“Churchill Mark-II” et sa doctrine

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“Churchill Mark-II” et sa doctrine


8 mars 2004 — Le 5 mars, Tony Blair a prononcé un de ces grands discours qu’il affectionne et dont il a le secret. Il y a exalté la justesse de son analyse, de la guerre qu’il a conduite il y a un an, de sa vision du monde, de sa “doctrine”


« Tony Blair defended the doctrine of pre-emptive military action this morning, promising to “wage war relentlessly on those who would exploit racial and religious division to bring catastrophe to the world”.

»In a speech in his Sedgefield constituency, the prime minister warned of the “mortal danger” posed by Islamist terrorists and rogue states acquiring weapons of mass destruction, and insisted that ''this is not the time to err on the side of caution. We surely have a duty and a right to prevent the threat materialising; and we surely have a responsibility to act when a nation's people are subjected to a regime such as Saddam's,” he said. »


Les réactions ont été diverses et variées. Elles sont souvent tout aussi intéressantes que le discours lui-même. Par exemple, le soutien de The Observer, par ailleurs opposé à la guerre, n’est pas si étonnant. Le journal pose justement que « la crise irakienne demande un nouvel ordre mondial » et que, par conséquent, puisque le Premier ministre lui-même propose une sorte de nouvelle organisation du monde, « l’appel de Tony Blair mérite notre soutien ». L’article n’absout certainement pas Tony Blair de ses fautes éventuelles (Irak et compagnie) mais il admet un point fondamental, — qu’il existe une menace terroriste d’un nouveau genre et que cette menace nécessite des ripostes d’un nouveau genre, s’appuyant sur une structure internationale d’une nouvelle sorte. En conséquence de quoi, il recommande de soutenir le Premier ministre. Cet article a l’avantage d’attirer l’attention sur un point fondamental : la menace terroriste est-elle une menace d’un nouveau genre, et de la sorte apocalyptique que décrit Tony Blair ? Tout est là, certes...

Un avis plus nuancé est celui de David Clark, conseiller spécial de Robin Cook au Foreign Office de 1997 à 2001. (Clark parle manifestement au nom de son ancien patron et il exprime sans aucun doute la tendance de gauche, humanitariste, du parti travailliste.) Lui aussi approuve plus ou moins l’idée que le monde nécessite une nouvelle doctrine, une nouvelle structure de lois, etc. Mais il oppose des arguments plus solides, notamment sur l’inégalité de traitement appliqué à certains pays selon leurs liens avec les puissants du jour (Israël, certes). Voici quelques mots de lui :


« The Blair doctrine is based on the assumption that the existing thresholds for intervention (an imminent threat to international peace or a grave humanitarian crisis) are too high to deal with many of the challenges we currently face. There are good reasons for agreeing with this view, but only if it is followed to its logical conclusion. A broader legal basis for intervention should herald the beginning of a more principled and consistent approach to dealing with human rights violations and breaches of international law.

» If so, it would constitute a major progressive advance. Alternatively, it could simply provide cover for the militarily powerful to advance their interests without obligation. The result would not be a strengthening of the international community but a new form of international vigilantism and the return, in liberal guise, of the principle that might is right. 

» The problem Blair faces is that, because of Iraq, many are now inclined to see his proposals in precisely those terms. They listen to the high-minded rhetoric of British and American leaders pledging to extend the boundaries of freedom and note how quickly that sentiment is forgotten when it suits them. Then they look at the list of American client regimes to which the rules of the new humanitarianism appear not to apply: the club class of rogue states that occupy foreign territory, acquire WMD and boil their political opponents to death with impunity. They conclude that nothing has changed except the willingness of the great powers to be honest about their cynicism. »


Il y a un peu moins d’un an, le 29 avril 2003, Tony Blair lançait une attaque ferme contre le président Chirac qui venait de parler de “multipolarité”. Il était alors question, déjà, de “nouvel ordre mondial”, mais dont la condition implicite était l’alignement sur Washington. Aujourd’hui, c’est toujours le “nouvel ordre mondial” mais les conditions en sont plus lâches, plus générales. Cette fois, l’accent est mis, sur la fin, sur la réforme nécessaire des Nations-Unies pour faciliter les interventions quand elles s’imposent.

Le discours de Blair, aujourd’hui, est revenu au 11 septembre et au point fondamental que le 11 septembre a tout changé. Le discours, dans sa seconde partie qui explicite ce qu’on pourrait nommer sa doctrine, semble poser à nouveau la condition fondamentale que, puisque tout a changé depuis le 11 septembre, cela permet justement de faire des propositions radicales pour un “nouvel ordre mondial”. Ces propositions, cette analyse semblent faire fi de l’histoire qui a existé avant le 11 septembre et, par conséquent, des causes du 11 septembre. Elles ne proposent rien d’autre que ce que nous propose GW Bush, mais élargi aux Nations-Unies puisque, décidément, depuis le 29 avril dernier il s’avère que les USA seuls, c’est un peu court. En fait, Blair vaut bien son surnom de “Churchill Mark-II” : comme son prédécesseur, il ne voit rien d’autre que la guerre, pas d’autre issue possible que la guerre. Pourquoi pas, diraient certains, des amateurs du genre — sauf que, la guerre comme celle qu’ils ont fait en Irak avec les résultats depuis, cela aussi c’est un peu court.

Blair parle bien. Désormais, on a l’impression que c’est la seule chose qui lui reste, alors il s’en sert. Il parle, il parle, il parle. Curieusement pour un Britannique, au milieu de ces Britanniques qui ont toujours proclamé haut et fort leur mépris pour les penseurs, les intellectuels, les faiseurs de doctrine, il semble que nous ayons droit, chaque année, au printemps, à notre “doctrine Blair”.

Pendant ce temps, la réalité, c’est une contestation sans fin, avec chaque jour sa révélation, comme celle d’un chef d’état-major devenu Pair du royaume qui s’épanche publiquement à propos de la légalité de la guerre, qui a failli le pousser à la démission. C’est un climat délétère où même la légendaire solidarité de l’establishment britannique, moitié hypocrisie à couper le souffle moitié calme olympien, semble elle-même se diluer. Cela fait moins de bruit que le 11 septembre mais, Blair devrait s’en aviser, cela n’en est peut-être pas moins important. Peut-être Blair a-t-il une “doctrine” pour cela.