Kerry pourrait-il avoir une politique étrangère ?

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Kerry pourrait-il avoir une politique étrangère ?


6 mars 2004 — Sans doute le premier événement important de la campagne présidentielle de John Kerry, et la première indication sérieuse de sa tactique électorale et de sa politique étrangère, c’est un discours de Teddy Kennedy. C’est le 5 mars, devant le Council of Foreign Policy (CFR), que le sénateur Ted Kennedy a fait le discours auquel nous nous référons ici. Le sénateur du Massachussets a renouvelé ses attaques de l’année dernière (d’octobre 2003) contre GW Bush ; il s’agit d’attaques très violentes, qui sortent du lot et constituent, à chaque fois, à cause du poids politique de Kennedy, un événement politique incontestable.


« Senator Edward M. Kennedy of Massachusetts today delivered a blistering indictment of President Bush's decision to go to war in Iraq, accusing Mr. Bush of deliberately exaggerating the threat posed by Saddam Hussein's regime.

(...)

» Mr. Kennedy accused the president of resorting to “pure, unadulterated fear-mongering, based on a devious strategy to convince the American people that Saddam's ability to provide nuclear weapons to Al Qaeda justified immediate war.” He also accused the Bush administration of going well beyond the assessments provided by intelligence agencies in its prewar depictions of Iraq, its alleged illicit arsenal and its ties to terrorism. The senator singled out George J. Tenet, the director of central intelligence, who said last month that his agency had never portrayed Iraq has having presented an imminent threat to the United States, as having failed in his obligation to correct statements by Mr. Bush that described the Iraqi threat as “unique and urgent” and “grave.” »


L’affaire a été rondement menée : discours deux jours après la confirmation de la désignation de Kerry, la date a été longuement et délibérément calculée, avec des négociations précises avec le CFR comme tribune pour Kennedy. Il s’agit d’un discours de campagne, qui ouvre la campagne de Kerry, qui parle pour Kerry, et qui parle pour Kerry à l’establishment traditionnel de politique extérieure (le CFR). Il indique que la chasse est ouverte, qu’on ne fera aucun cadeau à GW, que l’attaque portera sur sa politique extérieure, que la campagne sera radicale, dans un pays nettement coupé en deux. Les démocrates ont choisi l’affrontement, sous l’inspiration de la puissance politique et financière des Kennedy.


« The speech by Mr. Kennedy to the Council on Foreign Relations was the most detailed Democratic assault to date on the issue. He has played a high-profile role in Senator John Kerry's presidential campaign, and the tone and timing of his remarks suggested that Democrats see merit in opening a new election-year challenge on the issue of Mr. Bush's credibility. »


Cet épisode nous dit plusieurs choses : d’abord que l’influence des Kennedy, chez Kerry, est une chose bien réelle. Kerry n’est pas un “JFK” (ses initiales, comme celles de John Kennedy) pour rien. Dans tous les cas, durant la campagne, Kerry se reposera en partie sur les Kennedy, qui gardent une puissance incomparable.

Qu’est-ce que cela nous dit de la politique étrangère de Kerry ? Le discours de Ted Kennedy tend à démontrer que, au moins en matière de politique extérieure, le phénomène que nous avons décrit devrait se vérifier : loin de se modérer, la position politique de Kerry devrait se radicaliser, essentiellement dans une critique de plus en plus violente de la politique de GW Bush.

William Pfaff nous donne une analyse intéressante de ce que pourrait être une politique étrangère de Kerry. Voici quelques-unes de ses réflexions :


« Zbigniew Brzezinski, national security adviser in the Carter administration and foreign affairs counselor to previous Democratic candidates, has a new book out this month called “The Choice: Domination or Leadership.” Brzezinski naturally favors “leadership,” and says that the Bush administration's bullying behavior and search for “domination” over its allies as well as its enemies has damaged both the war against terrorism and America's larger interests.

» Brzezinski thinks America is in a world-changing situation that demands a new global system, with the United States as its leader. But he says that Bush has responded in the wrong way. Brzezinski wants a cooperative effort with America's allies, but also insists that everyone else must let America lead: “The acceptance of American leadership by others is the sine qua non for avoiding chaos.”

» That doesn't seem very far from the Bush administration position, just more courteous, and less shrill.

» John Kerry is also for leadership, but would seem cool to a form of American leadership in which the United States “hoards all the power,” whether politely or otherwise. He talks about “internationalized” actions, “shared responses” and renounced unilateralism. He has even spoken of “collective” rather than “imperial” policies.

» This will be the foreign policy sub-text of what promises to be a raucous political campaign. »


Il est bien difficile aujourd’hui d’avancer ce que pourrait être une politique étrangère de John Kerry, et les réflexions de Pfaff ne le démentent pas vraiment. En réalité, nous sommes dans une campagne électorale qui ne construit pas, pour aucun des candidats, une politique étrangère pour les quatre années à venir. La campagne se limite à rechercher la victoire en novembre, dans un climat incroyablement lourd, d’un antagonisme forcené. C’est dire si, demain, si Kerry était élu, la situation semblerait complètement ouverte pour ce qui est de la politique étrangère...

Mais, effectivement, nous écrivons “semblerait”. Pendant les sept mois qui viennent, les événements continueront à se développer, notamment en Irak, et l’on sait qu’ils se développent vite en ce moment. Certains événements inattendus pourraient même interférer gravement dans la campagne. C’est-à-dire qu’en novembre, l’élu se trouvera devant une situation qu’il ne contrôle pas, qui ne sera certainement pas celle que nous avons aujourd’hui. Cela nous conduit à avancer ce qui nous paraît la seule certitude de l’époque, qui est le caractère de plus en plus incontrôlable des événements extérieurs, “hyper-puissance” ou pas. L’élu de novembre 2004 aura un problème encore plus complexe à résoudre que celui qu’il aurait aujourd’hui, s’il était élu aujourd’hui. Sa politique extérieure ne pourra être qu’une adaptation plus ou moins habile aux conditions extérieures.

Nous ne pensons pas, de ce point de vue, qu’un Kerry amènerait des changements fondamentaux, parce qu’il ne le pourrait pas. Simplement, nous, nous autres Européens, aurions droit à quelques mots aimables en plus. C’est après être entré en fonction, après avoir pris en main la politique, après l’avoir exercée pendant quelques mois, que Kerry pourrait songer à éventuellement modifier cette politique. Il serait alors temps pour lui de mesurer la formidable difficulté d’un tel projet, face à la bureaucratie washingtonienne et aux pesanteurs de la puissance qui anime la politique US.