Anniversaires, anniversaires, — d’une guerre l’autre

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20, — non, 23 mars 2004 —

Il y a un an, etc ... Grosse faute de communication. On ne s’était pas avisé, en lançant cette grande guerre de l’Irak, que la date de son déclenchement la rapprocherait tant de l’anniversaire d’une autre grande guerre, qui inaugura la série. (Signe que lorsqu’on veut opposer GW à Clinton par une rupture, on pousse un peu. Le Kosovo, — c’est d’elle qu’il s’agit, commencée le 23 mars 1999 — est la première grande guerre démocratique du simili Empire en quête de confirmation. Celle du Golfe-I faisait encore partie de l’ancien temps.)

[Quant à nous, bons princes et fines mouches, c’est celle du Kosovo dont nous commémorons l’anniversaire des débuts, prioritairement sur celle de l’Irak parce que conformément à la chronologie.]

Pour le temps d’aujourd’hui et pour l’OTAN tout autant (ce sigle invite irrésistiblement aux piètres jeux de mots), la première grande guerre se rappelle à notre souvenir. Quelle paix est la plus significative de notre temps ? Celle du Kosovo, celle de l’Irak ? L’on découvre que la source de ces événements jaillit dans le mois des fous, que les folies s’y déchaînent justement et comme à propos. C’est bien de folie dont il s’agit, dans sa version sérieuse, la pathologique.

Depuis le 23 mars 1999 où furent lancées les armadas de l’OTAN, avec consigne de frapper courageusement mais pas en-dessous de 5.000 mètres d’altitude, nous sommes entrés dans l’ère des guerres à la double réalité. La guerre du Kosovo se déroule à Evere, au centre de presse de l’OTAN, tandis qu’Alastair Campbell, qu’on retrouvera pour l’Irak, charge son équipe de mettre en forme des histoires croustillantes qui détourneront l’attention. Bientôt, ces histoires raconteront une guerre du Kosovo à côté de la réelle guerre du Kosovo, celle dont on voit la paix aujourd’hui. Bientôt, on ne se souviendra plus que la première, la “première guerre virtualiste”.

A cause de notre mémoire si courte, nous avions perdu de vue cet incident de l’histoire. La conclusion de cette aventure c’était James Rubin, ancien porte-parole du département d’État de Madeleine Albright, qui nous l’avait donnée, dans une émission documentaire (“90 minutes”, sur Canal +) projetée au début de 2002. Lorsqu’on l’avait interrogé sur toutes les fausses réalités (ne parlons pas de “mensonges”) que les “Top Guns de la communication” (les hommes de Campbell) nous avaient fait avaler, Rubin avait répondu, très spontané : « But it works. » C’est ce qui s’appelle marquer un point.

Changement de décor, mais point d’esprit.

Depuis le 20 mars 2003, où fut lancée la guerre irakienne après un impromptu le 19 au soir (tir précis contre le bunker de Saddam où Saddam ne se trouvait pas), nous sommes comme dans un rêve, mais plutôt mauvais, qui prendrait évidemment des allures d’un cauchemar. La pire des caricatures que nous envisagions est en-dessous de la caricature que nous offre la situation du monde. Pas d’ADM qui furent la cause de la guerre, la situation en Irak chaotique, la région déstabilisée par l’apparition de ce foyer du terrorisme, les gouvernements occidentaux qui lancèrent la guerre eux-mêmes déstabilisés, le terrorisme hors de la zone relancé comme jamais par l’invasion irakienne. C’est une quête harassante de trouver un peu de bon dans cette pitoyable entreprise, même si les moins critiquables s’y emploient dans un dernier espoir de se convaincre qu’il y a un peu de cohérence dans le comportement de ceux qui, aujourd’hui, dirigent ce bas monde. (L’édito de The Observer du 21 mars, bien qu’on en comprenne l’esprit, n’ajoute pas beaucoup à la gloire de ce journal, si honorable en d’autres circonstances.) « La guerre contre l’Irak, dit un expert européen friand de lieux communs, ressemble à l’éléphant dans le magasin de porcelaines pour son effet sur la stabilité de la région, elle ressemble au chiffon rouge secoué devant les cornes du taureau pour son effet sur le terrorisme. »

Tout cela n’est encore rien, si cela est possible. Nous voulons dire que ce n’est pas le principal. A côté, il y a cet énorme phénomène, cette monstrueuse a-réalité du monde, la réalité d’a côté de la réalité, ce que nous désignons dans notre jargon comme le “virtualisme”. La façon dont les responsables de cette universelle dégradation continuent à plastronner, sans le moindre doute sérieux ni fondamental sur la justesse irréfutable de leur action, voilà qui n’est pas courant et nous fait mesurer combien nous sommes dans une époque différant radicalement de tout ce qui a précédé, mais qui était bien préparée par la guerre du Kosovo.

Quand, après avoir développé votre critique, vous appuyant sur des témoignages, d’autres analyses, le courant d’appréciation général, en un mot l’évidence, vous voyez un George W. Bush monter à la tribune et que vous l’entendez lancer que la guerre contre l’Irak fut “a boost for Middle East stability”, vous vous demandez de quoi l’on parle et qui dit quoi. Puis vous vous rappelez Jamie Rubin, le Kosovo, l’OTAN à Evere et la bande à Campbell, — et vous y êtes, — nous y sommes.

Entre temps, entre Kosovo et Irak, s’est glissée une autre trouvaille : la guerre contre la terreur. Mener les deux à la fois, celle contre la terreur et celle contre l’Irak, faire de la guerre contre l’Irak la guerre contre la terreur et vice-versa, et ainsi de suite, mélanger les “réalités virtualistes”, les arguments, les ADM et tout le toutim, c’est une tâche difficile. Ils ont fini par se prendre les pieds.

Il y a déjà eu pas mal d’anicroches (les avatars de Blair, l’ingénuité de David Kay et des ADM introuvables, etc). L’incident espagnol est le dernier du genre et le plus sérieux, parce qu’il plonge bien des gens, en Europe et aux USA, dans le plus complet embarras. L’incident espagnol célèbre à sa façon l’anniversaire de la guerre qui a mené à son terme la révolution virtualiste, en la plaçant devant le plus redoutable ennemi qu’un commandant en chef postmoderne puisse redouter : la réalité. L’histoire, plutôt que le diable, en rit déjà.