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231827 novembre 2014 – Comme nous en avons pris l’habitude au nom du principe de l’inconnaissance, nous sommes restés très prudents devant les événements de Ferguson dans sa deuxième phase (Ferguson-II), puis de Ferguson s’étendant à tous les USA avec un grand nombre de manifestations. Il s’agit d’apprécier la vérité de situation de la substance de l’événement, éventuellement de l’identifier, avant de s’attacher à commenter cet événement.
La presse-Système, et particulièrement anglo-saxonne, si prompte à s’enflammer pour les événements de protestation qui concerne la cause sacrée de l’antiracisme puisqu’il s’agit d’une protestation contre le racisme, reste assez réservée par rapport à l’ampleur énorme de communication qu’a pris l’événement “Ferguson et le reste” ces deux derniers jours. Par exemple, le Guardian, gardien sacré des valeurs vertueuses du bloc BAO, “couvre” l’événement avec mesure. Certes, il donne un volume acceptable mais sans trop insister (par rapport à l’écho de la communication), – en insistant par contre sur le côté pseudo-rassurant de la chose ; comme, par exemple, avec ce texte du 27 novembre 2014 où l’on décrit l’extension du mouvement de protestation sous ce titre/sous-titre où l’essentiel de l’esprit du propos est souligné de gras par nous : «Protesters take to streets across US in solidarity with Michael Brown. Demonstrations in more than 150 cities around country – from New York to Los Angeles via Ferguson – remain largely peaceful». L’“esprit du propos” est donc bien : “oui, c’est important mais ce n’est pas si grave”... Il est vrai qu’il s’agit de l’Amérique, et que l’Amérique, dans l’esprit de ces temps de mobilisation paroxystique du bloc BAO (essentiellement contre la Russie et ce qu’elle représente), est le garant central du “la cause” du Système... Mais une autre façon de voir est d’observer que le Système, parce qu’il se trouve, notamment avec l’affrontement avec la Russie, dans le cas d’un affrontement ultime et paroxystique qui met en jeu la fragilité suscitée par sa crise d’effondrement, ne peut se payer le luxe d’un ébranlement de la poutre-maîtresse (les USA) de son dispositif. (Imaginez l’avalanche de couverture médiatique de la presse-Système, de commentaires, d’anathèmes, etc., si la même situation de contestation générale qu’on observe aux USA commençait à s’affirmer en Russie.)
Par conséquent, nous en venons, après quelques jours d’observation à cet égard, à reconnaître volontiers que le cours des événements “Ferguson & le reste” commence à prendre des allures crisiques extrêmement significatives. Déjà, pour la première phase, nous observions en ouverture d’un F&C du 19 août 2014, – en y ajoutant dans ce cas, sur la fin de l’extrait cité, quelques mots qui renvoient à notre rangement habituel, qu’il nous semble justifié d’introduire dans la mesure où cet épisode Ferguson-II confirme et amplifie Ferguson-I : «Parvenir à une crise nationale de cette ampleur au sein de l’Empire hyperpuissant d’exactement 313,9 millions d’habitants avec la mort par bavure (événement évidemment tragique mais très courant selon les pratiques de la police US) d’un jeune Africain-Américain de 18 ans dans une petite ville de 21 000 habitants de la banlieue de Saint-Louis, dans le Missouri, également à large majorité africaine-américaine, représente un exploit remarquable [dans le sens de l’autodestruction] de la part du Système...»
La problématique du renforcement policier et de la militarisation de la police, dont le rôle est important dans cet événement à tendance crisique, pour l’aggraver et accentuer et accélérer cette tendance crisique, avait été largement traitée dans le texte référencé. Elle est accentuée par le constat de nombreuses maladresses si caractéristiques, de la part des services d’ordre divers, malgré les extraordinaires mesures préventives prises devant l’événement annoncé (décision du Grand Jury concernant l’officier de police impliqué), y compris un état d’urgence et une mobilisation de la Garde Nationale. Michael Snyder, dans The Economic Collapse du 25 novembre 2014, détaille les très nombreuses erreurs et lenteurs considérables des services d’ordre préparés aux troubles, et qui ont réagi avec une étonnante maladresse qui a alimenté ces troubles. Snyder en arrive à l’habituelle question en guise d’explication, – “conspiration ou incompétence ?” :
«Was it a conspiracy or was it incompetence? Those appear to be the only two alternatives that we are left with after the horrific violence that we witnessed in Ferguson on Monday night. The first round of Ferguson rioting back in August took everyone by surprise, but this time authorities had more than three months to prepare. They had the ability to control precisely when the grand jury decision would be announced and how many cops and National Guard troops would be deployed on the streets. But despite all this, the violence in Ferguson on Monday night was even worse than we witnessed back in August. Either this was a case of almost unbelievable incompetence, or there was someone out there that actually wanted this to happen...»
Notre position naturelles est bien entendu de répondre “incompétence”, tant le Système nous a montré les capacités infinies de sa stupidité, tant les bureaucraties policières et militarisées en sont l’expression opérationnelle la plus marquantes, tant la tendance au désordre du Système conduit naturellement à sa transmutation en un “hyper-désordre” évoluant vers l’antiSystème. D’autre part, Snyder détaille également l’attitude de l’administration Obama, interférant dans les décisions et l’action du pouvoir de l’État du Missouri, d’une façon éminemment malheureuse. Cette attitude de l’administration Obama est moins à verser au compte de sa propre incompétence que de son indifférence pour la recherche d’une solution constructive puisque le seul but de ce président catastrophique est de conserver ce qui lui reste d’“image” vertueuse, surtout dans une affaire à prétexte racial évident ; d’où effectivement des interférences, alliant des recommandations pour le maintien de l’ordre pour maintenir une pseudo-réputation de gardien de l’ordre, puis des interventions pour empêcher une réelle opérationnalisation de ce maintien de l’ordre de façon à paraître comme humaniste, libéral et éventuellement “frère de couleur” (dans le chef du président et de son ministre de la justice) en repoussant tout soupçon pouvant mener à une accusation de soutien de la répression. Le résultat, certes, est l’aggravation de la situation ; mais BHO s’en contrefout, puisque sa seule préoccupation est son “image”... On peut donc attendre de lui qu’il utilisera au maximum une position de totale irresponsabilité en appelant au retour au calme tout en “comprenant” l’aggravation du désordre devant une “répression” dont il se lave les mains. (Tantôt le pouvoir central interfère et limite les pouvoirs des États de l’Union, tantôt il fait porter la responsabilité des troubles sur les États et l’utilisation excessive de leurs pouvoirs.)
Donc, le premier constat est que l’incompétence générale du Système a puissamment aidé à l’accumulation de circonstances qui transforment Ferguson-II en une potentialité de crise majeure des USA, – même sans mort d’homme (pour l’instant) comme le souligne le Guardian. Bien entendu, nous parlons en termes de communication, qui détermine tout aujourd’hui, et dans ce cas Ferguson-II commence à ressembler à une parfaite continuation de Ferguson-I dans le sens de l’aggravation, effectivement comme s’il y avait “conspiration”, – mais une conspiration non pas humaine, une conspiration plutôt déterminée par des forces supérieures qui orientent dans ce sens des événements marqués par l’injustice, la pression policière, l’incompétence et la paralysie du pouvoir américaniste, bref la stupidité du Système. La “conspiration” est donc celle de la stupidité du Système exploitée par des forces supérieures qui exacerbent la crise d’effondrement du Système, sinon l’orientent décisivement.
Cela doit être bien entendu placé dans le cadre d’un climat aux USA d’une extrême tension, contrairement aux images d’Épinal idylliques, ou “images d’Épinal-Ferguson”, qui circulent dans les milieux dirigeants du bloc BAO pour qu’on se rassure sur la solidité de la poutre-maîtresse. Ceux-là aussi (les milieux dirigeants du bloc BAO) sont toujours en retard, sinon d’un métro ou d’une révolution, peut-être bien d’une “révolution de couleur” selon la spécialité du temps... On appréciera le terme “révolution de couleur” pour la situation en germe aux USA, et on notera qu’il n’est nul besoin de subventions d’ONG ou d’organisations du gouvernement russes, ni d’agitateurs milliardaires type Soroski pour en offrir l’opportunité. De ce point de vue du contexte général, une interview d’Eric Dreiser, du site StopInmperialsm.com, sur Russia Today le 26 novembre 2014, fait l’affaire. Dreiser nous trace le tableau d’une Amérique en proie aux affres d’une “Dépression-stealth” (une “dépression furtive”), dissimulée, maquillée, manipulée par la narrative d’un American Dream couturé de cicatrices, de bosses, de sparadraps divers pour tenter de dissimuler ses affreuses difformités, et qui tente pourtant de continuer à affirmer l’aspect unique et exceptionnel de la condition américaniste. Voici donc Dreiser, sur les conditions générales entourant Ferguson-II et sur les possibilités d’une évolution crisique de la chose.
Russia Today : «The protests have spread to almost all the major cities in the US. How far could this go?»
Eric Dreiser : «It could go quite far because we have had this undercurrent of rage and anger in the US, at the government and at the institutions of the US for many, many years. There is a long and rich history of this sort of fighting back against police brutality, police repression, police and other law enforcements; we call them extra judicial associations, over the murders of young black and brown people for decades. Certainly this could go quite far. And this current has been in this country for a quite a while. But I think what we have is a confluence of circumstances here that are really driving this rage out into the open - one of those being the untold story of the depression in the US particularly among African American communities. If you look at some of the economic indicators for the African American community in the US they are absolutely ghastly: unemployment far higher, staggeringly higher than it is among other segments of the population. Of course there are many other indicators that we could point to. What this is telling us is that Ferguson is really a spark. It is a jumping off point for a much larger movement that needs to coalesce in this country, and movement not only among African Americans and among minorities, but a movement of all people against all forms of repression. In the US the police are clearly the most visible aspect of that.»
Russia Today : «We see a lot of action, anger and protests. But will these protests achieve anything?»
Eric Dreiser : «It is too early to tell because if we look back at the recent history with regard to Trayvon Martin one could make the argument that nothing of substance was achieved in the long run. I think that what we are seeing around Ferguson is part of the process of building. It is the building of a movement, it is the a movement of a generation that is being shaped by the killings of Trayvon Martin and Kimani Gray, Michael Brown, and many others. This generation, this young up and coming generation, is very much organizing around some of these incidents, some of these actions, and some of these examples of repression and brutality. It is really a little bit too soon to say where this will go but certainly substantive action, that is to say is action on the ground and in these communities is what matters certainly not the vacuous and vapid platitudes of President Obama or any other figure of authority.»
On sait déjà que, “pour suivre” en enchaînant sur Ferguson-II, une campagne de boycott du grand jour (le 28 novembre) des soldes traditionnelles du système de distribution US est organisée selon le slogan Blakout-BlackFriday, ou encore “no justice, no profit”, en relation directe avec le verdict du grand Jury de Ferguson. Cela peut aussi bien paraître comme une tentative de récupération ou de freinage du mouvement par des organisations et des personnalités (dont nombre de personnalités hollywoodiennes) libérales et africaines-américaines. C’est une tactique classique aux USA, autour des mouvements de désordre qu’on veut tenter de canaliser. Mais l’essentiel est bien que la puissance de Ferguson-II oblige à ce genre de tactique, qui perpétue tout de même le mécontentement, et risque même de lui donner du souffle supplémentaire. Comme le dit Dreiser, on ne sait pas où ce mouvement peut déboucher, mais on sait déjà qu’il exprime une exaspération considérable, non seulement des Africains-Américains, mais peut-être d’une population plus large soumise à des conditions sociales et économiques draconiennes. La transmutation en courant antiSystème est un risque (pour le Système) extrêmement présent dans cette sorte de circonstances.
Pour ce qui concerne le commentaire général que doit susciter dans notre chef Ferguson-II arrivé au point où on trouve l’événement, il nous semble nécessaire d’à nouveau situer l’exacte signification du “racisme” qui est présenté presque unanimement et perçu en général comme sa cause fondamentale. Nous devons le faire, comme à notre habitude, dans le contexte de l’histoire si particulière des USA, hors des narrative et autre babiole monstrueuse type-American Dream, pour parvenir à le situer dans le cadre général de la crise d’effondrement du Système.
Dans ce cas, plutôt que faire une répétition sous une autre forme, il nous a paru opportun de reprendre l’essentiel du commentaire que nous faisions, dans cet esprit et selon cette démarche, dans notre F&C déjà cité, du 19 août 2014, soit à peu près une décade après le début de Ferguson-I. Tous les facteurs événementiels sont similaires, sauf qu’on se trouve avec Ferguson-II dans un domaine désormais bien plus large, étendu à tous les USA et même en-dehors (protestations à Londres). Même si le commentaire ci-dessous s’adresse à la situation spécifique des USA, il ne fait aucun doute que Ferguson-II, encore plus que Ferguson-I, s’inscrit, comme nous le soulignons en conclusion, dans la dynamique de la crise d’effondrement du Système, selon les conditions même de cette crise ... Il s’agit de la capacité considérable de contrainte et d’étouffement du mécontentement par les narrative du Système, mais au prix d’une énorme accumulation de frustration. Cette accumulation de frustration constitue désormais un risque permanent, une menace constante pour le Système, qui peut s’exprimer dans des circonstances à la fois imprévisibles et inattendues, grâce à la puissance énorme du système de la communication. On sait que ce système de la communication peut créer, ou s’en emparer pour les amplifier, ces “circonstances à la fois imprévisibles et inattendues ”, dans des situations favorisées par la paralysie complète du pouvoir politique et par les effets contre-productif de la militarisation des forces de police laissées à leur seule violence et à l’incompétence bureaucratique, etc.
Nous reprenons donc ici l’essentiel de notre commentaire du 19 août, qui était chapeauté du sous-titre «La crise identitaire fondatrice du “modèle américaniste”». Le texte est présenté entre guillemets et l’on trouve [entre braquets] des éléments supprimés ou rajoutés, de façon à ce que ce commentaire sur Ferguson-I puisse apparaître, – dans la forme également puisque pour le fond c’est évident, – comme un commentaire pour Ferguson-II. De cette façon, il est bien confirmé qu’il s’agit du même événement évoluant par étapes, ou par spasmes si l’on veut ; et la remarque faite plus haut sur cette “crise nationale de cette ampleur au sein de l’Empire hyperpuissant” à partir de la mort d’un jeune Africain-Américain est d’autant plus valable... L’événement s’inscrit d’autant plus dans le schéma désormais de cette situation métahistorique où se développe l’énorme puissance du système de la communication tandis que l’autorité et la légitimité du pouvoir politique sont totalement disqualifiées, ceci et cela faisant que des causes extrêmement faibles sinon dérisoires (malgré qu’il s’agisse d’une mort d’un adolescent pour Ferguson-I) entraînent des conséquence d’une importance colossale ... Finalement, la mort du jeune Africain-Américain tué par un policier pourrait être proposée comme un possible remake, pour les USA spécifiquement, de la mort par suicide d’un jeune Tunisien le 19 décembre 2010, marquant le détonateur du “printemps arabe” dont les conséquences colossales du type chaîne crisique” du désordre passant à l’“hyper-désordre” continuent à se faire sentir. La différence est que la chaîne crisique prend cette fois son essor complètement dans le champ de la communication alors que la chaîne crisique du “printemps arabe”, déclenchée grâce au système de la communication, prit rapidement un aspect géopolitique. L’éventuelle chaîne crisique de Ferguson est, plus encore que le “printemps arabe”, une amorce de crise de type postmoderne, presque dans un modèle achevé, où la crise déclenchée par la communication affecte en forme d’enchaînement principalement les psychologies chauffées à blanc par les contraintes de leurs frustrations.
« Pour bien introduire le sujet à ce point de notre analyse, pour entamer cette partie directement de commentaire, nous rappellerons cette question d’un de nos lecteurs, le 14 août 2014, [concernant l’épisode de crise dit-Ferguson-I]... “Dislocation” : “Vous n'évoquez plus, ce depuis quelques temps déjà (2011), le risque que connaîtrait les USA de se disloquer en plusieurs entités. Qu'en est-il à ce jour de ce risque ?”
» ... Effectivement, la remarque est juste. Il faut dire que d’autres priorités sollicitent toute notre attention, et aujourd’hui cette crise énorme et colossale, dite ukrainienne mais qui est bien plus que cela, qui est une traduction opérationnelle de la crise du Système as a whole. Cela n’empêche, la problématique spécifique des USA existe toujours, évidemment, et elle se développe plus que jamais, – justement, comme nous le démontre Ferguson. Nous allons examiner plusieurs aspects de la situation générale aux USA, ou crise générale des USA, qui sont concernés par les événements de Ferguson. Nous mettons à part la question de la militarisation [...] parce que [...] nous ne considérons en rien cette militarisation comme un facteur fondamental de cette crise générale mais, de façon très différente, comme une conséquence de cette crise générale, et une conséquence aux effets imprévisibles qui peuvent aller, comme on l’a vu également, à l’encontre de ce qu’on en attend. La question de la militarisation n’est pas un changement de nature des USA mais un moyen technique et sécuritaire répondant à la perception paranoïaque des élites-Système ; elle permet dans le cas de Ferguson de mettre clairement en lumière l’impuissance et le désarroi de ces élites-Système dans la disposition, le maniement et l’usage de cette militarisation. (Ferguson montre en même temps la militarisation du Système dans sa fonction sécuritaire aux USA et l’échec de cette militarisation. Ferguson montre également la paralysie et l’impuissance du pouvoir lorsqu’un Obama, interrompant sa partie de golf, s’affirme vertueusement comme un des critiques les plus irresponsables de la militarisation, alors que tout son gouvernement depuis 2009 a consisté en un accroissement exponentiel de la politique-Système qui implique évidemment, parmi tous ses effets, la militarisation en question.)
» A côté de cette question de la militarisation sécuritaire, l’aspect spécifique qui vient aussitôt à l’esprit lorsqu’il est question des événements de Ferguson, c’est celui du racisme également spécifique aux USA, affectant surtout la communauté africaine-américaine. Ce racisme spécifique US semble alors apparaître, chronologiquement et logiquement, comme le premier de ces “aspects de la crise générale des USA” à se manifester dans ces événements puisqu’il s’agit de la communauté noire en révolte à Ferguson. Une fois cela admis par la simple observation des événements, c’est pour aussitôt constater que, de ce point de vue-là, la situation américaniste est dans une complète impasse. En effet, l’explosion de Ferguson, si on la considère comme une explosion raciste ou comme une explosion contre le racisme, apparaît absurde du point de vue du Système. Ce constat répond à ceci que, toujours du point de vue du Système qui est le seul point de vue à compter aux USA, tout ce qui pouvait être fait a été fait pour résoudre la question du racisme là où elle doit l’être, c’est-à-dire dans le cadre du Système et selon les normes du Système. La dernière et suprême mesure pour “abolir le racisme” selon les termes du Système fut bien entendu l’événement, présenté comme symbole exceptionnel et presque magique, de l’élection d’un président Africain-Américain. Par conséquent, en un sens qui est celui, impératif, du Système, le racisme n’est plus autorisé à exister aux USA, – il n'a plus de visa d'entrée si vous voulez, comme un vulgaire terroriste... Puisqu’il existe tout de même aux USA, et comment, nous nous trouvons dans une impasse.
» Déjà, en février 2010 (Ouverture Libre de Philippe Grasset, le 16 février 2010), nous examinions ce problème du racisme et des Africains-Américains dans un sens et selon des termes qui, de notre point de vue, n’ont guère varié : d’ores et déjà, tout avait été fait du point de vue du Système et selon le Système pour résoudre le problème, et par conséquent ce problème devait être considéré comme résolu. Bien entendu, il n’en est rien, comme le montre éventuellement Ferguson, même si ce n’est pas la chose essentielle que nous montre Ferguson. Ce qui a changé radicalement (depuis l’élection d’Obama, terme de l’élimination du racisme selon le Système, et depuis notre texte cité), c’est un désenchantement accéléré des Africains-Américains vis-à-vis d’Obama ; ce président-là est devenu, selon les enquêtes statistiques, le plus mauvais président des Etats-Unis des “temps modernes” pour les citoyens US (voir le 3 juillet 2014), y compris “le plus mauvais président” pour les Africains-Américains (voir le 17 juillet 2014).
» Voici ce que PhG écrivait en février 2010 (à cette époque nous n’avions pas encore majusculé le “système”, comme il l’est aujourd’hui, majestueusement, en “Système”) : “ l’‘intégration’ réalisée à la suite des mouvements des années 1956-1968 des Africains-Américains, ou des Noirs devenant Africains-Américains pour l’occasion, représente, dans la perspective considérée aujourd’hui, une capitulation évidente pour ce qu’on nommerait ‘l’âme des Noirs’ (les Noirs descendant des esclaves en l’occurrence, et regroupés par le temps, les souffrances et les avatars de leur propre histoire en un groupe identitaire aux USA, avec sa propre culture, sa propre spécificité). C’est dire que, de ce point de vue, je me placerais du côté de Malcolm X contre Martin Luther King première période (le King de la fin, avant son assassinat d’avril 1968, avait changé et s’était durci dans le sens de Malcolm X, ce dernier assassiné en 1965). [...]
»“En quoi consista l’‘intégration’ proposée dans les années 1960? En une sorte de ‘marché’ que je décrirais, du point de vue des Noirs, comme ‘vendre sa psychologie au système’, qui n’est après tout qu’une variante terrestre du ‘vendre son âme au Diable’, aussi vieux que notre culture et que les angoisses de notre spiritualité. Les Noirs deviendraient donc Africains-Américains et partie intégrante de l’ensemble (notamment du système); une petite partie privilégiée d’entre eux bénéficieraient des avantages du système, avec même une “classe moyenne” célébrée par les sociologues du système en de longs et pompeux articles; l’on célébrerait également, bien entendu, le caractère sublime du melting pot. [...] ... enfin, un président [Africain-Américain] au bout du compte, pour placer au plus haut la cerise sur le gâteau. Pour le reste, les ‘Africains-Américains’ des ghettos se tapent des pourcentages de chômage notablement au-dessus de la moyenne dans des proportions allant du double au triple, vivent dans la guerre des gangs et dans la drogue, forment une très solide minorité, presque majoritaire en fait, des prisons US, domaine dont l’on sait que les USA sont champions du monde toutes catégories, et de loin, pour l’abondance de la population (bien au-delà des deux millions en tôle), avec ‘l’avantage’ de la privation des droits civiques pour ceux qui sont passés par là, ce qui écarte une proportion notable des Africains-Américains des bureaux de vote.”
» L’“intérêt” des événements de Ferguson pour notre réflexion est moins dans la problématique du racisme dans le sens très convenu du mot lorsqu’il s’agit des USA (racisme autour de la question des Africains-Américains), que dans la participation de cette problématique du racisme à une question, une crise devrait-on dire, beaucoup plus large. Nous écartons par conséquent, comme facteur révélateur important de Ferguson, le racisme classique entre Blancs et Noirs, comme voie d’explication insuffisante et sans issue, pour l’élargir à autre problématique bien plus importante, et celle-là en plein développement au lieu d’être dans une impasse ...
» Quel est le principal contexte, à notre point de vue, où interviennent les événements de Ferguson, et par conséquent les domaines sur lesquels ils peuvent avoir un effet qui serait nécessairement d’accélération, voire paroxystique ? Notre réponse concerne ce que nous jugeons être l’évolution justement vers son paroxysme de la crise d’identité des USA considérée d’une façon générale, c’est-à-dire affectant les USA en tant que pays, – nous préférons ne pas dire “en tant que nation” parce que là justement réside le nœud historique de cette crise d’identité qui se manifeste. Il est important de situer cette crise dans sa perspective historique pour l’apprécier dans toute sa profondeur. Divers autres textes sur ce site ont abordé cette question de l’identité des USA, ou plutôt cette crise de l’identité qui est consubstantielle aux USA et qui se manifeste évidemment par l’absence d’identité qui serait presque comme une marque consubstantielle des USA, une marque de fabrique, une condition sine qua non, – un peu comme le racisme made in USA. (C’est justement cette absence d’identité qui rend des événements type-Ferguson, ou des mesures comme la militarisation de la police, comme beaucoup plus explosifs et dangereux dans leurs conséquence pour la cohésion du pays, que dans d’autres pays qui sont également des nations et qui ont des racines historiques solides, et une identité, une “âme“ ou un “caractère”, spécifiques.) Par exemple, nous abordions à nouveau “cette question de l’identité des USA, ou plutôt cette crise de l’identité” dans ce texte du 6 janvier 2012, où nous écrivions à nouveau à propos de la structure fondamentale originelle des USA :
» “... Cette structure de facto de l'Amérique n'a pas vraiment changé. Il est très caractéristique pour notre propos que, dans les années 1920, lorsqu'un débat culturel et politique fait rage entre l'Europe et les États-Unis sur le sens de la civilisation nouvelle que nous propose l'Amérique, nombre d'intellectuels et d'artistes européens avancent comme argument principal contre la civilisation américaine que l'Amérique n'a pas d'âme. Le constat de Tocqueville (‘jusqu'à présent on ne peut dire qu'il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n'en point avoir’) revient à l'esprit, pour constater à nouveau qu'il n'y a rien de nouveau selon un esprit trempé à la civilisation européenne. (En 1928, le comte Henri de Keyserling, historien-psychologue allemand fort proche de l'école néo-pangermaniste spenglerienne, estimait dans son ‘Diagnostic de l'Amérique et de l'américanisme’ que ‘ce qu'on peut appeler le ‘manque d'âme’ des Américains vient en premier lieu du fait que l'Amérique est encore une colonie, et que jusqu'à l'heure actuelle une civilisation véritablement autochtone ne s'y est pas développée’. Il notait un peu plus loin, montrant par là son optimisme, mais réaffirmant in fine que l'absence de caractère noté par Tocqueville subsistait: ‘Il est de fait que le nouveau continent produit effectivement et irrésistiblement un nouveau type humain… [...] Et ceci, à son tour, doit nécessairement mener, et mène en fait, à la naissance et au développement d'une âme d'espèce nouvelle’. On comprend que le ‘caractère’ de Tocqueville et l’‘âme’ de Keyserling sont une seule et même chose, qui manque décisivement aux Américains. L’hypothèse de Keyserling sur la naissance d’une ‘âme américaine’ fut décisivement démentie par la Grande Dépression. Il n’y a donc, aujourd’hui, toujours pas d’‘âme’, ou de ‘caractère’ américain, – mais nous savons bien, au moins depuis le docteur Beard [qui identifia la névrose en 1879], qu’il y a ‘une maladie américaine’...”
» Depuis l’époque évoquée ici, rien n’a donc changé sinon dans le sens de l’aggravation chronique parallèlement à la crise montante du Système, et l’on comprend qu’en disant “caractère ” (Tocqueville) ou “âme” (Keyserling), on dit également “identité” puisqu’il s’agit évidemment du même phénomène, – principiel et structurant à la fois. Le fait est alors, – et les événements de Ferguson sont un témoignage dans ce sens au cœur de la crise fondamentale du Système, – qu’il existe aujourd’hui aux USA une évolution paroxystique des questions identitaires fondamentales, de la crise de l’identité. Cette crise touche l’évolution des rapports entre la population Anglo-Américaine et assimilée blanche (WASP & le reste), et les communautés non-WASP (Latinos, Africains-Américains, Asiatiques-Américains, etc.) à un moment crucial du point de vue de l’immigration et de la démographie. Il y a une crise active, voire paroxystique de l’immigration avec les événements concernant ce phénomène spécifique de l’immigration illégale d’enfants et d’adolescents venus de pays d’Amérique centrale ; cela a conduit à une mobilisation de défense de certaines frontières Sud, notamment celle du Texas, avec l’initiative illégale et productrice de désordre centrifuge mais qui n’a été nullement empêchée et qui est en pleine opérationnalité du déploiement sur ces frontières (Texas, essentiellement) de milices privées de citoyens contre cette immigration. Au même moment, les observations démographiques font savoir que les écoles US voient pour la première fois une majorité d’enfants composée des minorités ethniques non-blanches, la majorité blanche (WASP & et reste) perdant sa position majoritaire absolue. Ces divers événements alimentent principalement non pas la question du racisme, encore moins celle de la militarisation, mais d’une façon très puissante la crise générale d’identité des USA parvenue ainsi à son paroxysme.
» Il en résulte, à notre sens, que la manifestation essentielle de la crise générale des USA est, aujourd’hui, la crise de l’identité dans ceci qu’elle se traduit en termes opérationnels en crise générale de l’insécurité identitaire. Dans ce cas, chaque communauté ethnique, ou religieuse, ou raciale, etc., l’expérimente à sa façon et selon les tendances qui l’habitent, renforcées et encouragées d’une façon exponentielle par la politique multiculturelle caractérisant l’époque de la postmodernité, et l’individualise dissolvant de la doctrine triomphante de l’hyperlibéralisme. Il s’agit alors, à son tour, d’une opérationnalisation de la crise générale du Système traduite en des termes américanistes, et bien entendu alimentée par tous les aspects de la crise spécifique du Système : l’aspect financier, l’aspect économique, l’aspect de la politique expansionniste du centre aussi bien que la tendance à la militarisation... Mais sans nul doute, l’essentiel, le facteur le plus écrasant et le plus décisif dans ce sens, le principal répondant, le principal aliment que la crise identitaire trouve dans la crise du Système, c’est la crise du pouvoir central à Washington, notamment dans son action intérieure, marqué par une complète paralysie depuis plusieurs années, d’une façon latente depuis 9/11 et d’une façon criante depuis l’arrivée au pouvoir d’Obama. C’est dire si les deux crises, – crise identitaire et crise du pouvoir, – se correspondent parfaitement puisque le pouvoir central a été établi dans toute sa puissance pour étouffer la crise identitaire chronique aux USA, ce pays qui n’est pas une nation mais un simple rassemblement oligarchique fait pour servir les intérêts de la susdite oligarchie ; la dissolution de la puissance du pouvoir central nourrit, accélère, dramatise la crise identitaire qui, elle-même, produit de multiples crises opérationnelles, comme celle de Ferguson ; et celle de Ferguson devenant, par un enchaînement improbable de maladresses humaines et de puissance de la communication, un exemple archétypique de cette situation générale. Peut-être l'une ou l'autre circonstance incitera à suivre cet exemple ?
» Comment définir cette évolution crisique spécifique aux USA, à la lumière de la crise de Ferguson, Missouri, qui a nécessairement un aspect démonstratif et archétypique ? Nous parlerions plus volontiers de “dissolution” (deuxième terme de la formule dd&e, pour déstructuration, dissolution & entropisation) plutôt que de “dislocation” (qui correspond à la “déstructuration”). Cela revient à observer que la crise d’identité paroxystique dissout la société US bien plus qu’elle ne la déstructure, et bien entendu elle s’inscrit comme la contribution US à la crise générale d’effondrement du Système, en étant l’un des deux principaux composants US de cette crise d’effondrement avec la crise du pouvoir central. Cette dissolution implique-t-elle que la déstructuration (dislocation) est déjà accomplie ? Manifestement non, comme le montre la situation institutionnelle des USA ; mais si cette structuration persiste, elle recouvre de plus en plus le vide de la dissolution sociale, elle structure le vide littéralement et atteint une fragilité extrêmement inquiétante, qui pourrait être proche d’un point de rupture ou d’effondrement. Cela est d’autant plus à considérer que les mesures prises pour tenter de contenir ces mouvements de dissolution, qui s’avèrent en fait être des mesures arbitraires et autoritaires de coercition comme la militarisation de la police plaquées sur une situation générale de disparités et d’inégalités arbitraires de toutes sortes, agissent en complète inversion et conduisent souvent à un résultat contraire à celui qu’on attend. La séquence déjà vieille de [deux épisodes, Ferguson-I et Ferguson-II] de la petite ville de Ferguson, laboratoire minuscule et symbole hypertrophié de la crise des USA, le montre d’une façon éclairante. »
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