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3472Le 10 juin 2008, nous publiions une analyse (dans cette rubrique) offrant une nouvelle interprétation de la Première Guerre mondiale, sous le titre: “A un siècle de là”. Aujourd’hui, nous précisons et nous élargissons à la fois notre propos, en le centrant sur la bataille de Verdun, “la plus grande bataille de tous les temps”. C’est une démarche caractéristique du phénomène “contraction-élargissement” qu’on constate par ailleurs à propos de nos crises présentes: contraction (donc, précision) sur un point précis et exemplaire (Verdun) du cas général (la Grande Guerre), élargissement du domaine à la crise générale de la modernité, – soit, Verdun comme une sorte de “point-omega” de la crise générale.
Nous ne cachons pas une seconde que l’expérience vécue, aboutissant au livre et objet d’art photographique Les âmes de Verdun, dont nous vous avons parlé, a joué un rôle essentiel dans cette réflexion.(1) L’émotion du souvenir, l’émotion esthétique de l’histoire retrouvée dans sa forme tragique reconstituée, sont de formidables moteurs pour l’intuition qui devrait être le grand guide de l’Histoire; certes, nous la préférons, lorsqu’elle s’appuie sur la connaissance bien tempérée, aux décomptes d’apothicaire des instituts universitaires et scientifiques qui prétendent s’emparer de l’histoire et qui nous ont conduits à la catastrophe intellectuelle et historique qu’est notre temps, – là où ils ne comprennent plus rien de ce qui nous arrive tout en prenant l’air entendu à ce propos.
Notre propos est très ambitieux puisqu’il implique une proposition de restructuration complète de l’histoire de notre temps. Il s’agit de cette époque que nous serions tentés de désigner comme l’“ère technologique”, que certains scientifiques ont désignée comme une nouvelle ère géologique marquée par l’action de l’homme. (“Anthropocène”, ère géologique commencée à la fin du XVIIIème siècle avec l’introduction de la machine et de la thermodynamique.) La bataille de Verdun trône au coeur de ce schéma, à la fois référence et illustration.
Nous allons tenter de définir la bataille de Verdun selon trois visions successives, figurées par trois cercles concentriques de plus en plus larges, à la mesure de l’élargissement de l’explication et de l’élargissement du temps historique qui supporte l’explication. A défaut d’autres titres et sous réserve d’en trouver d’autres, si cela était nécessaire, les trois cercles seraient les suivants:
• Le cercle stratégique;
• Le cercle technologique;
•Le cercle métahistorique.
Le “cercle stratégique” est certainement proche de la bataille telle qu’on l’a vue et qu’on l’a vécue, au moment où elle se fit. Aujourd’hui, à notre sens, ce “cercle” lui-même a été perdu de vue, alors qu’il était évidemment celui qui, dans tous les cas, devait rester le plus visible puisqu’il est celui qui s’attache à l’évidence des opérations de la Grande Guerre.
Verdun est présenté par l’interprétation postmoderniste actuelle, sorte de “pensée unique” en cours de l’histoire si vous voulez, comme la bataille archétypique de la Grande Guerre: absurde, barbare, sanglante au-delà de tout et sans aucun sens; à la limite, si vous voulez un sens, ce sera celui-ci, bien dans les moeurs du temps: l’enfant monstrueux et nihiliste de l’absurde affrontement de nationalismes monstrueux et des généraux type-ganache pleins de vanité et assoifés du sang de leurs hommes. Cette idée générale est bien illustrée par un journaliste parisien (Le Monde), faisant son article à la suite des commémorations de juin 2006 et y glissant cette sorte de bon mot qui fait les gorges chaudes des salons: «La Voie Sacrée est une voie sans issue.». Le brave garçon préfère l’autoroute pour rentrer dare-dare à Paris. S’il existe un stéréotype de la bataille de Verdun aujourd’hui, on ne le trouve pas dans la bataille elle-même mais dans le jugement postmoderne sur la bataille.
Notre appréciation est, au contraire, qu’à part les batailles “de rupture” du début et de la fin de la guerre (la Marne de 1914, la campagne de mars-novembre 1918), c’est-à-dire dans la substance même de cette “guerre des tranchées”, la bataille de Verdun est la seule à avoir un sens stratégique, donc la seule bataille décisive de la période, la seule qui devait être menée coûte que coûte.
Quoi qu’il en soit des buts nébuleux des Allemands en attaquant (la réelle raison n’est nulle part tranchée de manière satisfaisante, y compris la thèse du “saignement à blanc de l’armée française), les premiers jours (21 février-8 mars 1916) furent effectivement décisifs. Si les Français avaient cédé, si Verdun avait été investi, une opportunité stratégique naturelle et fondamentale s’ouvrait à l’Allemagne: la manœuvre stratégique de revers, tant de l’armée française que de Paris, éventuellement la victoire. Les Français ayant tenu, le reste avait bien sûr un sens, quelles que fussent les souffrances consenties. A cette lumière, le sens de la bataille de Verdun (300.000 morts en 300 jours) est évident, par exemple à côté de la bataille de la Somme déclenchée par les Anglais soutenus par les Français (410.000 morts en 140 jours à partir du 1er juillet 1916), qui recherchaient une percée classique, selon les manuels militaires, dont le résultat en cas de réussite aurait été loin de s’imposer comme naturellement décisif.
Le problème de Verdun est celui de l’émotion idéologique qui sous-tend aujourd’hui nos jugements historiques. De deux choses l’une: ou bien cette bataille est jugée à l’aune de l’horreur de la guerre, et, plutôt (on y reviendra), de la guerre moderne. Alors, elle est absurde et condamnable, mais pas plus que la Somme, la Marne, la bataille de France de 1940, la bataille d’Okinawa, le largage de la bombe atomique d’Hiroshima et ainsi de suite. Ou bien elle est jugée à l’aune de son intérêt stratégique et, alors, elle est, avec la Marne en septembre 1914, la bataille la plus nécessaire et la plus chargée d’un sens impératif rejoignant le sens même de l’affrontement.
Aujourd’hui et selon les intérêts et l’émotion idéologiques, les deux termes sont mêlés selon leurs avantages de fortune. Verdun, comme bataille moderne avec ses horreurs, est barbare et absurde. Elle n’a donc aucune justification (barbare) et aucun sens stratégique (absurde); son absurdité barbare est avérée, aussi bien dans sa substance que dans ses motifs, ses ambitions et ses fins. La Grande Guerre ayant été érigée en symbole de l’affrontement des nationalismes et cette bataille érigée en symbole de cette guerre de ce point de vue, la pensée enchaîne sans états d’âme particuliers sur la condamnation du principe des nations au nom de la barbarie et de l’absurdité devenues spécifiques à la bataille de Verdun, et précisément à propos de cette bataille. Il s’agit d’une pensée sophistique, qui porte un tel jugement contre la seule bataille de la “guerre des tranchées” (décembre 1914-mars 1918) où l’on ait pu clairement identifier un enjeu stratégique naturel à la fois essentiel et décisif (défaite ou sauvegarde de la France au moment où ce pays supportait encore le gros de l’effort de la guerre), tandis que les autres batailles ne poursuivaient qu’un enjeu stratégique partiel, qui ne pouvait devenir décisif qu’accidentellement.
Qui plus est, l’aspect stéréotypée (stéréotype de l’absurde guerre des tranchées) de la bataille de Verdun, qui fonde une part importante du jugement absolument négatif sur la forme et le principe de la bataille de Verdun, est complètement démenti par les faits tactiques de la bataille. Le professeur allemand Gerd Krumeich observe ceci (séminaire de février 2006 à Verdun) qui est unanimement reconnu: «“Verdun” ne fut pas encore un théâtre de guerre comme fut la Somme plus tard, où le soldat devint l’accessoire impuissant de la machinerie de guerre où il ne fit qu’essayer de durer. Verdun ce fut le changement de positions, l’attaque et la défense, la prise et la reprise de villages, de forts et d’abris. Sur la Somme, en revanche, tout cela s’effaça devant l’impératif du bombardement universalisé où il ne s’agissait que de “tenir quand même”.»
Ce qui précède sur les conditions tactiques et humaines de la bataille nous fait paradoxalement nous hausser d’un cran. (Paradoxe puisqu’en principe, le domaine tactique est inférieur au stratégique.) Nous passons au “deuxième cercle de l’enfer”, celui que nous nommons le “cercle technologique”.
La bataille de Verdun est, par ses conditions diverses, son intégration totale, sa durée, sa délimitation géographique, le théâtre d’une attaque technologique que nous qualifierions de “totalitaire” encore plus que “totale”. Le bombardement initial rassemble tout cela, il est allemand par la force des choses; il est ou il n’est pas une surprise, peu importe, mais sa masse incroyable est en soi une surprise réservée par les conditions absolument différentes qu’il impose au monde fermé qu’est cette bataille de Verdun qui débute; ce bombardement initial avec sa masse incroyable tournoie, broie et retourne tout, disperse et réduit en bouillie la volaille française; l’attaque sur les lignes françaises doit suivre, ramasser les morceaux et se précipiter sur Verdun, – l’affaire est dans le sac. Ce qui attaque à Verdun, le 21 février 1916, c’est la technologie guerrière la plus avancée. Il n’y aura pas de victoire dans ces premières heures, il y aura l’écrasement du problème posé par la soi disant défense française. (Rappelez-vous ce mot d’un général US au général belge Bricquemont en 1994, en Bosnie: «Nous, nous ne résolvons pas les problèmes, nous les écrasons.» Remplacez l’Américain par l’Allemand, – à cet égard, la filiation est évidente, on le verra plus loin, – et vous tenez la formule.)
Mais rien ne se passe comme prévu. La volaille n’est pas déplumée. Elle s’est enterrée et elle tient. Surprise, confusion. Comprenons bien ceci: ce n’est pas l’Allemand qui est surpris et confus, c’est la machine, – que l’homme ait ainsi résisté, d’une façon incongrue. Ainsi est tracé le deuxième cercle de l’enfer de la bataille.
Le reste, ce qui suit, les sept ou huit mois de batailles indécises, incertaines, furieuses, c’est le règlement des comptes après que ceux-ci aient été posés sur la table dans les premiers jours. Mais, dès ces premiers jours, à leur issue, jusqu’aux premiers jours de mars 1916, le schéma de la bataille est tracé. La conclusion est déjà faite pour résumer l’essence de la bataille: «Force est de constater que l’organisation française est loin d’être prise à contre-pied mais que, si le discernement de Castelnau n’y est pas étranger, le premier rempart de Verdun est bien le courage des hommes qui s’y battent…» (Professeur François Cochet, colloque Verdun de février 2006.) La machine ne l’a pas emporté au premier choc, qui devait être décisif, irrésistible... Par conséquent, la machine ne l’emportera pas.
Certes, il y a des aménagements. La netteté de la disparité initiale, et donc du symbolisme initial de l’affrontement se brouille. La logique de la guerre reprend ses droits. Les Français font monter leur artillerie en ligne et, eux aussi, se mettront à pilonner quand il faudra. Pourtant, même dans ces conditions qui semblent équilibrer l’usage de la technologie moderne, il y a des nuances qui marquent la différence des conceptions de l’origine. Selon les instructions mêmes de Pétain, insistant sur l’aspect psychologique, le soldat est soutenu par l’artillerie. Jusqu’au terme de la bataille, on verra des engagements où le facteur humain joue un rôle fondamental, qui restituent par séquence, dans l’espace borné de la bataille, la guerre de mouvements marquée d’objectifs ponctuels. Dans cette tactique, il y a le refus de l’automatisme de la bataille de la machine. Du côté allemand, la conception est plutôt que le soldat achève le travail essentiel de l’artillerie. Un capitaine français note dans l’Illustration, en mai 1916: «L’ennemi paraît s’être approprié sans réserve la formule qui est depuis des mois sur les lèvres de tant d’officiers français: “L’artillerie attaque. L’infanterie occupe.” Jamais une troupe allemande n’est sortie de ses tranchées avant l’achèvement du travail d’artillerie.»
La description est imparable. Elle est complétée par une autre citation (Cochet): «La bataille de Verdun est caractérisée par un gigantesque déluge de feu dû à l’artillerie, qui représente alors le summum de la modernité dans la technologie guerrière, que les Allemands emploient en une concentration jamais vue jusque là. Or, ce sont des moyens traditionnels qui permettent aux Français de résister: poitrines des hommes sur points d’appui d’une fortification un peu trop rapidement jetée aux oubliettes.» Ce qui a attaqué à Verdun, c’est «le summum de la modernité dans la technologie guerrière», c’est-à-dire la modernité et le Progrès lui-même. Ce qui a résisté, ce sont les hommes dont on sait, à cette époque où la chose fut chantée tandis qu’elle est maintenant ridiculisée, qu’ils affirmaient l’attachement à une terre, à une tradition, à une histoire, qu’ils disaient leur foi dans un enracinement des choses et des êtres.
Le schéma est évident, si on l’éclaire à la lumière des événements actuels. L’affrontement se fit entre les forces déstructurantes de la modernité, contre les structures de la tradition. Cette déstructuration touche tous les degrés, de la pure physique tellurique des paysages de la bataille à la spiritualité même, celle des hommes plongés dans l’enfer du fer et du feu. Cela rejoint nos propres affrontements de notre époque postmoderne, qui caractérisent de plus en plus les actions brutales posées au nom des principes divers, lorsque les forces déstructurantes prétendent briser des sociétés, des moeurs, des traditions et des enracinements. Observez la bataille de cette façon, – en sachant que c’est la seule de cette ampleur et de cette force qui présenta ces caractères si divers et si significatifs dans la Grande Guerre, – et découvrez l’étonnante actualité de cette bataille qui jette un pont tragique entre le début du XXème siècle et le début du XXIème siècle.
Une fois fait, le constat est si puissant qu’il entraîne le reste. A elle seule, la bataille de Verdun caractérise et définit la Grande Guerre en lui donnant une dimension absolument nouvelle.
Lorsque Paul Valéry parle de Verdun comme d’«une guerre toute entière insérée dans la Grande Guerre» (discours d’accueil du maréchal Pétain à l’Académie Française, 1931), nous le compléterions respectueusement en observant que Verdun, cette “guerre tout[e] entière” est tout entière la Grande Guerre, plus qu’aucune autre bataille. L’affrontement entre les forces déstructurantes et les forces structurantes, où les secondes triomphèrent en un signe lumineux que la catastrophe n’est pas toujours inéluctable, s’il annonce notre époque, est aussi une application affreuse d’un affrontement qui précéda la guerre et qui est la cause fondamentale de la Grande Guerre.
On sait qu’avant la Grande Guerre, la globalisation régnait déjà. Certains la chantèrent, s’étonnant que la guerre stupide et incompréhensible ait pu interrompre cette joyeuse ritournelle. Ils omirent d’observer que l’expansion de la puissance de l’Allemagne, au coeur de l’Europe, comme une «chaudière européenne» (lettre de Rathenau à von Bulow), avec la pression équivalente jusqu’à l’explosion, était également une manifestation typique, – annonciatrice de nos propres événements, avec les USA à la place de l’Allemagne, – de la globalisation. Du coup, la Grande Guerre trouve son explication, non dans les observations laborieuses des experts-historiens du CNRS, mais dans l’observation du philosophe de l’histoire, ou historien prophétique. Dès 1917, Guglielmo Ferrero identifie dans la Grande Guerre l’affrontement entre «l’idéal de perfection» d’une civilisation d’origine latine et méditerranéenne, représentée par la France, et «l’idéal de puissance», que représentent l’Allemagne et son pangermanisme. Il n’en faut pas plus pour comprendre la grande Guerre, et Verdun en son cœur, entre les forces déstructurantes de «l’idéal de puissance» et les forces structurantes de «l’idéal de perfection».
Certes, Verdun et la Grande Guerre ne peuvent être compris qu’à la lumière de la métahistoire, ou métaphysique historique. Sinon nous flottons de lieux communs en lieux communs, aussi sucrés que du miel et aussi justes que le fil à couper le beurre (le carnage qui n’a pas de sens, “plus jamais ça” et ainsi de suite). La bataille est un paroxysme épouvantable d’un affrontement qui nous vient de siècles et de siècles, – du haut Moyen Âge à la Renaissance, – et prend son essor à la fin du XVIIIème siècle avec deux événements fondamentalement déstructurants, qui vont lancer la machine de la modernité: la Révolution française, qui déstructure la guerre pour la recomposer en un événement central de cette modernité, où la technologie et son pouvoir de destruction vont conduire la politique; et la “révolution anglaise”, ou le développement du machinisme par le choix de la thermodynamique. (Alain Gras, dans Le choix du feu, montre que le choix aurait pu être celui de l’hydrodynamique pour la fourniture de l’énergie, – l’eau remplaçant le feu, et cela avec tant de différences potentielles, y compris dans les conceptions et dans les psychologies. Cela nous ramène à la remarque déjà faite du choix de marquer à ce passage de l’Histoire le début de l’Anthropocène, la première ère de notre histoire géologique à être déterminée par l’action de l’homme conduisant à la crise climatique, conséquence directe du “choix du feu”.)
On comprend alors la puissance absolument bouleversante pour l’esprit, voire pour la psychologie, d’envisager effectivement une telle interprétation de l’Histoire des deux derniers siècles, avec comme l’un des paroxysmes la grande Guerre, et le paroxysme de ce paroxysme, la bataille de Verdun. A cette lumière, les explications piètrement idéologiques sur l’affrontement des nationalismes, qui ont l’avantage certes incalculable de justifier notre pensée courante, trahissent leur éxiguïté et leur pauvreté conceptuelles. Les affrontements nationalistes existent, mais comme conséquences sans enseignement propre de la métahistoire.
A cette lumière, nous pouvons mieux considérer combien l’Histoire prend tout son sens et combien elle s’exprime si tragiquement dans cette bataille. Bien plus encore, le sens de la chose nous conduit à mieux embrasser le sens de la crise générale qui embrase notre temps du début du XXIème siècle. Le temps historique de type eschatologique que nous vivons n’est explicable que dans la perspective des deux siècles qui précèdent, où Verdun et la Grande Guerre sont un point d’orgue, qui développent le grand affrontement des forces déstructurantes contre les forces structurantes.
A considérer de la sorte Verdun et la Grande Guerre, et Verdun comme paroxysme et expression tragique de la métahistoire, nous réhabilitons le récit fondamental du siècle qui vient jusqu’à nous et, si nous venons rendre grâce au champ de cette bataille, c’est-à-dire à ses morts de quelque origine qu’ils soient, nous comprenons mieux le sens de l’horrible carnage.
Cette vision de la bataille préfigure fondamentalement nos propres guerres postmodernes (ce qu’on a coutume de nommer également les “guerres de 4ème génération”, ou G4G), où l’on a bien du mal à distinguer l’ennemi et le sens de la guerre lorsque l’on s’en remet aux exhortations de nos propagandes diverses, où tout s’éclaire par contre lorsqu’on avance l’explication de l’affrontement déstructuration-structuration. L’on observera qu’à avancer cette interprétation, effectivement, les nationalismes ne comptent plus guère, et la bureaucratie de guerre du Pentagone et du complexe militaro-industriel prend aisément la place, un siècle plus tard, du complexe impérial liant le Grand Etat-Major, les industriels de la Ruhr, le prussianisme, et même la culture postmoderniste et avant-gardiste de l’Empire si bien décrite par Modris Ekstein dans son Sacre du printemps. Un tel récit détruit les images d’Epinal de nos discours idéologiques qui ont pour fonction de perpétuer les illusions du XXème siècle d’après-1918, et absoudre la modernité d’une barbarie amplement démontrée par les totalitarismes divers.
Il y a quelque chose à la fois de profondément émouvant et de très puissant pour la conviction, à considérer qu’une telle appréciation métahistorique d’un temps historique comme élément d’une continuité qui remonte à plusieurs siècles et passe par Verdun, peut être suscitée par des visites sur les lieux de la bataille tels qu’ils sont entretenus et restaurés. Cela justifie l’ambition de l’entretien des lieux du passé comme politique à part entière, bien plus que les considérations formelles habituelles. Ce fut notre cas.
Au sortir d’une telle aventure intellectuelle dont le socle incontestable est la dimension de l’émotion poignante et tragique ressentie devant la représentation du souvenir (la visite à Verdun), vous ne pouvez empêcher le constat que notre système souffre, parmi tant d’autres travers, de ne plus reconnaître ni comprendre son histoire, pour avoir réduit Verdun à ce qu’on en fit si souvent depuis la bataille. Notre système semble n’avoir conçu, pour survivre, qu’une sorte de lobotomie éradiquant la fonction de l’émotion devant la nature de l’histoire du passé, au profit de l’émotion pour les exigences de l’idéologie d’aujourd’hui. Nous fabriquons notre histoire pour répondre au diktat de notre situation présente. C’est une imposture nihiliste.
(1) A propos des âmes de Verdun: vous n’avez pas tous acheté ce livre, nous en sommes sûrs. Comblez au plus vite cette lacune en passant votre commande accompagnée d’un virement bancaire de 32 euros pour un exemplaire au compte 271-0087002-25 (Belgique) des éditions Mols; autre suggestion, allez donc sur notre site http://www.lesamesdeverdun.com/, vous pouvez également y passer commande... Ou bien, classiquement, demandez-le à votre libraire: Les âmes de Verdun, préface de Yves Mollard La Bruyère, texte de Philippe Grasset, photos de Michel Castermans et Bernard Plossu.