essentiel du propos.

Certes, le jugement de l’officier de la RAF relève de la pure relation publique et, par conséquent, il est stupide parce que sans substance ni fondement. Nous affirmer que le Typhoon est une machine idéale pour l’appui tactique rapproché représente une proposition si déraisonnable qu’elle ne doit même pas être considérée; qui plus est, c’est une proposition sans aucun intérêt. Le Typhoon est en Afghanistan pour figurer, pour affirmer sa présence en conditions opérationnelles, pour dire à qui cela importe, également à d’éventuels acheteurs, qu’il a quitté le stade du prototype, des essais, de la mise en condition, pour le statut opérationnel. C’est un “message” publicitaire qui concerne l’affirmation d’une puissance technologique autant que sa disposition pour d’éventuelles ventes (exportation). Notre propos n’est pas, ici, de déterminer si ce “message” est juste (on a vu ce qu’on en pense) mais de constater que ce “message” est une cause importante du déploiement de l’avion. Nous irions même jusqu’à proposer l’idée qu’il s’agit de la cause principale.

Cela confirme que les hautes technologies ont effectivement une fonction de représentation, une fonction de “communication” au niveau de l’information. Cette fonction est extrêmement forte et importante. Malgré la déraison de présenter le Typhoon comme un avion d’appui tactique rapproché, il reste comme idée principale que le Typhoon est effectivement entré en service opérationnel. On voit bien que le “message“ n’a dans ce cas aucun rapport avec l’efficacité de l’avion. Le cas du Typhoon est très démonstratif parce que, justement, le fondement du message dans la réalité est très faible.

Il s’agit d’une situation typique de notre époque caractérisée par des conflits type G4G et par une définition de la puissance extrêmement complexe, où la représentation tient un rôle très important parce que notre époque est celle de l’information et de ses effets sur la psychologie (l’époque psychopolitique à la place de l’époque de la géopolitique [voir notre rubrique Analyse, 10 décembre 2006]). Cette situation typique conduit au premier constat que l’importance de ce qu’on avait coutume de désigner comme une “machine de guerre” utilisant des hautes technologies ne se mesure plus aux résultats que cette machine obtient dans un conflit, même si elle est plongée dans un conflit; puis au second constat que son importance dépend également de sa puissance en tant que valeur de représentation, c’est-à-dire de symbole de quelque chose d’autre qu’elle-même.

C’est avec ces nouveaux paramètres qu’il faut établir une classification de l’importance des systèmes de hautes technologies et déterminer ceux qui sont nécessaires, ceux qui sont utiles et ceux qui sont inutiles. C’est avec ces nouveaux paramètres qu’il faut examiner à la fois ce que sont ces systèmes de hautes technologies et ce à quoi ils servent, potentiellement et pratiquement.

• Ce qu’ils sont. La question sur la nécessité et l’utilité des hautes technologies est marquée par un paradoxe qui s’explique par la dimension politique et conceptuelle de ces hautes technologies. On veut parler de leur caractère souverain, car c’est évidemment en fonction de cette spécificité que nous devons tenter de répondre à la question envisagée. Aujourd’hui, dans un univers soumis à des forces déstructurantes d’une puissance inouïe, qui dissolvent les puissances et les capacités autonomes, la souveraineté est une des principales forces structurantes. C’est un facteur fondamental de la définition de la “néo-puissance”. La capacité souveraine de concevoir et de produire des hautes technologies fournit la démonstration qu’on dispose à la fois de l’autonomie politique et des moyens de produire ces technologies. La disposition et l’intégration de ces hautes technologies dans un système présentent l’avantage d’une affirmation souveraine de puissance et conduisent à désigner ces technologies comme des “technologies de souveraineté”. Il est impératif de disposer d’au moins un système dans les grands domaines de la puissance pour qu’il y démontre cette capacité technologique souveraine.

• Ce à quoi ils servent. Comment déterminer le choix qu’on fera du système à développer, disposant sans restriction des hautes technologies servant alors de démonstration? Le choix doit être dirigé, en toute cohérence, vers des systèmes remplissant des missions centrales, que nous nommerions des “missions de souveraineté”. Il s’agit de missions militaires absolument nécessaires à l’intégrité et à la défense d’une nation, qui assurent son intégrité territoriale et spatiale. Il s’agit de “missions de souveraineté” dans la mesure où leur but essentiel est d’assurer et d’affirmer la souveraineté de la nation. C’est ce dernier point de la “mission souveraine” qui est nouveau et révolutionnaire dans les nouvelles situations conflictuelles. Ces missions s’imposent comme de type dissuasif, en général non destinées à être effectuées parce que la présence du système d’arme chargé de la mener à bien doit dissuader tout agresseur potentiel de tenter son agression. Cela revient à inclure certains systèmes conventionnels de hautes technologies dans la logique de la dissuasion qui, de sa seule composante nucléaire, est élargie au domaine conventionnel par l’apport souverain des technologies.

La mission souveraine, nouvelle dimension de la dissuasion

Ainsi en revient-on à l’intervention du ministre français Morin à propos de l’avion de combat Rafale. C’est l’exemple même d’une démarche compréhensible et justifiée (l’interrogation sur les hautes technologies) qui prend comme exemple le seul cas où cette démarche est sans le moindre doute injustifiée.

Nous parlons ici de la mission souveraine qu’on désigne techniquement avec les expressions de “supériorité aérienne” ou de “domination aérienne”, et qui se définit bien mieux par l’expression de “contrôle de l’espace souverain”; c’est-à-dire, dans tous les cas l’espace national et, dans des cas conjoncturels, l’un ou l’autre espace non-national dont le contrôle est jugé pour un temps d’intérêt national primordial.

Cette mission n’est pas une mission opérationnelle conjoncturelle, comme par exemple la mission d’appui qui dépend d’une situation opérationnelle changeante au sol. C’est une mission structurelle, qui est opérationnelle ou qui ne l’est pas c’est selon. Son caractère principal est qu’elle ne dépend pas d’une situation changeante mais d’une réalité structurelle pérenne. L’espace aérien d’une nation est quelque chose de fixe, dépendant de la valeur intangible de la souveraineté. Comme l’arme nucléaire, le système assurant le contrôle de l’espace souverain est à la fois une arme de survie et une arme d’affirmation de l’existence d’une nation. Sa modernisation constante, la disposition des plus hautes technologies pour cette modernisation, sont une condition de sa “crédibilité”, exactement comme dans le cas de l’arme nucléaire. On sait que la modernisation constante de l’arsenal nucléaire est une nécessité à peu près aussi impérative que la disposition même de cette arme nucléaire. La même logique caractérise le système de hautes technologies qui est destiné aux missions souveraines; lui aussi doit entretenir sa crédibilité, face aux agresseurs potentiels mais aussi, et surtout, pour continuer à figurer comme un facteur adéquat de l’enjeu dont il est l’outil à la fois déterminant et identifiant. Puisque cet outil existe dans la mission souveraine où il intervient, il identifie effectivement cette mission comme souveraine et en avise les agresseurs potentiels. Mettez un Ouragan, un Mystère ou un SPAD-XIII à la place du Rafale et l’on aura du mal à croire que la mission dont ce système est chargé est effectivement souveraine, et son effet dissuasif sera proche de zéro. Comme l’arme nucléaire elle-même, si le système n’est plus crédible, s’il n’est plus modernisé, ce sont l’affirmation, la puissance et l’identification même de la souveraineté qui sont mises en question. Il y a un rapport très étroit entre la capacité technique et technologique de l’outil de souveraineté et la représentation psychologique et politique de la souveraineté que cet outil affirme autant qu’il la défend.

Pour bien conceptualiser ce propos en sortant de la caricature facile (le SPAD-XIII à la place du Rafale), on signalera un autre exemple que celui de l’avion français mais, cette fois, avec deux avions aussi avancés l’un que l’autre. C’est le cas conjoint du F-22 Raptor et du F-35 (JSF). Dans ce cas, on en revient au propos fondamental entre missions conjoncturelles et missions structurelles.

• Le F-22, – hors des nombreuses et diverses critiques sur son coût, ses problèmes techniques, etc. – est certainement, selon les conceptions US, l’avion de “domination aérienne” par excellence. Il est l’avion-type de la mission de souveraineté. Même si l’USAF en restait à ses 183 exemplaires prévus actuellement (ce qui est improbable), le F-22 aurait sa justification simplement parce qu’il n’y a pas d’alternative à cet avion. Certains y voient une sorte d’“avion de musée”, ou d’exposition, tant le chiffre de sa production est pour l’instant réduit. Mais c’est justement le cas: avion d’exposition du niveau de développement des hautes technologies, avion d’exposition de la capacité d’affirmation de la mission de souveraineté par excellence, telle que nous l’avons décrite. Cet avion est un principe, comme dans le cas du Rafale. Un principe ne se discute pas et ne se saucissonne pas; il ne se dégrade pas, – il est, et c’est tout.

• Au contraire, le JSF est, par sa mission conjoncturelle, dépendante du reste, un système essentiellement “technologiquement dégradable”. On y songe d’ailleurs. Pour tenter de réduire son coût incontrôlable, il existe des projets de réduire les hautes technologies qu’on a prévu d’y intégrer. Dans ce cas, simplement, le contrôle d’autres systèmes sur lui (le F-22 notamment) s’agrandit. D’autre part, il existe des projets de réduire les commandes nationales de F-35 et de les remplacer par des F-16 modernisés (modèle A-16 prévu dans les années 1980 et modernisé). En aucun cas le JSF n’est impératif en tant que tel, parce qu’il n’est ni structurant ni souverain.

Une dernière remarque sur cette question concerne l’exportation, et plus précisément le cas français. Là aussi, il nous faut prendre le contre pied de l’intervention du ministre Morin. Ces systèmes de hautes technologies ne sont nullement contradictoires avec l’exportation, bien au contraire. A partir du moment où ils offrent au pays acheteur le moyen d’une mission souveraine, ils renforcent la souveraineté de ce pays. Dans une époque où le véritable danger est la déstructuration, et notamment la déstructuration des nations, tout ce qui renforce la souveraineté est sans prix. Ce devrait être, aujourd’hui, le principal argument de promotion d’un système d’arme de hautes technologies offert à l’exportation. On notera, pour ceux qui cultivent encore la mémoire, que c’était déjà l’argument sous-jacent de la grande politique d’exportation des armements de l’époque gaullienne: le renforcement de la souveraineté des autres. La France a tout à y gagner, parce que c’est la nation par excellence de la souveraineté. Chaque fois que le principe de souveraineté est renforcé, la France est renforcée. Ce constat vaut bien la comptabilité de l’épicier et les airs importants des économistes.

La souveraineté, question centrale de notre temps

Y a-t-il façon plus “moderne”, plus “réformiste”, que d’aborder les problèmes de notre temps historique à la lumière du problème central de ce temps historique? Encore faut-il savoir précisément quel est ce problème central.

Laissons les experts et les faiseurs de discours des cabinets de ministres. Puisque nous sommes dans le temps de la globalisation, autre antienne de la nouvelle présidence française, il faut savoir que «la globalisation comporte autant de menaces que d’atouts». C’est Javier Solana qui nous le dit (le 4 octobre, devant la commission Mallet sur le Livre Blanc de la Défense), – un homme qu’on ne peut soupçonner d’opinions excentriques et incontrôlables. La principale menace que fait peser sur nous la globalisation, c’est la déstructuration des forces qui structurent la civilisation. La souveraineté des nations est une de ces forces, sans doute la plus fondamentale.

Il n’y a pas de façon plus constructive, plus “réformiste”, plus “moderne” de considérer le problème des systèmes d’arme de hautes technologies que de le considérer à la lumière du principal problème de notre temps historique, qui est celui de la souveraineté. A cette lumière, le diagnostic est vite rendu, et on a vu ce qu’il en est.

Il est singulièrement ironique que ce soit en France, la Grande Nation souveraine par excellence, que ce problème ait été involontairement posé, dans les termes les plus faussaires qui soient. Mais non après tout, c’est dans la tradition française, qui privilégie l’auto-dénigrement comme un signe de la grande intelligence française éclairant le monde depuis des siècles. C’est dire que la question de l’exportation du Rafale ne se pose pas principalement sur les marchés étrangers. Elle se pose d’abord à Paris. C’est, on l’admettra, un trait caractéristique de la fameuse “exception française”…