Qui commande à Falloujah?

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Qui commande à Falloujah?


3 mai 2004 — Oui, la question est intéressante : qui commande ici et là ? Pour le cas qui nous occupe : qui commande à Falloujah ? La machine militaire US, placée dans une situation qui s’apparente à une défaite, notamment dans la crise de Falloujah, semble ne plus savoir à qui obéir. Ce week-end, le président du comité des chefs d’état-major US, le général Myers a déclaré qu’il n’était pas juste de considérer le général Saleh comme commandant de la zone de Falloujah.

Cette “nomination” avait été annoncée trois jours plus tôt, nomination suivie de l’arrivée du général Saleh (une allure très semblable à celle de Saddam) sur les lieux. Saleh a été salué comme le “libérateur” de Falloujah. Depuis, Saleh a annoncé qu’il n’entendait pas livrer aux Américains les insurgés de Falloujah. Le Guardian rapporte ceci : « As a flood of civilians returned home after four weeks of a ferocious assault on the city by American marines, Major General Jasim Mohammed Saleh said the US had provoked a backlash from ordinary Iraqis. “The reasons for the resistance go back to the American provocations, the raids and abolishing the army, which made Iraqis join the resistance,” he said. »

Alors, que se passe-t-il à Falloujah ? Nous choisirions l’hypothèse du désordre, c’est-à-dire celle du morcellement du pouvoir américain, que nous avons déjà prise en compte. On peut lire ci-dessous ce commentaire du site www.xymphora.blogspot.com, qui nous fait explorer effectivement cette hypothèse d’une mésentente du côté US. Xymphora donne cette explication de la situation à Falloujah (en date du 2 mai, avant les déclarations de Myers déniant que le général Saleh soit “l’homme des USA” à Falloujah) :

«It represents an incredible loss of control by the Pentagon in Washington over the American military. It is apparent that the American commanders on the ground in Falluja came to the conclusion that whoever was giving the orders in Washington was insane (Dr. Strangelove), and that they were no longer prepared to participate in a massacre that not only would fail in its short-term military goal, but would turn the whole country violently against the Americans (not to mention completely destroying the moral integrity of the American military by forcing soldiers to murder civilians). They negotiated a cease-fire unknown to the Pentagon in Washington and against the express wishes of the civilian neocons in charge of the Pentagon. In fact, Falluja was being micromanaged by the White House itself. No to put too fine a point on it, the cease-fire in Falluja was a mutiny by the American commanders in Falluja (the hero seems to be Marine Lt. Gen. James Conway).

» This explains why we were simultaneously hearing announcements of a cease-fire in Iraq and vehement denials from the Pentagon in Washington. It also explains why some Americans had stopped the massacre, while others, still under the control of Washington, continued. Paul Wolfowitz (Captain Bligh) said the situation was 'confusing', which is a very odd thing for the guy supposedly in charge to say. It was confusing to him because a cease-fire was being negotiated on the ground in Falluja behind Wolfowitz's back. The central command in Washington has become so bad — both incompetent and treasonous — that American soldiers in the field have to make their own cease-fires. Perhaps there is hope for the United States yet.»

Les déclarations de Myers ne démentent pas cette thèse. On peut même considérer qu’elles la renforcent : Myers serait venu parler au nom du commandement militaire à Washington, pour démentir l’accord passé sur le terrain. On peut même avancer l’hypothèse que Myers a été pressé d’intervenir dans ce sens par la direction civile du Pentagone (Rumsfeld et Wolfowitz). Dans le même ordre d’idée, pour poursuivre l’hypothèse : pourquoi Rumsfeld n’est-il pas intervenu dimanche, et pourquoi cette tâche a-t-elle été laissée à Myers ? Parce que le pouvoir civil a signifié aux chefs militaires à Washington que c’était à eux à “se mouiller” pour reprendre le contrôle de leurs forces.

Reste l’inconnue de la Maison-Blanche. Si comme le suggère Xymphora, la Maison-Blanche joue directement avec le commandement sur place (« In fact, Falluja was being micromanaged by the White House itself »), l’action de la Maison-Blanche après les déclarations de Myers reste très difficile à prévoir. Le Pentagone peut jouer au naïf, présenter l’intervention de Myers comme une démarche normale puisque la direction des opérations reste effectivement, en théorie, confiée à lui-même et au commandement civil. La Maison-Blanche peut laisser faire en continuant à agir en sous-main, ou bien décider d’intervenir publiquement.

Le plus remarquable dans cette crise est qu’il semble désormais y avoir deux crises, avec un lien pour les relier de plus en plus ténu.

• Celle qui a lieu sur le terrain, avec les combattants, les arrangements sur place, etc.

• Celle qui a lieu à Washington, avec les affrontements entre factions civiles pour le pouvoir et la détermination de la politique officielle.

Dans tous les cas, il n’y a rien dans ces hypothèses pour nous étonner, tant l’hypothèse du désordre et de la rupture du pouvoir US est partout confirmée. On la retrouve par exemple dans l’affaire des tortures.