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285511 août 2005 — En mars 1983, quelques jours après le jour (23 mars) du discours de Ronald Reagan annonçant la SDI (Star War), le maréchal Ogarkov, chef d’état-major de l’Armée Rouge, fait une promenade avec le journaliste américain Leslie Gelb, ancien haut fonctionnaire du département d’État durant la présidence Carter. La scène se passe à Genève, où se poursuivaient, sans grand espoir de réussite alors, les négociations sur la limitation des engins à portée intermédiaire et à capacités nucléaires, — ceux-là que les Américains appelèrent successivement LRTNF, puis TNF (Theater Nuclear Forces) tout court, qui étaient surnommés les euromissiles, — SS-20 du côté soviétique, Pershing II et Glicom (missiles de croisière terrestre) du côté américain. Gelb garda secret le contenu de cet entretien pendant près de 10 ans, avant d’en publier la substance dans un article, dans le New York Times le 20 août 1992, sous le titre « Foreign Affairs: Who Won the Cold War? ». On est frappé par la franchise du maréchal Ogarkov, exposant les difficultés considérables des Soviétiques. Voici un passage de cet article, nous livrant une confidence du Maréchal (nous soulignons en gras le passage qui est essentiel pour notre propos):
« We cannot equal the quality of U.S. arms for a generation or two. Modern military power is based on technology, and technology is based on computers. In the US, small children play with computers.... Here, we don't even have computers in every office of the Defense Ministry. And for reasons you know well, we cannot make computers widely available in our society. We will never be able to catch up with you in modern arms until we have an economic revolution. And the question is whether we can have an economic revolution without a political revolution. »
En fait, ce que préconisait Ogarkov, c’est ce que Gorbatchev tenta d’appliquer (et ceci explique cela: les réformistes de l’armée, autour d’Ogarkov, étaient du côté de Gorbatchev) : la révolution économique (perestroïka) rendue possible par la révolution politique (glasnost).
Pourquoi rappeler cette rencontre fort peu connue, et pourtant si révélatrice? Parce que nous sommes dans une circonstance extraordinaire où la situation américaine pourrait aujourd’hui être proche de, voire similaire à la situation soviétique, mais inversée quant aux priorités. Le constat serait alors: les Américains sont prisonniers de la technologie (militaire dans ce cas) et de la bureaucratie (centralisée) de sécurité nationale qui la contrôle alors que la situation militaire et stratégique requiert paradoxalement d’y avoir beaucoup moins recours, notamment pour modifier l’action, les tactiques, les conceptions, la psychologie, etc., — l’efficacité en un mot. William S. Lind, cité dans l’article de Defense News sur lequel nous avons appuyé notre “Faits & Commentaires” de mardi, exprime ce phénomène de la sorte:
« A belief in technological superiority is why Goliath always loses. The more you make yourself look like Goliath, the more you say how superior you are, the more you guarantee your own defeat. »
Le même William S. Lind, de plus en plus reconnu comme le leader des “réformistes-révolutionnaires” de la structure militaire américaine en crise à l’heure où seules des mesures révolutionnaires semblent pouvoir faire espérer des résultats pour sortir de cette crise, a publié récemment un article qui a fait grand bruit: « Bring Back Milicia ». Cet article du 4 août rapportait les résultats d’un séminaire qui venait d’avoir lieu dans le Maine, à l’initiative d’un ancien colonel des Marines
(« I spent last week in Pittsfield, Maine, at a symposium on modern war called by Colonel Mike Wyly, USMC retired. Col. Wyly was one of the heroes of the maneuver warfare movement in the Marine Corps in the 1970s and 80s, and when he suggests it’s time for a new effort, people listen. »)
Lind espérait voir exposé le problème de la “nouvelle” forme de guerre, la “guerre de la 4ème génération” (4thGW, ou 4GW), contre laquelle les Américains sont si dépourvus. Même si la question n’a pas été entièrement développée, Lind a tout de même trouvé une matière essentielle qui y a été développée, avec la suggestion de son application dans le cadre de la situation de tension actuelle (lutte contre le terrorisme).
« ...what might a state armed service designed for 4GW look like?
» To address that question, we first had to answer another one: what would such a force’s mission be? Not being neo-Trotskyites, we derived our answer within the framework of a defensive grand strategy. The new service’s (and it should be a new armed service) primary mission would be to prevent outbreaks of Fourth Generation war on American soil. The focus must be on prevention, not “first response,” because if we are forced into a response mode the enemy has already won. And, the new service must be oriented not only to preventing imported 4GW, like that we saw on 9/11, but also the home-grown variety such as London just experienced.
» But – and here was the kicker – the new service has to keep us safe without pushing America further toward Big Brother, the all-powerful, centralized, national security state represented by the Department of Homeland Security, the ''Patriot Act'' and much else coming out of Washington.
» So what should this new 4GW armed service be? The answer of our working group at the symposium was, “a militia.”
» The militia was the basis of America’s defense through most of our history as a republic. More, there are two contemporary models. One is volunteer fire departments, which small town and rural America depend on and which almost always perform well. The other is community policing, where cops walk the same beat in the same neighborhood for a long time, long enough to understand the neighborhood and prevent crimes instead of just responding to them. Neither volunteer fire departments nor community police serve as control mechanisms for the federal government. They respond to their local communities, not to Washington.
» The new militia’s most important function would be neighborhood watch. The only way to prevent 4GW attacks is to find out about them before they happen, and that means the militia, like community police, must know what is happening in their neighborhoods. But again, we don’t want to feed Big Brother. Almost all of what the militia knows should remain on the local level. »
On voit ici la logique suivie, sans discuter encore du bien-fondé du principe considéré (le retour à la milice). Cette logique implique, au-delà des mesures techniques, militaires, structurelles, technologiques, etc, une rupture politique:
• L’abandon de la politique extérieure expansionniste et hégémoniste.
• La rupture du modèle fédéraliste centralisé avec un retour vers une pleine responsabilité des États constitutifs de l’Union dans la matière de la sécurité nationale.
Cette rupture politique est effectivement au moins aussi importante que celle qu’envisageait Ogarkov pour l’URSS en 1983. Il y a bien similitude des situations. La question est de savoir s’il y aura similitude des destins. (On sait que la réforme Gorbatchev ne put être contrôlée, échappa à son initiateur et déboucha sur l’effondrement de l’URSS.)