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1152Nos lecteurs connaissent bien le commentateur et ancien diplomate indien M K Bhadrakumar, que nous tenons en haute estime. (Une recherche à cet égard, grâce au moteur ad hoc quoique faiblard de dedefensa.org, est édifiante.) Nous le tenons comme un remarquable commentateur des situations indienne, russe, iranienne, turque, etc., et des liens qui unissent ou éloignent ces pays. (Le seul domaine où nous divergeons de M K Bhadrakumar est celui de sa croyance en la pérennité de la diplomatie et, notamment, son appréciation que les USA pourraient, avec un peu d’habileté, être capables de suivre une ligne différente de leur actuelle et catastrophique politique, – que M K Bhadrakumar juge telle, catastrophique, et d’une façon avisée.) M K Bhadrakumar est, notamment, un observateur attentif de l’évolution de la politique extérieure de son pays et un censeur impitoyable du mandarinat de l’actuelle caste dirigeante de l’Inde, qu’il juge en général timorée, conformiste, sauf à certaines occasions qu’il ne manque pas de signaler avec la plus grande loyauté.
Nous allons suivre M K Bhadrakumar dans son jugement de l’attitude indienne vis-à-vis de l’affaire de Gaza (Gaza-II), au travers de deux textes, entrecoupés de commentaires du premier.
• Le premier texte paraît le 19 novembre 2012, sur le blog personnel du commentateur, Indian PunchLine. Il est extrêmement critique de l’attitude du gouvernement indien, de son absence, ou dans tous les cas son extrême lenteur de réaction à l’égard (même pas à l’encontre) de l’attaque israélienne contre Gaza, effectivement marquée par une neutralité peureuse.
«Five days into the brutal israeli assault on Gaza, New Delhi has spoken. The mandarins in South Block in their cloistered chambers apparently weighed the scale carefully and chose to take a neutral, impassive equidistant stance. Of course, such a stance favors Israel, but then, isn’t that the desired objective? The point is, Delhi wouldn’t be drawn into the disproportionate scale of the Israeli violence on Gaza, as it will tread on the sensitivities of the close friend. Equally, it is now India’s policy to equate the Palestinian resistance with the israeli violence. As for the blockade of Gaza, which is the root cause of the current cycle of violence, Delhi keeps mum. No doubt, Israel will be mighty thrilled at the Indian stance. Hopefully, India will garner some downstream benefits as quid pro quo. […]
»…India cannot take comfort that it is playing the same game on the Palestine issue that the emir of Qatar or the Saudi and Jordanian kings are playing. Those autocrats are not on the right side of history. Nor is israel. But India has the advantage of its own colonial history to anticipate the footfalls of history in the Middle East. Especially with a historian as our new External Affairs Minister.»
• Deux commentaires viennent s’inscrire à la suite du texte de M K Bhadrakumar. Ils ont l’avantage d’avoir une réelle signification au lieu d’être une simple appréciation d’humeur ou une considération parcellaire ou parasitaire, et de signifier de ce fait, d’une façon brutale ou cynique selon l’intervenant, la situation telle que la déplore M K Bhadrakumar, en exposant au même M K Bhadrakumar toute la naïveté qu’il montre, selon eux, à espérer qu’une telle politique d'abaissement ne soit pas systématiquement choisie… Dans le premier cas, il s’agit d’un nommé Peter Parker, apostrophant durement le commentateur. (Sonia Maino, citée dans l'apostrophe, est la veuve du Premier ministre Gandhi, de la célèbre famille, assassiné en 1992 ; MMS désigne les initiales du ministre-historien des affaires extérieures) :
«Is Bhadrakumar sleeping?? For a voice you have to be independent? Where is the independence? Its been sold by MMS ? MMS cares more for Wall Street Journal Opinions then his own people’s? After all he is not elected by the people, rather he is appointed by his Master (Mistress) Sonia Maino.
Sonia Maino was placed by her country(s) national intelligence service and is currently working for the CIA. Why would she toe a line anything other than what the US / Nato countries will tell her? So what independence does Mr Bhadrakumar expect?»
Le second intervenant est nettement plus de parti-pris, c’est-à-dire partisan de la politique d’alignement et d’abandon que déplore M K Bhadrakumar. Il la juge “réaliste” et tout à fait justifiable, selon les arguments habituels de la géopolitique et de la politique inspirée de l’“idéal de puissance”. Voici donc une partie de l’intervention du nommé Jaganniwas Iyer.
«The current outbreak of conflict over Gaza was sparked off by Israel’s elimination of Hamas terror boss Ahmed al Jaabari, who masterminded the kidnapping of two Israeli soldiers in 2006 (which had led to a brief war and stalemate).
 It is laughable for Mr. Bhadrakumar to expect MMS to be holding up the dead carcass of Nehruvian posturing that passed off for foreign policy. The writer’s pique at our foreign policy mandarins is understandable, given his Left-leaning proclivities, but defence and security relations and tie-ups with Israel and the US are far more important to India’s long-term future, than pandering to the Islamic terrorists in the West Asian theatre. If the madarins of the South Block have maintained a neutral and impassioned stand, it is because they have – at last – begun to develop a clear and unambiguous understanding of where India’s interests lie…»
• Il semblerait que l’affaire est classée et qu’on ne dût plus parler de la politique indienne dans l’affaire Gaza-II. Pourtant, le 21 novembre 2012, M K Bhadrakumar y revient, triomphant, et son article étant en fait constitué de l’intégralité d’un communiqué à l’ONU du groupe IBAS (nous en ignorions l’existence, même informelle, – mais il s’agit en fait du BRICS sauf ses deux membres qui sont eux-mêmes membres permanents du Conseil de Sécurité, avec droit de veto, – soit Inde, Brésil, Afrique du Sud pour IBAS)… M K Bhadrakumar cite “a dear old friend” qui lui a envoyé le communiqué, qui, autrement resterait inconnu. Il termine la citation par ces quelques mots enthousiastes : «What makes this statement particularly notable is that it is the outcome of an Indian initiative. The announcement of India’s support for Palestine’s observer status in the UN system is simply fantastic.» Entretemps, donc, nous avons lu le communiqué des trois pays (qui, en fait, aligne ces trois pays sur les positions des deux autres membres du BRICS, la Chine et la Russie).
«India, Brazil and South Africa express their strongest condemnation of the ongoing violence between Israel and Palestine, that threatens the peace and security of the region. The IBSA countries deeply regret the loss of human lives and express their concern over the disproportionate and excessive use of force.
»They urge the parties to immediately cease all violence, to exercise maximum restraint and to avoid taking any action that may further exacerbate the situation. They stress their expectation that the United Nations Security Council will do its utmost in the fulfillment of its responsibilities in regard to this serious situation.
»They also stress the urgent need to lift the blockade in Gaza which continues to worsen the already dire socio-economic and humanitarian situation in Gaza.
»The IBSA countries express their strong support to the mediation efforts of the Government of Egypt, the League of Arab States and the UN Secretary-General aimed at achieving a negotiated ceasefire.
»The IBSA countries believe that only diplomacy and dialogue will lead to the resolution of the current crisis, which makes it even more urgent to resume direct talks between israel and Palestine, leading to a comprehensive solution to the Palestinian Question, ie., the achievement of a two-state solution.
»In view of the upcoming UN General Assembly discussion on the Question of Palestine, India, Brazil and South Africa express their support for Palestine’s request to be accorded Observer State status in the United Nations system.»
Que conclure de cette succession d’appréciations et de nouvelles, de cette chronologie somme toute surprenante. D’abord, on observera, notamment en consultant les archives de M K Bhadrakumar, que cette sorte d’hésitation, d’imprécision, d’insaisissabilité dans la politique indienne n’est pas nouvelle ; de ce point de vue, on ne peut parler d’un “tournant politique indien” mais bien d’une incertitude de sa politique courante en Inde. Au reste, cette incertitude n’est pas propre à l’Inde, et si nous nous attachons à ce cas c’est à cause de M K Bhadrakumar, certes, et, d’une façon générale, de l’importance de ce pays (l’Inde). Cela admis comme préambule que l’on doit connaître, il nous paraît que l’exposé de cette situation, justement parce qu'elle ne présente pas un cas propre à l’Inde mais propre à la situation générale des relations internationales en général, mérite sans aucun doute quelques remarques.
• Il y a un signe incontestable de désordre dans l’exposé chronologique qui nous est fait d’une façon objective, par la simple addition des faits selon la chronologie. A la lumière de la nouvelle du 21, les commentaires péremptoires, furieux et sarcastiques du 19 prennent toute leur dimension un peu dérisoire, notamment pour définir l’assurance de ceux “auxquels on ne la fait pas” ; le volume de la voix (ou de la plume), l’emphase des adjectifs et des expressions toutes faites, le plaisir évident de s’ébrouer dans le cynisme comme fondement d’une bonne politique ou d’une politique conforme à leur raison subvertie, ne font que marquer, dans le commentaire sur la situation du monde, les vides béants que crée le désordre du monde. Il est extrêmement difficile de fixer la profondeur réelle, “réaliste” ou principielle c’est selon, d’une politique dans le temps d’une crise, dans un temps qui n’est fait que de crises successives, de chaînes crisiques en chaînes crisiques. Les prises de position officielle n’impliquent aucune certitude, et peut-être même, – sans aucun doute pour notre compte, – bien moins de certitude que nombre d’autres… Parmi ces “autres”-là, nous favorisons les appréciations qui se réfèrent à des principes, comme c’est le cas pour M K Bhadrakumar qui tient le principe de souveraineté pour l’essence de bonnes et justes relations, et de façon générale les appréciations qui sont baignées, à l’occasion ou plus souvent, de l’intuition haute.
• Notre appréciation de la séquence est effectivement intuitive, pour poser l’hypothèse que la première réaction indienne, loin de correspondre à l’appréciation “réaliste” des cyniques qui n’est qu’une appréciation de bassesse et de servilité, correspond plus simplement au produit de la politique-Système, adaptée à la sauce indienne. Cette politique-Système est un produit dont l’origine est, pour un esprit rationnel qui s’en remet à cet instrument subverti (la raison influencée par le “déchaînement de la Matière”), totalement incompréhensible. (A cet égard, nous renvoyons à ces remarques sur la “politique extérieure” européenne, que nos lecteurs ayant le courage de poursuivre le texte jusque-là ont pu lire dans notre F&C du 23 novembre 2012 : «Nous parlons des USA, mais nous pourrions aussi bien parler de l’Union Européenne, et dans des termes extrêmement fermes et documentés ; nous parlerions alors, essentiellement pour notre documentation personnelle, de la partie de politique étrangère de sa politique-Système, où il apparaît de plus en plus que les politiques russe, iranienne et syrienne (pour être parfaitement précis, et tout aussi documenté en l’occurrence), marquées par la brutalité aveugle et l’affrontement nihiliste de la part des Européens, constituent des politiques que plus personne, y compris aux plus hauts échelons, n’est capable de maîtriser, et dont personne n’est capable de comprendre le mécanisme et le processus, – la seule chose apparaissant clairement étant la terrorisation des psychologies de la plupart des dirigeants devant ces politiques insaisissables et impératives.»)
Il nous apparaît que nous sommes et serions de plus en plus souvent placés devant ce colossal obstacle de compréhension des politiques en cours, de leur évaluation, de leur véritable valeur, sinon de leur véritable existence. Cela constitue sans aucun doute l’un des défis les plus redoutables pour l’esprit, et implique notamment la reconnaissance que la raison, dans son état actuel, ne suffit plus à identifier les réalités du monde, sans parler de la vérité du monde. L’appel constant à l’expérience et, par-dessus tout, à l’intuition haute, et l’expérience étant alors éclairée par l’intuition, est une nécessité fondamentale.
Mis en ligne le 24 novembre 2012 à 13H33
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