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10759 mars 2004 — La campagne électorale US démarre sur les chapeaux de roue. Une déclaration de John Kerry est la cause de cette appréciation, avec l’affirmation, sans précédent dans une campagne électorale, surtout à ce stade de la compétition, que de nombreux dirigeants étrangers souhaitent sa victoire.
« John Kerry dropped an early bombshell into the US election campaign yesterday by claiming some foreign leaders have already told him they want him to beat President George Bush in November.
» His remark, at a fundraiser, drew a mocking response from the White House, where officials pointed out that “US voters, not foreign leaders, decide who becomes President.” But it shows how foreign policy — usually a low ranking election issue here — may be front and centre of the battle this time around.
» Mr Kerry named no names when he addressed a fundraiser in Fort Lauderdale, Florida. But said: “I've met foreign leaders who can't go out and say this publicly but, boy, they look at you and say, ‘you've got to win this, you've got to beat this guy, we need a new policy.’” »
Cette déclaration de Kerry a donc provoqué des réactions. Elle en amènera de plus en plus, sur un sujet qui va s’avérer d’une importance formidable. On a déjà eu des indications dans ce sens, avec des remarques diverses faites à partir de la Maison-Blanche, évidemment toujours sous le couvert de l’anonymat. Kerry, qui parle un “fluent French”, qui a des liens familiaux avec la France (cousin germain de Brice Lalonde, écologiste et ancien ministre français), a déjà été décrit avec une raillerie venimeuse comme un homme qui « looks French ».
La question débattue d’ores et déjà est de savoir si cette déclaration de Kerry est une erreur. Tactiquement sans doute, mais la seconde question est de savoir si l’on peut, dans cette élection, en rester à la tactique...
« But his dragging of unspecified foreign leaders into the fray could be risky. True, a much-noted global survey by the Pew Research Center last summer found countries in Europe, Africa, Latin America and the Islamic world dislike Mr Bush — and it was their main reason for unfavourable views of the US. But Republican strategists may use the senator's words to depict him as a virtual agent of other countries. There are bound to be insinuations that among the “foreign leaders” in question are those of France and Germany, still unpopular here after their opposition to the invasion of Iraq.
» On the eve of that war, when Mr Kerry appeared the front-runner, White House aides were even letting it be known that he “looked French”. »
.... Car nous pensons, au contraire, qu’on ne peut en rester à la tactique. La question de la personnalité de Kerry serait sortie à un moment ou l’autre, tant sa personnalité est tentante pour cela, par contraste avec celle de GW : répondant effectivement en « fluent French » à des journalistes français, mais aussi citant in extenso des poèmes de T.S. Eliot (question à la Maison-Blanche : de quelle équipe de base-ball fait partie ce T.S. machin ?). Qu’on le veuille ou non, il y a là un affrontement de cultures (ou bien de culture contre non-culture) entre deux personnalités, et qui n’est nullement sollicité, qui correspond effectivement à des tendances politiques qu’on distingue chez Kerry, qui sont évidentes dans la politique de GW Bush. Le conflit est inévitable sur ce plan, comme il l’est dans d’autres domaines, dans tous les autres domaines. Bref, cette élection ira évidemment à un affrontement d’extrêmes, ce sera aussi bien une bataille culturelle que politique.
La tension existera partout, et de la même façon pour les “leaders étrangers”, les gens du Rest Of the World (ROW). La partie, pour eux, va être également délicate. Bien sûr que l’immense majorité d’entre eux veulent le départ de GW et lui préfèrent Kerry, y compris chez ceux qui soutiennent la politique de GW la fleur au fusil. Mais comment faire d’ici novembre, dans l’espoir fervent d’une victoire de Kerry ? Certes, ils le cacheront et Kerry comprendra, mais là n’est pas le problème ; le problème sera dans les pressions, jusqu’aux plus brutales, de l’administration GW Bush pour obtenir à l’extérieur le soutien à la politique US, pour renforcer la position de l’administration aux USA en vue de faciliter l’élection de GW. L’administration l’exigera avec d’autant plus de brutalité qu’elle sait n’avoir plus grand’chose à perdre avec ces dirigeants étrangers qui la trahissent déjà en applaudissant secrètement Kerry.
Drôle de dilemme : il faut tout de même soutenir la politique GW, comme on l’a fait depuis quatre ans en bons petits soldats, au cas où GW gagnerait, — mais ne risque-t-on pas, ainsi, de faire gagner GW, justement ce qu’on veut éviter ? Nous compatissons au dilemme aujourd’hui courant chez ROW et offrons quelques larmes de crocodile, — non sans observer qu’à force de faire du mensonge une thérapie et de la servilité une vertu on finit par ne plus distinguer vers où l’on va et qui l’on aime.
Aux USA mêmes, cet argument d’un Kerry à la solde du “parti de l’étranger” devrait être utilisé à fond, notamment par la droite dure qui soutient GW. Les démocrates, qui tiennent un candidat de type “grand format”, acquérant une stature internationale sans avoir levé le petit doigt, sont pleins d’enthousiasme et n’ont qu’un seul but : abattre Bush encore plus que faire gagner Kerry. (la catégorie ABBA, — pour “Anyting But Bush Again” — prolifère aujourd’hui : « “I have never ever seen the grassroots so energized,” a Washington state Democratic activist said this week. “They really want to beat this guy [Bush].” »). Nous risquons de voir un déchaînement de haine, une violence qui feront de cette campagne, avec la surenchère que permettent tous les moyens de communication, un événement unique. Selon la consultante républicaine Paula Woolf : « People on each side think the other guy is the devil incarnate. »