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2 mars 2004 — Et voilà, c’est fait : pour la première fois, un officiel en fonction, le chef d’état-major de l’U.S. Army, a commis le sacrilège ultime, et, au nom de ce sacrilège, justifié d’une décision bureaucratique et budgétaire exceptionnelle : l’abandon du programme du nouvel hélicoptère RAH-66 Comanche
Voici l’objet du délit, tel que nous le rapporte Defense News, du 1er mars 2004 :
« Army officials say the move reflects the more elusive enemies and weapons that have emerged since Comanche was conceived in 1983 to find and fight Soviet tank formations. Stealth, once the RAH-66’s biggest selling point, is now deemed unnecessary and expensive.
» “Comanche was a wonderful idea up until about 1989,” Gen. Peter Schoomaker, Army chief of staff, told lawmakers Feb. 25, two days after the Army announced its decision. “We started seeing that kind of threat disappear, and then it continued to disappear over the last decade.”
» After two years of war, it has become “obvious” that the Army should not “put all our eggs in one basket” — the expensive RAH-66, Schoomaker said. “It makes sense to do other things.” »
Le sacrilège, le crime de lèse-majesté, c’est simplement la déclaration in fine que la technologie furtive (stealth) n’a aujourd’hui aucune utilité opérationnelle. Bien sûr, la chose est dite, susurrée ou exprimée clairement, depuis longtemps, souvent par des voix autorisées (voir, sur ce site, la position de l’ancien secrétaire à la Navy John Lehman). Cette fois, elle vient du coeur de la bureaucratie en place.
Il y a des réactions. Le même article s’en fait l’écho. On observera qu’elles sont faiblardes, puisque appuyées sur l’hypothétique utilité de la stealth dans le futur (type “on ne sait jamais”). Mieux, ou pire, elles renforcent objectivement la dénonciation sacrilège de la stealth en reconnaissant de facto que cette technologie n’est pas utile aujourd’hui.
« Not everyone agrees. One senior Army official cautioned that the military should not expect every future war to mirror the Iraq and Afghanistan campaigns.
» “Today’s threats are not using so much radar, so low observability [or stealth] is not an important thing. But not in the future?” the official said. “I take issue with that. … This is going to be a very real threat.”
» Comanche’s stealth and other capabilities would confer battlefield advantages in “just about any area where we conceive of having ground forces” — even against terrorists, the official said. »
Les nécessités bureaucratiques et budgétaires poussent à ces positions extrêmes. L’abandon du Comanche est plus important par les raisons données de cet abandon, que par l’abandon lui-même. La mise en cause de la stealth met en cause les fondements mêmes du développement technologique dans les systèmes d’arme et les structures mêmes de la puissance américaine, en plus d’un investissement qui n’a jamais pu être calculé (voir plus loin) mais qui pourrait largement se situer entre $200 et $300 milliards depuis 1975.
Cette mise en cause de la stealth est un élément important de la crise ontologique qui secoue le Pentagone et le complexe militaro-industriel américain. D’autres bombes à retardement sont en route : le F-22 et le JSF/F-35 sont les plus spectaculaires d’entre elles, puisqu’elles impliquent des programmes dont le coût astronomique et les difficultés techniques ont beaucoup à voir avec cette même stealth.
Avec l’abandon du Comanche, nous sommes entrés dans le coeur du malstrom.
... C’est une bonne question (« C’est une putain de bonne question » [bis : selon Depardieu dans Rive droite, rive gauche]). On se la pose depuis longtemps, sans réponse précise.
Voici une tentative de réponse datant de 1990 (extrait de Armed Forces Journal International, février 1991), époque où la stealth était encore sacro-sainte. On peut tout de même distinguer, déjà, quelques raisons de frayeurs extrêmes. (Que penser, par exemple, de l’hypothèse : « The cost is infinite if you only buy a couple of airplanes. »)
« Lockheed's Ben Rich (whose Skunk Works built the F-117A) tells AFJI that stealth adds only about 10% to an air- plane's cost, and should be viewed as a trade-off like any other feature. [John J. Welch, Jr., the Assistant Secretary of the Air force for Acquisition] , has a slightly different answer. “How much does stealth cost? We have tried to figure that out. The answer I want to give you is, `Not much-10% to over 20%’ but I'm becoming convinced that answer is wrong. There's a helluva big R&D bill. If you don't buy a lot of airplanes, the R&D cost as a percentage of production cross gets into very large numbers, well into double digits. The cost is infinite if you only buy a couple of airplanes.” »